Ces richesses que l’Afrique laisse échapper
Le continent est l’une des plus grandes zones minières du monde. Il devrait donc tirer parti de la flambée des cours, qui touche la plupart des minerais. Hélas, ce n’est pas si simple
Coup de chance : ces dernières années ont été marquées par une flambée des prix des produits miniers qui devrait directement profiter à l’Afrique, qui extrait chaque année des milliers de tonnes de son sous-sol. Avec l’Australie, le Canada et l’Amérique du Sud, le continent est en effet l’une des plus grandes zones minières du monde (voir infographies ci-contre). L’exploitation des minerais est une activité dominante et représente le premier poste d’exportation dans près de la moitié des pays africains : parmi eux, l’Afrique du Sud, le Botswana, la RD Congo, le Mali, la Guinée, le Ghana, la Zambie, le Zimbabwe, le Niger, la Tanzanie, le Togo ou la Mauritanie. D’autres pays comme l’Angola, la Sierra Leone ou la Namibie ont également développé un pôle minier conséquent.
La plupart de ces pays doivent ce développement à la modernisation de leurs codes miniers intervenue dans la première moitié des années 1990. Résultat : si on ajoute la production de chaque pays, le continent se positionne comme le premier producteur mondial de nombreux produits miniers dont le platine, l’or, les diamants, le minerai de phosphate ou le manganèse, et possède des réserves de premier ordre en bauxite, en uranium ou en coltan – un minerai qui entre notamment dans la composition des cartes à puce. La moitié des réserves mondiales d’or se trouve ainsi dans la région du Witwatersrand, en Afrique du Sud. Plus marginalement, le continent extrait également du cuivre, du zinc et du minerai de fer. Autant de produits qui ont vu leurs cours sur les marchés internationaux s’envoler depuis quelques années, tirés par la demande mondiale, en général, et la demande industrielle, en particulier, notamment celle émanant de Chine. Entre 2000 et 2006, le prix de l’or est passé de 260 dollars l’once à 700 dollars l’once, celui du platine a bondi de moins de 400 dollars l’once en 1999 à plus de 1 200 dollars début juillet 2006, celui de l’acier (l’essentiel du manganèse est utilisé dans l’acier) a été multiplié par trois depuis 2001, quand le cours de l’uranium était multiplié par cinq.
Sur le continent, cette envolée s’est avant tout traduite par une recrudescence des projets d’exploration et devrait accélérer l’ouverture de nouvelles mines, notamment celles ayant les coûts d’extraction les plus élevés. Preuve de l’importance du continent à l’échelle de la planète, l’Afrique aurait ainsi bénéficié en 2005 de 17 % des dépenses mondiales liées aux recherches minières, derrière l’Australie (23 %) et le Canada (19 %), selon une étude de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) et de l’Union européenne. Un vrai bonheur pour les quelques multinationales qui dominent aujourd’hui le secteur des mines. Parmi elles, des entreprises sud-africaines ayant leur siège autour de Johannesburg, et notamment AngloGold Ashanti, fruit du rapprochement entre le groupe ghanéen Ashanti et le géant minier AngloGold. D’autres, comme AngloAmerican, premier groupe minier mondial aujourd’hui installé au Royaume-Uni, ont également leurs origines dans cette partie de l’Afrique. L’une de ses principales filiales, De Beers, y a toujours son siège social et contrôle le commerce des diamants dans la région et, notamment, au Botswana, où elle est actionnaire et gérante de la seule entreprise diamantifère du pays.
Malgré ces quelques cas, l’essentiel des multinationales opérant sur le continent sont australiennes, canadiennes, britanniques ou étasuniennes. En dehors de l’Afrique du Sud, force est de constater que l’Afrique ne compte aucun géant minier à la hauteur de ce que pourrait espérer un continent aussi riche en matières premières. L’Australie, autre zone minière de référence, a longtemps compté de véritables géants nationaux des mines. Aujourd’hui, le pays est la base de deux des plus grands groupes miniers mondiaux, Rio Tinto et BHP Billiton, ce dernier étant le fruit du rapprochement entre un groupe australien (BHP) et le sud-africain Billiton. Tous deux possèdent des sièges sociaux à Londres et à Melbourne. Sans savoir clairement ce qui de l’un ou de l’autre est la cause ou la conséquence, l’absence relative de groupe minier africain va de pair avec le très faible développement d’un tissu industriel local. C’est dans le domaine des phosphates que l’on trouve les rares exemples de création de groupes miniers nationaux de premier rang, avec au Maroc l’Office chérifien des phosphates (OCP), et au Sénégal les Industries chimiques du Sénégal (ICS). Du coup, en termes de croissance économique, si l’envolée des prix ne peut être que positive, l’effet production devrait se faire sentir plus tard, et les pays ayant affiché le plus fort taux de croissance en 2005 restent des pays pétroliers, Mauritanie, Tchad, Guinée équatoriale et Angola en tête, et non miniers.
Sans transformation, l’extraction rapporte peu
Le secteur minier en Afrique, bien qu’il représente une part très importante des exportations d’une vingtaine de pays, contribue relativement peu à l’activité économique. Ainsi, en Namibie, l’extraction des minerais, diamant en tête, constitue environ 55 % des exportations en valeur, mais ne représente que 10 % du PIB et n’emploierait que moins de 5 % de la population En Zambie, pays producteur de cuivre et de cobalt, l’activité minière fournit les trois quarts des exportations en valeur mais ne représente que 3 % à 4 % du PIB national et emploie environ 11 % de la population salariée, autant que le secteur manufacturier. En 2002, au plus fort du développement de la mine d’or de Morila, l’une des plus importantes d’Afrique et du monde, le secteur représentait à peine plus de 11 % du PIB national, alors que les exportations aurifères constituaient la même année 64 % des exportations du pays. L’une des pistes d’explication les plus classiques à ce phénomène touche à la rareté des groupes miniers locaux et à l’absence d’industries transformant les matières premières existantes. Plusieurs conséquences à cela : l’essentiel des bénéfices réalisés par les exploitants miniers n’est pas réinvesti dans le pays ; les groupes étrangers ont plutôt tendance à faire appel à des banques étrangères ; les produits miniers sont exportés bruts. Une analyse que répètent nombre d’experts. « Certains pays en développement ne sont pas persuadés du rôle des mines en tant que moteur de croissance. Ce qui explique que leur activité minière est caractérisée par l’existence d’industries très utilisatrices de capital, qui constituent autant d’enclaves détenues par des étrangers, dirigées par des expatriés et utilisant des intrants (principalement des équipements) achetés hors des frontières, souligne ainsi Antonio M.A. Pedro, auteur d’une étude sur les mines et la croissance économique pour la Commission économique africaine. De plus, les mêmes prétendent que les multiplicateurs de production, de revenus et d’emplois, ainsi que le potentiel d’apprentissage, sont plus faibles dans le secteur minier que dans d’autres secteurs comme l’industrie manufacturière. »
Comment protéger l’environnement
L’Afrique, en somme, ne profiterait pas réellement de l’exploitation de ses mines, activité trop cyclique et finalement assez peu rentable si elle se limite à l’exploitation sans la transformation ou l’utilisation industrielle. Pis, avancent même certains, les mines seraient nuisibles. C’est notamment l’opinion des initiateurs de la campagne baptisée No Dirty Gold – « Pas d’or sale » -, une initiative lancée par les ONG Oxfam et Earthworks et soutenue par des dizaines de groupes communautaires villageois. La campagne a un double objectif : interpeller le consommateur sur la manière dont est extrait l’or, qui sert à fabriquer les bijoux qu’il achète, et faire pression sur les grands groupes miniers internationaux afin qu’ils respectent l’environnement et les populations locales. « J’ai visité récemment la nouvelle mine opérée par le groupe Newmont au Ghana, explique Radhika Sarin, coordinatrice de la campagne au niveau international. Lors de la première phase de développement de la mine, 10 000 fermiers ont été déplacés ou ont perdu leurs terres. Aucune terre de remplacement ne leur a été proposée. Lors de la seconde phase, à venir, 10 000 autres seront concernés. »
Cette campagne contre l’or sale fait suite à celle menée il y a quelques années contre les diamants de la guerre, ces diamants qui servent ou ont servi en Sierra Leone, en RD Congo ou en Angola à financer les conflits armés. D’autres minerais sont concernés par des croisades similaires, comme le coltan, qui a financé le conflit en RD Congo. L’enjeu est également de faire prendre conscience des conséquences sur l’environnement et les modes de vie locaux de l’activité minière, une activité qui utilise beaucoup de produits chimiques, enlève parfois des terres à des agriculteurs et bouleverse la culture locale. « Souvent, de grands réservoirs d’eau sont bâtis près des mines, car l’eau sert dans le processus d’extraction de l’or, souligne Radhika Sarin. La conséquence la plus grave de la présence de ces eaux stagnantes aux abords des mines est le développement du paludisme. Certaines sociétés, comme AngloGold Ashanti dans la mine d’Obuasi, au Ghana, en ont pris conscience et mènent une politique active contre le paludisme. D’autres ne font rien. » Tout juste ses conséquences sur la santé et l’environnement sont-elles compensées par l’augmentation du niveau de vie des populations locales. Une partie travaille à la mine, mais les méthodes d’exploitation modernes limitent fortement le recours aux employés non qualifiés. Ce sont surtout les commerçants qui bénéficient de l’arrivée de travailleurs. Encore faut-il rappeler qu’après vingt ans au plus la mine fermera, le village se retrouvant tout à coup sans ressources si aucune autre activité n’a été développée entre-temps.
Ces critiques, les multinationales minières les prennent de plus en plus en compte, craignant pour leur réputation. « Nous employons de très nombreuses personnes en Afrique. Et nous versons à ces gens près de 3 milliards de dollars en tout, c’est plus que ce que nous versons à nos actionnaires, expliquait récemment Mark Moody-Stuart, président de l’AngloAmerican, cité par la BBC. Bien sûr, en tant qu’entreprise, nous devons faire de l’argent. Mais cela ne signifie pas qu’il n’y a pas de bénéfices pour d’autres personnes impliquées, comme le gouvernement, les employés, les fournisseurs et d’autres. » Pour autant, et malgré les énormes potentialités existantes, l’extraction minière n’a nullement, jusqu’à présent, entraîné – ou même plus simplement aidé – le développement économique de l’Afrique, alors que des pays comme l’Australie, le Canada et, dans une moindre mesure, l’Afrique du Sud se sont appuyés sur ce secteur pour bâtir des économies qui figurent aujourd’hui parmi les plus riches du monde. Après tout, si les mines ne sont nullement une solution aux problèmes du continent, et ce au même titre que le pétrole, elles apportent des devises et des revenus aux États. Autant de leviers potentiels pour des gouvernements qui n’auraient pas décidé de s’endormir sur leurs mines
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Les plus lus
- Au Mali, le Premier ministre Choguel Maïga limogé après ses propos critiques contr...
- CAF : entre Patrice Motsepe et New World TV, un bras de fer à plusieurs millions d...
- Lutte antiterroriste en Côte d’Ivoire : avec qui Alassane Ouattara a-t-il passé de...
- Au Nigeria, la famille du tycoon Mohammed Indimi se déchire pour quelques centaine...
- Sexe, pouvoir et vidéos : de quoi l’affaire Baltasar est-elle le nom ?