De Kasa-Vubu à Kabila

Qu’ils les idéalisent ou qu’ils les diabolisent, les Congolais restent fascinés par leurs grands aînés.

Publié le 31 juillet 2006 Lecture : 5 minutes.

Au Congo, le passé ne passe pas. Sur le bulletin unique que tous les électeurs ont tenu entre leurs mains ce 30 juillet, quatre noms de candidats à la présidentielle qui sonne comme une renaissance, une seconde indépendance, ont réveillé en eux quelques souvenirs : Guy Lumumba, Justine Kasa-Vubu, Nzanga Mobutu et Joseph Kabila. Quatre fils et fille des quatre principales figures de l’histoire du Congo depuis l’indépendance. Un survivant de l’époque du « Congo Léo » était même candidat : Antoine Gizenga, 80 ans. Il fut le vice-Premier ministre de Patrice Lumumba. Sans compter un autre rescapé des années 1960, Étienne Tshisekedi. Il a boycotté ce scrutin, mais son ombre a plané sur le vote.
En fait, les Congolais sont fascinés par leur passé. Qu’ils les idéalisent ou qu’ils les diabolisent, ils restent hantés par leurs grands aînés. Le plus vénéré est évidemment Patrice Lumumba, dont la statue imposante domine la ville de Kinshasa sur la route de l’aéroport. Le plus contesté est peut-être Moïse Tshombe, l’un des commanditaires de l’assassinat de Lumumba. Mobutu est regretté par quelques-uns, exécré par beaucoup d’autres. Un signe ne trompe pas. Son effigie a disparu de toutes les rues de Kinshasa. En revanche, les statues et les portraits de Laurent-Désiré Kabila se multiplient dans les quartiers de la capitale congolaise. Après Lumumba, le « Mzee » – « le vieux » en swahili – est en train d’être « héroïsé », comme dit l’historien congolais Elikia Mbokolo.
Pourquoi cette fascination du passé ? Peut-être parce que les Congolais veulent chasser leurs vieux démons. À commencer par le tribalisme. Depuis la sécession katangaise de Moïse Tshombe en 1960 jusqu’aux discours actuels du régionaliste katangais Kyungu wa Kumwanza contre les « étrangers » venus du Kasaï, l’ethnicisme est une constante de la vie politique du pays. Et pas seulement au Katanga. Au cours de cette campagne électorale, un nouveau concept importé de Côte d’Ivoire a prospéré. Celui de la « congolité ». Qui est ton père ? Et ta mère ? Joseph Kabila n’est pas le seul visé. Et Lumumba doit se retourner dans sa tombe.
Autre démon, la violence. Du fait de sa soldatesque, et notamment de Mobutu, ce pays a plus souffert que d’autres. Comme si la violence y était surdimensionnée. Il est vrai que l’assassinat politique n’est plus aussi courant que par le passé. Patrice Lumumba en janvier 1961, les quatre « pendus de la Pentecôte » en 1966, Pierre Mulele en octobre 1968 Les suppliciés des années 1960 sont encore dans la mémoire de tous les Congolais. « Comment avons-nous pu laisser faire cela ? » se disent-ils. De nos jours, cette forme de violence d’État semble s’estomper. Il reste qu’on ne sait toujours pas qui a commandité l’assassinat de Laurent-Désiré Kabila en janvier 2001. Des hommes qui ont voulu venger la mort du commandant Anselme Masasu Nindaga, fusillé sur ordre de Kabila père deux mois plus tôt ? Peut-être. En tout cas, personne à Kinshasa n’est convaincu par le jugement qui a été prononcé deux ans plus tard. Actuellement, trente condamnés à mort attendent au fond d’un cachot une amnistie que Joseph Kabila leur refuse. Ce passé qui ne passe pas
Il est une autre forme de violence d’État qui persiste et que redoutent tous les Congolais. C’est la terreur. En janvier 1993, quand Mobutu s’est senti dépossédé du pouvoir par Étienne Tshisekedi et la Conférence nationale, il a lâché sa garde prétorienne dans les rues de Kinshasa. La politique de la terreur n’est pas l’apanage des mobutistes. Les rebelles en ont usé à l’Est pendant la guerre civile, notamment de 1999 à 2001. Les habitants de Kisangani ne sont pas près de l’oublier. Alors demain, comment réagiront les déçus du scrutin ?
Cette violence au quotidien explique pour une bonne part la ferveur religieuse des Congolais. Dans ce pays sans État, l’église ou le temple du quartier (voir p. 46) est le dernier endroit où l’on peut se soigner ou aller à l’école. Mais c’est aussi le dernier refuge contre la barbarie.
Il est enfin une tutelle que les Congolais supportent de plus en plus mal. C’est celle de l’étranger. Dès 1967, Kwame Nkrumah publiait Challenge of the Congo. A Case Study of Foreign Pressures in an Independent State. Le Congo est vaste. Les grandes puissances ne peuvent pas s’en désintéresser. Le Congo est riche. Hier, il fournissait l’uranium de la bombe d’Hiroshima. Aujourd’hui, il vend son cuivre et son cobalt à la Chine. Ce pays aiguise les convoitises.
Au temps de la guerre froide, les fées américaines, russes et chinoises qui se penchaient sur le berceau congolais se sont vite transformées en sorcières. Les Américains ont propulsé le lieutenant-colonel Mobutu pour éliminer Lumumba le révolutionnaire. En réaction, les communistes ont actionné les rebelles de l’Est à Stanleyville (aujourd’hui Kisangani). En 1965, le Che est allé rendre visite à Kabila dans son maquis des bords du lac Tanganiyka. Et en 1973, sur la fin de sa vie, Mao Tsé-young a fini par lâcher à Mobutu : « Ah, Président, si vous saviez l’argent que j’ai dépensé pour vous faire renverser ! Et les sommes que j’ai investies pour vous faire assassiner ! » (Mao, l’histoire inconnue, Gallimard, 2006).
Même après la fin de la guerre froide, l’intérêt des pays du Nord ne s’est jamais démenti. Sans le feu vert américain, l’armée rwandaise n’aurait sans doute pas pu chasser Mobutu du pouvoir en mai 1997. Depuis l’accord de paix de Pretoria de décembre 2002, la tutelle de l’étranger crève les yeux. Quelque 17 000 Casques bleus et un processus électoral entièrement financé par l’Union européenne. Pour les tshisekedistes, c’est inacceptable. Pour les autres, c’est un mal pour un bien.
Depuis 1960, cette mainmise de l’étranger provoque une très forte réaction nationaliste. C’est tout le sens de l’action de Lumumba, pendant ses trois mois de gouvernement, et du mythe qui s’est construit autour de lui après sa mort. C’est aussi la raison pour laquelle Tshombe, l’homme qui recrutait des mercenaires blancs, est tant décrié. « Vous êtes un carnaval ambulant. Vous êtes le musée du colonialisme en promenade », lui a lancé un jour de 1965 le ministre algérien des Affaires étrangères Abdelaziz Bouteflika en pleine conférence de l’OUA
Faire de la politique au Congo, c’est tenir avant tout un discours nationaliste. Même Mobutu s’y est essayé. En 1971, il a fait changer les noms chrétiens et imposé une nouvelle tenue vestimentaire, l’abacost. En réalité, ce n’était qu’un habillage pour cacher une dépendance de plus en plus forte à l’Occident. Et le défunt maréchal n’a pas été le seul nationaliste de façade. Même le farouche Laurent-Désiré Kabila a bradé de nombreuses concessions minières à des intérêts étrangers pour financer ses deux guerres.
Pendant la campagne électorale de ce mois de juillet, tous les candidats, sans exception, ont sacrifié à ce discours nationaliste. Mais au-delà des mots ? Tout va se jouer dans les jours qui viennent. Si ces élections ne sont ni fraudées ni sabotées, le futur élu sera tenu de faire ce qu’il dit. Ce sera alors une première depuis Lumumba

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