Un nouveau boss pour Marseille

Ex-journaliste, ex-agent de stars du ballon, Pape Diouf est le nouveau directeur sportif de l’OM.

Publié le 1 juin 2004 Lecture : 4 minutes.

C’est bien connu, le journalisme mène à tout, à condition d’en sortir. La trajectoire de Pape Diouf le démontre une nouvelle fois. Mardi 4 mai, l’ancien chroniqueur à La Marseillaise et dans l’éphémère quotidien Le Sport est nommé directeur sportif de l’Olympique de Marseille (OM) par son ex-confrère et actuel président du club phocéen, Christophe Bouchet. Il a fallu de courtes négociations et la bénédiction du grand argentier, Roger-Louis Dreyfus, pour que le Franco-Sénégalais rejoigne le groupe de tête du légendaire OM.
Quelle revanche pour un homme qui, il y a trente-cinq ans, n’était qu’un petit employé des PTT de Marseille !
L’histoire de Diouf, c’est celle d’un jeune émigré qui aimait le foot. Né à Abéché, au Tchad, Pape passe son enfance à Dakar avant de débarquer sur la Canebière en 1969, à 18 ans, BEPC en poche. Son père, huissier à l’ambassade de France au Sénégal, veut qu’il fasse carrière dans l’armée française. Mais Pape n’est pas attiré par l’uniforme. Il passe et réussit un concours aux PTT. À la Poste, il fait la connaissance d’un inspecteur corse, un certain Toni Salvatori qui, en 1985, lui propose de faire des piges à La Marseillaise, le quotidien communiste local. Il accepte volontiers. Sa carrière de journaliste est lancée. Non seulement le jeune Diouf démontre qu’il connaît bien le foot, mais aussi qu’il sait bien en parler.
Pendant quinze ans, il va vivre les grands et petits moments de l’OM et observer l’évolution d’un sport qui, au fil des compétitions, subit les conséquences d’une « modernisation » brutale et rapide. Sa pénétration par la finance devient, au fil des saisons, la chose la plus nécessaire et la plus naturelle du monde. « Esprit libre, brillant et rigoureux à la fois », plume incisive, Pape témoigne, avec lucidité et sans complaisance des mutations du ballon rond dans les colonnes de La Marseillaise puis de L’Hebdomadaire, et enfin du Sport, un concurrent malheureux de L’Équipe. Il devient spécialiste de l’OM mais refuse de « céder au charme » de Bernard Tapie, qui lui lance : « Toi, tu es le Black le plus intelligent que je connaisse ! »
Au Stade-Vélodrome, Diouf se lie d’amitié avec le Camerounais Joseph-Antoine Bell, le Franco-Ivoirien Basile Boli et le Ghanéen Abedi Pelé, dont il devient l’ami, le confident et le conseiller bénévole. Quand Le Sport cesse de paraître, les « petits frères » l’encouragent à devenir leur imprésario. L’idée le séduit et, en 1988, le reporter, double lauréat du prix Martini régional récompensant le meilleur article de l’année, se mue, avec une étonnante facilité, en intermédiaire avisé ou plutôt en « administrateur de sport ». Il crée la société Mondial Promotion en prenant soin de s’entourer d’un cabinet d’avocats, pour toutes les questions juridiques, et d’un expert-comptable, chargé d’établir les déclarations d’impôts de ses mandants.
Il défend d’abord la Black Connection. Son premier objectif : faire en sorte que les footballeurs africains soient rétribués à leur juste valeur. Sa ligne de conduite : concilier les intérêts de toutes les parties : joueurs, clubs et fédérations nationales. « Pape, c’est un sage. Il est droit », affirme Basile Boli. Et de fait, l’ex-journaliste acquiert une bonne réputation auprès des pros expatriés de l’Hexagone. Il s’installe dans la profession d’agent. Élégant, sûr de lui, charmeur, le grand Pape a le verbe facile, la poignée de main chaleureuse. Il déploie, moustache drue et cigarette au bec, sa grande carcasse dans les tribunes et les vestiaires. Jamais pressé, toujours attentif, parfois susceptible et coléreux. La faconde sénégalaise et la rigueur cartésienne. Sérieux et crédible pour les dirigeants des clubs, même si on dit de lui qu’il sait être roublard et souffler le chaud et le froid. Bref, les ingrédients de la réussite ne lui manquent pas. Et son écurie gonfle. Jusqu’à compter aujourd’hui une cinquantaine de joueurs, dont plusieurs grosses pointures (citons Marcel Desailly, Didier Drogba, William Gallas, Grégory Coupet, Peguy Luyindula et autre Rigobert Song…).
Pape n’oublie pas pour autant son pays. En 1991, il fonde à Dakar un hebdomadaire, Le Sportif, qui ne survivra pas longtemps à l’échec des Lions du Sénégal à la Coupe d’Afrique des nations en 1992. Dix ans plus tard, il est proche de la bande à Bruno Metsu qui s’illustrera sur les pelouses de Corée et du Japon à l’occasion du Mondial 2002. Plusieurs Lions d’Asie (Khalilou Fadiga, Habib Beye, Omar Daf, Pape Thiaw, Henri Camara et Aliou Cissé) sont sous contrat avec Mondial Promotion.
Au début des années 1990, Diouf est en place à Marseille lorsqu’il sympathise avec un journaliste de l’AFP, Christophe Bouchet. Il l’introduit dans le milieu sportif marseillais. Les deux hommes resteront en relation, en particulier après que Christophe Bouchet eut pris la présidence de l’OM, en 2002. En janvier 2004 justement, il est en piste pour recruter un directeur sportif, après le limogeage de l’entraîneur Alain Perrin. Bouchet sollicite sans succès Laurent Blanc, l’ex-capitaine de l’équipe marseillaise. Puis il se tourne vers son ami Pape Diouf. Dès le 3 mai, le Franco-Sénégalais dit « oui » et signe pour trois ans. Il sera directeur sportif, responsable de l’ensemble du domaine technique – entraîneurs, joueurs, intendance et staff médical – et, surtout, du recrutement. Le boss, quoi ! « À 52 ans, confie le nouveau manager olympien dans France Football, j’arrive à un tournant. L’OM, c’est la dernière folie de ma vie. J’ai fait le tour du métier d’agent. C’est devenu une activité « merdique ». […] Je ne m’y retrouve plus. Je ne fais plus un métier en phase avec ce que je suis. Je tourne la page. Rejoindre l’OM, c’est le choix risqué de ma vie ! C’est une maîtresse charmante qui habite à quelques mètres de chez moi depuis longtemps. Là, je vais dans ses bras. Elle me fait confiance, j’ai aussi confiance en moi. »
Première tâche du nouveau boss : recruter les joueurs en mesure d’amener l’équipe au sommet du classement en France et en Europe. Il y a fort à parier que le repos, Pape Diouf ne le connaîtra pas dans sa « quatrième vie ».

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires