Bain de sang place Tiananmen

Publié le 1 juin 2004 Lecture : 3 minutes.

L’image de ce jeune homme bloquant une colonne de chars sur la place Tiananmen, le 3 juin 1989, est devenue le symbole du « Printemps de Pékin ». Cette « scène emblématique » figure sur la couverture du livre d’Alain Peyrefitte, La Tragédie chinoise, publié en 1990 (Fayard). Au verso, ce commentaire : « Interprétation de l’Occident : le courage d’un seul homme suffit à enrayer la mécanique aveugle de la force. Explication du gouvernement chinois : les troupes avaient reçu instruction d’éviter à tout prix de verser le sang. » Les ruses de l’Histoire sont telles que, quinze ans après la tragédie, aucune de ces deux lectures ne s’impose.
Après six semaines où la Chine a cru tout possible, l’intervention de la troupe dans la nuit du 3 au 4 juin 1989 donne un coup d’arrêt à la contestation étudiante. La presse de l’époque est à peu près unanime. « L’espérance assassinée », titre ainsi Jeune Afrique le 14 juin.

Circonspect, Peyrefitte s’est rendu en Chine en août et septembre 1989 pour « mener des investigations plus précises ». Il a, dit-il, « entendu plus de deux centaines de témoins » – en tête à tête. Parmi ces témoins, le Premier ministre Li Peng, fils adoptif de Zhou Enlai, dont il a recueilli une interview : quatorze pages dans le livre. Citation : « Pour savoir si les capitalistes et les hommes d’affaires occidentaux et en particulier français vont continuer ou non à travailler avec la Chine, il faut considérer : primo, si le régime est stable ; secundo, si la politique de la Chine reste inchangée. Si ces deux conditions fondamentales sont remplies, les hommes d’affaires et les capitalistes reviendront. Ce qui les intéresse, ce sont les profits et non point l’idéologie ! Or le régime de la Chine est stable. »
En cette année 2004, la Chine est devenue un des phares de l’économie mondiale. Les « capitalistes », y compris français, se battent pour y affirmer leur présence. Les « conditions » étaient donc bien remplies, et Deng a eu manifestement raison sur la durée. Mais à quel prix ? Jusqu’où est allé le « bain de sang » de Tiananmen ?
Le premier point est que le « massacre » est sans commune mesure avec les horreurs et les famines du Grand Bond en avant (1958-1960) et de la Révolution culturelle (1966-1967), qui ont fait, selon Le Livre noir du communisme, 65 millions de morts. L’origine du mouvement de contestation a été le début d’ouverture amorcé par Deng à la fin des années 1970. « Les étudiants de Tiananmen étaient les enfants de Deng », écrit Peyrefitte. Il explique : « La sévérité de l’époque maoïste avait provoqué d’énormes frustrations. Dès qu’un peu de liberté leur a permis de s’exprimer, elles se sont avivées au point d’exploser. » Le déclic est, le 15 avril, la mort de Hu Yaobang, secrétaire général du Parti, symbole du libéralisme. Une manifestation pour lui rendre hommage est interdite, 300 000 personnes viennent à ses obsèques. La vague enfle. Le 15 mai, Mikhaïl Gorbatchev, père de la Perestroïka, arrive à Pékin : on ne peut pas matraquer devant lui. Après son départ, le 19 mai, on décrète la loi martiale. Elle ne marche pas. Fin mai, à plusieurs reprises, plus d’un million de personnes envahissent le centre de Pékin. Au gouvernement, faucons et colombes se mettent, cette fois, d’accord : l’armée doit intervenir.

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A-t-elle « évité de verser le sang » ? Selon Chen Xitong, maire de Pékin, lui aussi longuement interviewé par Peyrefitte, il n’y aurait eu qu’environ trois cents morts. Le bilan dressé par Le Livre noir du communisme est plus sévère : « Un gros millier de morts, peut-être dix mille blessés, à Pékin ; des centaines d’exécutions en province. »
« Pourquoi, se demande Peyrefitte, s’est-on tant scandalisé de ce millier-ci, et si peu des dizaines de millions de morts d’avant ? » Il est aujourd’hui évident qu’on s’était fait des illusions sur les Chinois, en France notamment, et pas seulement les « maoïstes ». En juin 1989, on ne leur pardonnait pas d’avoir « saccagé l’idéalisation exotique » qu’on avait faite de leur pays. Ainsi vont les peuples.

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