À Madagascar, l’inquiétant business des enlèvements
C’était il y a cinq ans mais André s’en souvient comme si c’était hier. Un commando armé l’a braqué devant chez lui, roué de coups et séquestré pendant sept jours pour obtenir une forte rançon, au seul prétexte qu’il était censé être riche.
Depuis des années déjà, Madagascar est le théâtre d’une inquiétante vague d’enlèvements crapuleux dirigée en priorité contre la communauté indienne, les « Karanas », forte de quelque 15.000 membres.
Les autorités semblent incapables d’enrayer le phénomène.
Par peur de représailles, André, la cinquantaine, n’a accepté d’évoquer son calvaire que sous couvert d’un prénom d’emprunt.
La vie de ce Karana en a été marquée à jamais. « Aujourd’hui, je suis malade dès que j’entends qu’il y a eu un kidnapping en ville, c’est devenu automatique », confie-t-il.
Ce matin-là, un commando de quatre personnes cagoulées et armées de fusils d’assaut l’enlève devant son domicile et l’embarque en voiture vers une destination inconnue.
Passé à tabac, il est détenu dans une chambre, ligoté, les yeux bandés. Des négociations s’engagent rapidement entre sa famille et les ravisseurs, qui le libèrent sept jours plus tard contre une rançon dont il refuse de donner le montant.
Bouleversé, l’homme décide de se mettre un temps au vert à l’étranger.
« Je suis revenu et je me suis mis au sport mais c’est une expérience que je n’oublierai pas », raconte-t-il.
Convoitises
Les Karanas ont commencé à émigrer d’Inde vers Madagascar à la fin du XVIIe siècle. Nombre d’entre eux ont gardé la nationalité française après l’indépendance en 1960. Souvent commerçants, ils occupent une place de choix dans l’économie malgache.
En 2017, le magazine Forbes en recensait trois parmi les grosses fortunes d’Afrique francophone. Hassanein Hiridjee, le PDG du groupe Axian (télécoms), Ylias Akbaraly à la tête de Sipromad (entretien) et Iqbal Rahim, patron de Galana (pétrolière).
Dans un pays où 90% de la population vit avec moins de deux dollars par jour, leur succès suscite toutes les convoitises.
Ces dix dernières années, une centaine d’enlèvements visant la communauté karana ont été signalés. Et le phénomène s’accélère. « De ce que l’on sait, on a recensé 14 cas depuis 2017, un record », indique le directeur Collectif français d’origine indienne de Madagascar (CFOIM), Jean-Michel Frachet.
Parmi ces récents dossiers, celui d’un jeune homme. « Je ne m’attendais pas à ce que notre famille soit victime de cet acte-là », raconte son père, lui aussi sous couvert de l’anonymat, « nous sommes des citoyens lambda tout à fait corrects qui n’ont pas fait de bêtise particulière ».
Même s’il est patron d’une entreprise qui emploie 250 personnes, il n’a pas compris pourquoi son fils avait été la cible de ravisseurs.
« Ils étaient très mal informés sur ma richesse personnelle car ils m’ont demandé une rançon impossible à payer, elle représentait cinq siècles de mon salaire », affirme-t-il. Avant de confier qu’il l’a quand même payée pour obtenir la libération de son fils…
Créé l’an dernier, le CFIOM a décidé de taper du poing sur la table pour interpeller les autorités et « stopper l’escalade ». Le mois dernier, il a organisé un concert de klaxons et de casseroles dans la capitale Antananarivo. Cinq minutes de tapage pour dire « Aok’zay », « l’insécurité, ça suffit ! »
Représailles
Jusque-là plutôt discret, le président malgache Hery Rajaonarimampianina a diffusé récemment une vidéo sur les réseaux sociaux dans laquelle il déplore la situation « inacceptable » vécue par les membres de la communauté karana.
Il y a six mois, la police, la gendarmerie et la justice malgaches ont également mis en place une cellule spéciale de lutte contre les rapts. « Des investigations et des enquêtes approfondies ont été menées et se poursuivent », a-t-il insisté.
La justice a elle aussi commencé, timidement, à sévir. L’an dernier, un tribunal a, pour la première fois, infligé des peines exemplaires de travaux forcés à perpétuité à une vingtaine de personnes qui avaient participé en 2015 au rapt de deux adolescents de la communauté karana.
Malgré cette prise de conscience, la lutte contre les kidnappings reste difficile. Pour ne pas attirer l’attention, de nombreuses victimes préfèrent ne pas porter plainte.
« La situation est tendue pour notre communauté, la peur des représailles existe et le choix de la discrétion sur le sujet s’impose », justifie Jean-Michel Frachet. « La communauté (karana) reste mal comprise par la population du pays. »
Le responsable du CFIOM craint une reprise des « opérations karanas » ou OPK, ces pillages des commerces indiens fréquents lors des manifestations politiques qui ont agité Madagascar dans les années 1990 et 2000.
« Aujourd’hui, on voit sur les réseaux sociaux des appels à l’OPK », regrette M. Frachet. « Nous mettons en place avec nos avocats un dispositif pour traîner en justice tous les auteurs d’incitation à la haine raciale et religieuse ».
Inquiets, certains Karanas ont préféré quitter Madagascar.
André, lui, a choisi de rester malgré la peur. « Nos vies et nos affaires sont ici », confie-t-il. « J’ai juste engagé des gardes du corps pour nous protéger. »
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