Anas Sefrioui, « monsieur 10 000 logements par an »

Le PDG d’Addoha a fait de son groupe le leader de l’habitat social, avec, en point d’orgue, une introduction en Bourse clôturée avec succès le 6 juillet. Et ses ambitions ne s’arrêtent pas là…

Publié le 31 juillet 2006 Lecture : 5 minutes.

Anas Sefrioui a l’obsession de la ponctualité : ce 6 juillet, tout juste après avoir empoché la coquette somme de 250 millions d’euros – avec l’introduction en Bourse de Douja Promotion-Groupe Addoha -, il envoie son chauffeur acheter un hamburger au McDo et l’avale rapidement sur le trajet pour être à l’heure à son rendez-vous S’il cultive la discrétion, ce grand collectionneur d’uvres d’art assume pleinement sa réussite et ses ambitions : « Le Groupe Addoha est évalué à 1 milliard de dollars, et je n’ai aucune honte à le dire, car j’ai gagné cet argent à la sueur de mon front. » Son credo ? « Des villes sans bidonvilles. Mon rêve est d’être un des artisans de la politique royale visant à assurer un habitat décent pour tous les Marocains. » À son actif, quelque 103 000 logements économiques, pour moitié livrés clés en main, l’autre moitié étant en cours de réalisation à Casablanca, Tanger, Marrakech, Agadir, Fès, Salé, Tamesna, soit une part de marché de l’ordre de 38 %.
Anas Sefrioui a réussi un coup de maître en cédant 35 % du capital d’Addoha, le premier groupe de promotion immobilière coté à la Bourse de Casablanca. Les ordres d’achat ont atteint 4,3 milliards d’euros, dont 370 millions d’euros émanant d’institutionnels étrangers, soit plus de 17 fois le montant de l’offre publique de vente. « Au-delà des ressources financières, précise Sefrioui, l’opération a pour objectif de tirer le secteur vers le haut. Dans les milieux d’affaires comme dans l’administration, le secteur immobilier est montré du doigt pour ses pratiques frauduleuses. » Pour lui, l’introduction en Bourse est non seulement un gage de transparence et de bonne gouvernance, mais aussi une occasion de « montrer au monde l’expertise et la capacité d’innovation d’un groupe 100 % marocain ».
À l’occasion de tournées dans les pays du Golfe et en France, Anas Sefrioui n’a pas eu besoin de forcer les portes pour trouver preneur : « Les investisseurs internationaux considèrent le Maroc comme un bon placement et le situent dans le peloton de tête des pays émergents. Les souscriptions spontanées d’institutionnels britanniques en témoignent… » Quels arguments a-t-il avancés pour les convaincre ? « Nos bilans 2002-2005 affichent des résultats nets de l’ordre de 30 % du chiffre d’affaires. En 2005, nos bénéfices avoisinaient 60 millions d’euros et nos fonds propres dépassaient 150 millions d’euros. La stratégie des cinq prochaines années table sur une croissance annuelle du chiffre d’affaires et sur une marge de 30 %. » La demande ne cesse de croître : « Le déficit cumulé est estimé à 1,2 million de logements au Maroc, explique Hassan Ben Bachir, conseiller du PDG, et le besoin annuel additionnel évalué à 120 000 logements. Or le Maroc ne produit pas plus de 80 000 logements par an. Chaque année, le déficit s’aggrave de 40 000 logements. »
Soucieux de comprendre les difficultés d’accès à la propriété, Anas Sefrioui a dépêché ses équipes dans les bidonvilles de Casablanca pour questionner les habitants. Leurs enquêtes lui ont inspiré une idée de génie : créer un guichet unique. Sis sur la route d’Aïn Sebaâ, la banlieue industrielle de Casablanca, le siège du Groupe Addoha rassemble quatre banques, cinq notaires, les services de la Conservation foncière, des impôts et de la légalisation des signatures, ainsi que la société de distribution d’eau et d’électricité. Autant de services offerts à 40 000 visiteurs annuels, en grande majorité analphabètes et non bancarisés. « Notre objectif est d’aider le client à remplir toutes les formalités en une journée. » Des démarches qui relevaient jadis du parcours du combattant et prenaient des mois. À la question du financement, la réponse est toute trouvée : « L’État a lancé le fonds de garantie Fogarim pour cautionner à hauteur de 70 % l’accès à la propriété, les 30 % restants étant garantis par l’hypothèque sur le logement. Notre valeur ajoutée a été de faire connaître cette opportunité et de rendre le circuit fluide pour tous. »
S’il fournit des milliers d’emplois chaque année, le Groupe Addoha compte seulement 150 employés, en grande majorité des cadres expérimentés. Il sous-traite la construction pour se concentrer sur son cur de métier, la promotion. « Nous avons fidélisé une dizaine d’entreprises de construction qui travaillent pour nous en exclusivité. » Le Groupe Addoha produit 40 appartements par jour, 10 000 logements par an. Le prix de vente – 18 000 euros en moyenne – n’est pas négociable. « Nos terrains se situent toujours en centre-ville, même si c’est plus cher. Nous achetons de grandes superficies, entre 30 et 50 hectares, ce qui permet de bénéficier d’économies d’échelle. Avant le démarrage des travaux, au moment où nous installons la palissade, le tiers des appartements trouvent acquéreurs. Avant la fin des travaux, tout est vendu. Notre trésorerie est excédentaire, nous n’avons pas de frais financiers à répercuter. Autres avantages comparatifs, le respect des délais et la transparence des transactions : nous n’acceptons ni dessous-de-table, ni règlement au noir » Seul promoteur immobilier certifié à la norme internationale de qualité ISO 9001 version 2000, le Groupe Addoha est aussi le seul à proposer une assurance décennale contre les risques du bâtiment.
Rares sont les grands patrons marocains autodidactes à avoir bâti une réputation (et une fortune) de businessman averti. Né en 1957 à Fès, « numéro 7 » d’une famille bourgeoise de neuf enfants, Anas Sefrioui entre dans la vie active dès l’âge de 17 ans. « Je voulais suivre mon père et tout apprendre de lui. L’école, c’est important, mais ce n’est pas là que l’on apprend l’essentiel : le bon sens, l’humilité, et surtout, le respect, quoi qu’il en coûte, de la parole donnée. » Comme son nom l’indique, la famille Sefrioui el-Ghassoul exploite la seule mine de ghassoul au monde, une argile sédimentaire déposée au fond d’un lac sec depuis plus d’un million d’années, utilisée comme cosmétique et exportée dans le monde entier. « Mon père appréciait mon dévouement et ma force de travail. Je passais mon temps sur les routes, entre Casablanca, Agadir et Fès, pour suivre notre exploitation minière et nos usines de production de papier d’emballage. » Un dévouement qui a payé : ces usines représentent aujourd’hui 40 % du marché national des sacs de ciment.
Anas ne s’est pas contenté de développer les affaires familiales : diversifiant ses actifs, il prend des participations dans une compagnie de navigation, dans une société d’assistance internationale et dans une unité de production de carbonate de calcium, un composant des peintures. En 1987, il se lance dans le lotissement de terrains, avant de se convertir en 1995 à la promotion immobilière, lors du lancement par Hassan II de l’opération des 200 000 logements. Que compte-t-il faire de la manne financière issue de l’introduction en Bourse ? « Les 250 millions d’euros seront en totalité investis au Maroc, dans l’industrie et la finance. Nous savons déjà que nous ne les investirons pas dans l’immobilier : créer un Addoha bis n’aurait pas de sens puisque je détiens encore 65 % des actions. »
De l’avis de l’Association des promoteurs francophones, le savoir-faire du Groupe Addoha pourrait connaître un franc succès dans les pays du Nord comme dans les pays du Sud, mais pour l’heure, le développement à l’international n’est pas une priorité : « Nous avons été plusieurs fois sollicités pour dupliquer notre expérience, au Gabon, en Algérie, au Sénégal, en Libye, précise Sefrioui. Mais il y a encore trop à faire au Maroc. Nous devons réussir à passer le cap de 15 000 logements en 2007. Une fois le rythme de croisière atteint, nous pourrons envisager d’exporter notre expertise. »

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