[Tribune] Pétrole : cinq règles pour profiter de l’embellie
Si la remontée des cours du pétrole soulage de nombreux pays d’Afrique, dont l’économie dépend des hydrocarbures, la prudence demeure de mise, tant leur situation macroéconomique est dégradée.
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Alain Faujas
Alain Faujas est spécialisé en macro-économie.
Publié le 31 mai 2018 Lecture : 4 minutes.
Dans certains pays d’Afrique, c’est le soulagement ! En Algérie, au Tchad, au Soudan ou en Angola, on regarde grimper avec ravissement les cours du pétrole, qui atteignent actuellement leur plus haut niveau depuis décembre 2014 : 79,50 dollars le baril du Brent et 74,60 dollars celui du WTI le 17 mai, ce sont 13 à 14 dollars de plus qu’en février. Certains gouvernements se risquent même à prédire la fin du tunnel et de leurs affres économiques et sociales.
L’Opep et d’autres pays pétroliers non membres comme la Russie ont reconduit en janvier leurs limitations de production, qui avaient efficacement soutenu les cours depuis dix-sept mois. Les incohérences de la politique étrangère de Donald Trump ont fait le reste. En menaçant de ne plus s’approvisionner au Venezuela et de réinstaurer le boycott de l’Iran, le trublion de la Maison-Blanche inquiète les marchés, et ceux-ci réagissent en achetant du pétrole à terme, afin d’anticiper la hausse que pourraient créer ses gesticulations.
Attention danger !
Premier bémol à cet enthousiasme : l’ascension se poursuivra, mais il ne faut pas compter sur un baril à 100 dollars dans les prochains mois. Certes, la Chine a toujours un vigoureux appétit pour les hydrocarbures, mais les États-Unis produisent comme jamais du pétrole de schiste. D’autre part, le monde entier se tourne massivement vers les énergies renouvelables dans l’espoir que le solaire, l’éolien, la géothermie et la biomasse réduisent à bon compte la consommation de pétrole.
L’équilibre entre ces forces contraires devrait avoir un effet modérateur sur les fluctuations des cours… à condition que les tensions géopolitiques ne fassent pas s’emballer les marchés dans un sens ou dans un autre.
Deuxième bémol : les budgets, les réserves de change, les monnaies et l’endettement de nombreux pays africains se trouvent dans un état si catastrophique qu’il est illusoire de compter sur des rentrées d’argent pétrolier suffisantes pour les remettre d’aplomb rapidement.
Lors d’une conférence de presse, le 21 avril, Abebe Aemro Sélassié, directeur du département Afrique du FMI, a déclaré qu’environ 40 % des pays à bas revenus du continent étaient en état de détresse ou de quasi-détresse par rapport à leur dette, ce qui équivaut à treize ou quatorze pays menacés de faillite, car les taux d’intérêt mondiaux ne vont pas tarder à remonter dans le sillage de ceux de la Banque centrale américaine.
La diversification et l’industrialisation de l’économie sont les seules façons de ne plus être à la merci des hoquets des marchés internationaux
Et le fardeau promet de s’alourdir : l’agence de notation Standard & Poor’s estime que les 17 pays subsahariens qu’elle analyse emprunteront à long terme environ 57 milliards de dollars supplémentaires en 2018, soit une hausse de 7,4 % par rapport à 2017. Le stock de leur dette à long terme atteindra 392 milliards de dollars (+ 6,2 %), et celui de leur dette à court terme, 66 milliards (+ 6,4 %), des taux de progression bien supérieurs à la croissance de 3,4 % attendue en 2018. Attention danger !
Au moment où la conjoncture semble s’améliorer, la prudence reste d’actualité, et les prescriptions demeurent quasi les mêmes pour les pays exportateurs de pétrole comme pour les pays importateurs, car ceux-ci vont subir une dégradation de leur balance commerciale en raison d’un pétrole plus cher.
Règle n° 1 : ne pas céder à la tentation d’abandonner la rigueur. Il faut continuer à réduire le déficit des budgets au-dessous de 3 % par rapport au PIB, ce qui est requis des pays membres de l’Uemoa par exemple, pour stopper l’inflation de la dette.
Règle n° 2 : ne pas céder à la tentation d’emprunter à des taux non concessionnels, donc élevés, auprès de généreux bailleurs du Golfe ou de Chine, en se disant qu’on aura plus d’argent pour les rembourser. Ces taux peuvent atteindre 8 %, le quintuple des taux concessionnels ! En cas de défaut de remboursement, il est à craindre que les « fonds vautours » soient les premiers à les racheter pour faire rendre gorge aux pays défaillants devant les tribunaux.
Règle n° 3 : ne pas tricher en dissimulant des prêts ou des quasi-prêts, tels des avances sur une production pétrolière à venir, comme le Congo ou le Mozambique ont eu la faiblesse de le faire.
Règle n° 4 : augmenter les recettes publiques par la mise en place d’une fiscalité moderne et équilibrée, qui ne dissuade pas les entrepreneurs d’entreprendre, et par la suppression des nombreuses exonérations, qui ne servent pas à grand-chose et qui appauvrissent l’État.
Règle n° 5 : c’est le plus efficace à long terme : la diversification et l’industrialisation de l’économie sont les seules façons de ne plus être à la merci des hoquets des marchés internationaux, qu’il s’agisse de pétrole ou d’or, de cuivre ou de manganèse, de coton ou d’arachide.
À tous ceux qui prendront le prétexte de l’embellie pétrolière pour céder à la facilité du court terme, rappelons que c’est quand le soleil brille qu’il faut refaire sa toiture et pas pendant la tempête.
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