Maghreb : religion ou politique, les caméras cachées du ramadan font le buzz au mépris de l’éthique
La période du Ramadan voit fleurir sur les écrans télévisés les fameuses caméras cachées qui attirent un large public, du Maroc à l’Égypte. Et la quête d’audience se fait parfois au mépris de l’éthique la plus élémentaire.
De faux kidnappings, de faux accidents de voiture, des personnalités contraintes à déclamer la profession de foi ou testées sur leur degré de patriotisme… Les émissions de caméras cachées qui se multiplient en cette période ramadanesque rivalisent d’inventivité pour attirer les téléspectateurs, quitte à faire montre de violence gratuite ou à oublier toute éthique professionnelle.
Cette année, c’est la caméra cachée « Shalom », diffusée par la chaîne Tunisna TV, qui suscite la polémique en Tunisie. À tel point que la Haute autorité indépendante de la Communication audiovisuelle (HAICA) a décidé d’apporter des modifications à l’émission, et que le Syndicat national des journalistes tunisiens a appelé à la boycotter.
Des polémiques permanentes
Le principe de ce programme : piéger des personnalités politiques et publiques tunisiennes en leur proposant de collaborer avec Israël, « l’entité sioniste », en échange d’importantes sommes d’argent. Certains Tunisiens y voient une manière de démasquer les personnalités publiques corrompues quand d’autres dénoncent une chasse aux sorcières au moyen de subterfuges inacceptables sur le plan moral.
L’homme politique Abderraouf Ayadi, premier piégé, a porté plainte contre l’émission. La HAICA a ordonné le retrait de cet épisode des réseaux sociaux. La pertinence de ce test de « loyauté à la patrie » est de fait discutable, au vu de la présence d’hommes armés dans la mise en scène. Le syndicat national des journalistes tunisiens y voit quant à lui une volonté de créer le buzz, et accuse la caméra cachée d’enfreinte à la déontologie du métier.
Pour Riadh Ferjani, sociologue des médias, l’émission révèle une logique de mercenaires, qui n’ont que des motifs financiers
Le présentateur de l’émission, Walid Zribi, qui a porté plainte contre Abderraouf Ayadi après avoir reçu des menaces de mort, se défend : « Cette émission permet de connaître la véritable intégrité de nos hommes politiques », affirme-t-il. Pour Riadh Ferjani, sociologue des médias et professeur à l’Université Tunis-Manouba, l’émission révèle au contraire « une logique de mercenaires, qui n’ont que des motifs financiers sans aucune éthique. Et les succès d’audience ne signifient en aucun cas une adhésion du public à ces programmes », ajoute-t-il.
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C’est notamment le cas en Algérie, où un jeune footballeur s’est récemment vu accusé de dopage et piégé par de faux journalistes, sur Ennahar TV. En 2017, une caméra cachée algérienne avait déjà suscité la colère de nombreux téléspectateurs, dont celle du président Bouteflika en personne.
L’écrivain Rachid Boudjedra avait été interrogé sur son athéisme et contraint de prononcer la « chahada », la profession de foi, par des hommes en armes. Une scène qualifiée « d’ignominie » par le gouvernement.
Enfin, en Égypte, les dérapages vont jusqu’à la simulation de kidnappings pas l’État islamique. L’actrice Heba Magdy en a été victime en 2016, s’effondrant en pleurs sous le choc pendant que les caméras tournaient sans scrupule.
Un environnement médiatique mal cadré
Ces polémiques à répétition soulèvent naturellement la question de l’éthique des programmes audiovisuels, tout comme celle de leur régulation. En Tunisie, la HAICA a seulement interdit la rediffusion du premier épisode de « Shalom » et ordonné le retrait de l’image du drapeau israélien du générique, sans interdire le programme. Plus globalement, les organes de régulation de l’audiovisuel n’ont que très peu d’indépendance vis-à-vis des pouvoirs politiques ou médiatiques.
Le sociologue des médias Riadh Ferjani, qui a démissionné de la HAICA en 2015, cite plusieurs obstacles à une information de qualité et dénonce un environnement télévisuel plus axé sur l’« infotainment », qui ne viserait pas selon lui le divertissement mais le « détournement de l’attention ».
Et de souligner le manque de fiabilité des instituts de sondage chargés de donner les chiffres d’audience, en accusant les chaînes de télévision de « nuire à la santé, avec des débats qui n’ont de débat que le nom », et en appelant de ses vœux l’émergence de médias alternatifs.
« La télévision ne définit pas le réel. Les producteurs actuels pensent qu’ils sont en train de créer le réel, alors que leurs programmes sont très loin de ce que vivent les Tunisiens et de ce qui les intéresse », conclut-il.
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