Réchauffement au sommet

En visite à Washington du 24 au 29 mai, le président Bongo Ondimba largement mis à profit son séjour sur les rives du Potomac.

Publié le 1 juin 2004 Lecture : 6 minutes.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que le président Omar Bongo Ondimba ne s’est pas déplacé pour rien. En visite de travail à Washington du 24 au 29 mai, le chef de l’État gabonais a largement mis à profit son séjour sur les rives du Potomac : entretien à la Maison Blanche avec son homologue George W. Bush, rencontre avec les décideurs économiques et même conclusion d’un accord avec le Fonds monétaire international (FMI). À la grande satisfaction de la délégation gabonaise, dont le dossier devait être soumis au
conseil d’administration du Fonds le 28 mai, après deux années d’âpres négociations.
Pour Libreville, la conclusion d’un accord avec l’institution financière achève de dissiper les nuages qui pouvaient encore obscurcir ses relations avec Washington. Annoncée
pour le 5 septembre 2003, sa signature avait été reportée à la demande des Américains, les représentants des États-Unis au conseil d’administration du FMI ayant exigé que le pays soit soumis à un programme de surveillance probatoire. Une exigence ressentie comme une injustice par les autorités gabonaises, qui estimaient pourtant avoir fourni de gros efforts pour assainir leurs finances publiques.
Sur le plan bilatéral, la rencontre Bongo-Bush signe le réchauffement des relations entre les deux capitales. « Réputé pour ses sympathies chiraquiennes, Omar Bongo Ondimba a toujours été suspecté de francophilie coupable par l’administration Bush, analyse un diplomate gabonais. Et cette étiquette est devenue particulièrement lourde à porter dès lors que la France a choisi de condamner la décision américaine d’entrer en guerre contre l’Irak. »
De ses amitiés parisiennes, l’administration Bush ne semble donc plus tenir rigueur au chef de l’État gabonais. Celui-ci a été reçu par son homologue américain pas moins d’une demiheure, au cours de laquelle les deux hommes ont effectué un vaste tour d’horizon de l’actualité internationale, depuis la situation en Irak jusqu’à la flambée des cours du pétrole, en passant par la guerre civile au Darfour. Parmi les officiels gabonais qui accompagnaient le président figuraient plusieurs ministres Jean Ping (Affaires étrangères), Paul Toungui (Économie et Finances), Casimir Oyé Mba (Planification), Émile Doumba (Économie forestière) , ainsi que la directrice de cabinet du chef de l’État, Pascaline Bongo. Côté américain étaient présents Jendayi Frazer, assistante spéciale du président Bush chargée des affaires africaines au Conseil national de sécurité, et le secrétaire d’État Colin Powell. Les discussions officielles se sont ensuite poursuivies au département d’État, où la délégation gabonaise a été reçue par John Turner, secrétaire
d’État adjoint chargé des questions environnementales. Au menu, le Partenariat pour les forêts du bassin du Congo, initiative américaine qui vise à établir un réseau de parcs
naturels en Afrique centrale et pour laquelle Washington a décidé de débloquer plus de 50 millions de dollars.
Mais les échanges ne se sont pas limités aux problèmes écologiques. En matière de sécurité, le président Bongo Ondimba a sollicité l’envoi d’instructeurs américains pour former les forces de sécurité gabonaises aux techniques de prévention du terrorisme, notamment dans le transport aérien. La situation géopolitique africaine, et notamment les
crises qui secouent la Côte d’Ivoire, la Centrafrique et le Soudan, a bien sûr été évoquée : « Autant de sujets sur lesquels le leadership du chef de l’État gabonais en Afrique francophone fait de lui un interlocuteur incontournable », précisait l’un de ses
conseillers à l’issue de ces échanges.
Mais si l’administration américaine s’inquiète de biodiversité ou de sécurité dans le golfe de Guinée, ce sont certainement les questions pétrolières qui la préoccupent au premier chef. Et l’accueil réservé au président Bongo Ondimba intervient au moment où les États-Unis s’intéressent de plus en plus aux pays producteurs du littoral africain. Du Nigeria à l’Angola en passant par la Guinée équatoriale, São Tomé e Príncipe ou le Congo-Brazzaville, pétroliers et diplomates américains ont fait de cette Afrique riche en
hydrocarbures leur nouveau Far West. Le département de l’Énergie, qui prêche pour la diversification des approvisionnements, estime que l’Afrique fournira 25 % du pétrole consommé par les États-Unis en 2015, contre seulement 15 % actuellement. Aussi l’opération séduction entamée à l’égard des pays producteurs subsahariens est-elle d’intérêt stratégique. Pour sa part, le Gabon est à la recherche de nouvelles compagnies
pour entreprendre des recherches susceptibles de renouveler ses réserves déclinantes. La délégation librevilloise a d’ailleurs profité de cette visite pour annoncer la conclusion de nouvelles conventions de prospection et d’exploration avec des compagnies américaines
d’ici à la fin du mois de juin.
Depuis 2001, date de la prise de fonctions du locataire de la Maison Blanche, les pays du golfe de Guinée font l’objet d’une attention soutenue de la part des États-Unis. Visites présidentielles, rencontres informelles en marge des sommets internationaux, déplacements d’officiels américains dans la région, coopération civile et militaire, inscription sur la liste des États bénéficiaires de l’African Growth and Opportunity Act (Agoa) Dans cette panoplie des gratifications accordées par George W. Bush à ses nouveaux amis africains, l’accueil dans le bureau ovale fait figure d’ultime marque de considération. L’un des tout premiers à en avoir bénéficié fut Olusegun Obasanjo, reçu à la Maison
Blanche dès le mois de mai 2001. Inlassable promoteur du Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad), le président nigérian fait en outre partie des happy
few régulièrement invités au sommet du G8 pour y représenter l’Afrique. Autre interlocuteur de poids, José Eduardo Dos Santos, qui a encore été reçu le 15 mai par son homologue américain. Le président angolais effectuait d’ailleurs sa quatrième visite aux États-Unis. Avec une production quotidienne de 1 million de barils de brut, son régime autrefois marxiste est devenu l’un des meilleurs amis de Washington dans la zone.
Si Abuja et Luanda font figure de poids lourds, l’administration Bush ne néglige pas pour autant les partenaires francophones, même si leur production de brut aurait plutôt tendance à régresser. Ainsi, le président Paul Biya a été reçu par Bush à la Maison
Blanche le 20 mars 2003, alors que, en pleine crise irakienne, le Cameroun siégeait comme membre non permanent du Conseil de sécurité. D’ailleurs, la visite que vient d’effectuer
Omar Bongo Ondimba n’est pas sans lien avec la prochaine élection de son ministre des Affaires étrangères, Jean Ping, à la présidence de l’Assemblée générale de l’ONU, le 10 juin, sa prise de fonctions étant prévue pour le 14 septembre. Au moment où les États-Unis, pris dans le bourbier irakien, recherchent l’appui de la communauté internationale,
un premier échange de vues avec la partie gabonaise s’imposait.
Sur le plan financier, ce voyage aura sans doute permis de lever les derniers obstacles susceptibles d’empêcher encore une fois la conclusion d’un accord avec le FMI. Alors qu’il négocie depuis avril 2002 un retour en grâce de son pays auprès des institutions de Bretton Woods, le ministre de l’Économie et des Finances Paul Toungui a bénéficié d’un « coup de pouce de dernière minute » avec la visite de son président. Omar Bongo Ondimba a
d’ailleurs rencontré la directrice générale par intérim du FMI, l’Américaine Anne Krueger,
le 27 mai, soit vingt-quatre heures avant que le Fonds se prononce sur le cas gabonais.
Libreville sollicitait la conclusion d’un accord de confirmation (Standby Agreement) pour pouvoir bénéficier d’un réaménagement de sa dette. Cet accord va porter sur une durée de
quatorze mois, à l’issue de laquelle le pays devrait se voir accorder une facilité de crédit élargie d’une durée de trois ans, accompagnée d’un concours financier de 135 millions de dollars (78 milliards de F CFA). En rétablissant des relations avec le FMI, Libreville devrait d’ores et déjà renégocier un rééchelonnement de sa dette extérieure
d’ici au 15 juin avec le Club de Paris, qui regroupe les créanciers publics de l’État gabonais. Le montant de l’ardoise susceptible d’être effacé se chiffre à 600 milliards de F CFA, sur une dette globale de 2 200 milliards de F CFA.

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