Une rose pour Nehru

Publié le 1 juin 2004 Lecture : 2 minutes.

Nous le louerons d’avoir voulu être un guide dans une époque où l’on exalte les cerbères. Nous le louerons d’avoir été maître par la pensée et non par la cravache. Nous le louerons d’avoir eu la puissance et de n’en avoir point abusé. Ceux pour qui toutes les contraintes sont bonnes lui reprochent de ne pas s’être attelé à la transformation rapide et globale de l’Inde par des moyens d’exception. D’autres que Nehru, par ambition ou par impatience, eussent produit des décrets à la chaîne, remué les profondeurs de cette terre immobile, secoué la méditation séculaire de ce peuple étrange. Ils eussent brisé les résistances, institué des systèmes punitifs et annoncé des « bonds en avant » dont la trace se retrouvera plus tard dans les archives et pas toujours dans la réalité. […]
De Nehru, nous avons connu les faiblesses et même les défaillances. Il restera, pourtant, dans l’histoire du Tiers Monde, l’un des très rares chefs qui n’aient pas désespéré de la démocratie. Qui donc accepterait aujourd’hui de gouverner cinq cent millions d’hommes par la persuasion ? Quel est le Premier ministre permanent jouissant d’une autorité morale et d’un prestige pareils à ceux de Nehru, qui laissera une double opposition, de droite et de gauche, l’assaillir de ses critiques et tenir en échec ses projets ? […]
Pays de toutes les différences, de tous les clivages, des paradoxes sociaux et des mythes les plus enracinés, l’Inde avait moins besoin d’un dictateur que d’un médiateur. Et c’est précisément dans le sens d’une large médiation humaine que Nehru a toujours cherché à exercer son action. […]
À Bandoeng, à Belgrade, à New York, Nehru a plaidé la cause d’un neutralisme auquel certains souhaitaient peut-être qu’il insufflât davantage de passion. Nehru était-il donc un « tiède » ? Nous ne le croyons pas car ce que l’on a pris pour de la tiédeur, c’est la conscience qu’il avait de l’extrême fragilité des rapports entre les nations. En la personne de Jawarhalal Nehru, le Tiers Monde perd un homme de mesure. Sa dévotion allait en premier lieu à l’Inde, mais sa sagesse était ouverte à tous.

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