[Tribune] Cameroun : « Nous sommes tous Roger Milla ! »
Fred Eboko, directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), à Paris, rend hommage à un champion qui a su créer l’unité au Cameroun.
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Fred Eboko
Directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), à Paris.
Publié le 4 juin 2018 Lecture : 3 minutes.
Tribune. Deux fois l’âge du Christ. Toute une histoire. Le 20 mai célèbre dans ton pays une unité nationale mise à rude épreuve, ainsi tes 66 ans portent la marque d’une prémonition et d’une myriade de promesses auxquelles tes exploits ont donné vie.
Tu es né le 20 mai 1952. Les deux parties du Cameroun issues du condominium franco-britannique ont été réunies le 20 mai 1972. Quel symbole ! Mais, depuis 2016, cette unité bat de l’aile, et les régions anglophones sont sujettes à des affrontements meurtriers. Alors, en cet anniversaire qui est aussi le tien, la question est : « De quoi Roger Milla est-il le nom ? »
Le Tonnerre de Yaoundé
En 1990, tu entres dans la légende du football lors du Mondial qui se joue en Italie et tu portes l’Afrique au faîte de la reconnaissance que ses talents lui promettent. Tu renvoies le reflet inversé d’un pays doté de tous les atouts et qui se suicide en silence. Tu es le miroir retourné d’un naufrage, le chant de la victoire qui masque le chant du cygne.
Mais tu n’es pas devenu talentueux à 38 ans. Tu as signé ta première licence à 14 ans, à l’Éclair de Douala, avant d’en rejoindre le Léopard, puis d’entrer au Tonnerre de Yaoundé, ton club de cœur. Le jour de ton premier sacre en Coupe du Cameroun, en 1974, tu as serré la main du président Ahidjo. Tu avais 22 ans et des étoiles plein les yeux.
Tu es la star de la première équipe africaine à n’avoir perdu aucun match en Coupe du monde
En 1975, tu remportes la première édition de la Coupe d’Afrique des vainqueurs de coupe contre le Stella Club d’Adjamé. Sur le terrain, la victoire est programmée. Un magazine de l’époque, Champions d’Afrique, aura la mauvaise idée d’écrire que, dans sa composition, l’équipe du Tonnerre ressemble étrangement à celle des Lions indomptables. Il sera interdit de parution sur le territoire…
Peu importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse ! Tu es élu Ballon d’or africain en 1976. à ton retour du Mondial d’Espagne, en juin 1982, tu as 30 ans. Ahidjo vous décore, toi et tes coéquipiers, et salue l’exploit : tu es la star de la première équipe africaine à n’avoir perdu aucun match en Coupe du monde.
Longévité
Tu as livré tous les combats qui peuvent en inspirer d’autres, tu as participé à toutes les joutes, des plus improbables aux plus prestigieuses : coupe de l’Union douanière économique de l’Afrique centrale, Coupe du monde de football militaire, Jeux olympiques, Coupe d’Afrique, Coupe du monde…
En Italie, en 1990, tu as fait danser le monde sur le rythme que tu avais inventé. Et, lorsque tu as propulsé ton équipe en quart de finale – alors qu’officiellement tu avais déjà pris ta retraite (tu avais été sélectionné par décret présidentiel !) –, le monde a décidé que l’Afrique était belle et forte. Pour cela, Paul Biya finira par te nommer « ambassadeur itinérant ».
En 1990 toujours, tu es élu Ballon d’or africain pour la deuxième fois de ta carrière, quatorze ans après ta première couronne. En 1994, tu es de nouveau rappelé : ce sera ton dernier Mondial, aux États-Unis et, à 42 ans passés, tu deviendras le plus vieux buteur de l’histoire de la Coupe du monde. Encore un record.
Tu es un trait d’union entre les générations, les pays et les continents
Avec toi, le Cameroun a réappris à gagner, mais aussi à perdre dans la dignité. Souviens-toi de 1978. Cette année-là, la campagne de Conakry n’a pas été fructueuse. Les Lions indomptables ont pris une raclée. Ils ont trois buts à remonter contre le Sily national. Tu tiens ta promesse, trois buts d’artiste remettent les compteurs à zéro ; mais le but décisif ne vient pas, et les Guinéens l’emportent.
Ali Sylla Tostao, l’avant-centre guinéen, remarque tes sanglots solitaires. Il te serre dans ses bras, te parle pendant de longues minutes. Vous êtes seuls au monde. Puis il te ramène vers les tiens. Le public applaudit.
« Tu veux aller voir Milla dimanche ? Tu sais ce qui te reste à faire ! » Parole de milliers de mères pour contraindre leur progéniture à un peu de discipline scolaire et domestique. Tu es un trait d’union entre les générations, les pays et les continents.
Tu incarnes la persévérance et le talent qui résiste au déclassement ; et, grâce à toi, plus aucun Ballon d’or africain ne sera logé dans un appartement aux carreaux cassés, avec un réfrigérateur qui fonctionne un jour sur deux, comme ce fut ton cas à Valenciennes à ton arrivée en France.
Toi, Roger Milla, tu as brisé le plafond de verre et tu es toujours, à 66 ans, une promesse d’unité.
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