Un an après l’apocalypse

Le 21 mai 2003, la région de Boumerdès, à l’est de la capitale, était dévastée par un terrible tremblement de terre. Comment vivent aujourd’hui les rescapés ? Reportage.

Publié le 1 juin 2004 Lecture : 5 minutes.

Boumerdès fut longtemps une coquette cité balnéaire, l’une des plus prisées du Grand Alger. Aujourd’hui, en arrivant de la capitale, l’entrée de la ville n’est plus qu’un immense chantier. Partout des grues déchirent le ciel. De nouvelles constructions ont déjà vu le jour, d’autres sortent à peine de terre. Le 21 mai 2003, il y a tout juste un an, Boumerdès et sa région ont été dévastés par un terrible tremblement de terre (6,8 sur l’échelle de Richter) qui a fait plus de deux mille victimes (voir tableau p. 40).
La rue est noire de monde et les commerçants s’affairent. Un peu plus loin, en contrebas d’une petite route, des dizaines de chalets blancs ou verts s’alignent sur un terrain vague appartenant à la commune. Quelques vaches paissent, çà et là. Aucun panneau ne l’indique, mais nous sommes à Derrich, l’un des cent un sites de chalets que compte la wilaya (département). Près d’une centaine de familles vivent ici depuis plusieurs mois.
C’est le cas des Boucherih, d’anciens locataires de la « cité des 1 200 Logements », à Boumerdès. Construit dans les années 1970 avec l’aide des Soviétiques, le quartier n’est plus désormais qu’une cité fantôme, dont le seul nom suffit à évoquer la catastrophe. Des centaines de locataires ont perdu la vie dans l’effondrement des immeubles. « Au lendemain du séisme, nous n’avions nulle part où aller, témoigne Khoukha Boucherih, la mère, alors nous avons squatté l’école primaire. On s’est organisés avec les moyens du bord, mais aucune aide étrangère ne nous est jamais parvenue. C’est surtout le peuple algérien qui s’est mobilisé. Nous avons reçu des dons de toutes parts. Une fois, un plat de couscous, une autre fois, des vêtements… C’était très touchant. Les administrateurs, eux, n’ont débarqué que deux mois plus tard. Mais la vérité est que nous n’avons jamais manqué de l’essentiel : l’eau et la nourriture. » Trois mois durant, la famille Boucherih a survécu tant bien que mal, dans la hantise de l’arrivée des pluies d’automne. « Les travaux avaient commencé au rez-de-chaussée et au premier étage de notre immeuble, alors nous sommes rentrés chez nous, au quatrième », poursuit Khoukha.
Rien de tel pour Rachid, sa femme et leurs cinq enfants. Eux aussi étaient locataires aux « 1 200 ». Et ils ont tout perdu en quarante-quatre secondes. « Je venais de sortir pour faire ma prière du maghreb [crépuscule] à la mosquée, raconte le père de famille. L’appel du muezzin n’avait pas encore retenti quand nous avons entendu un terrible craquement. Ça a commencé à bouger de bas en haut, puis de gauche à droite. C’est à ce moment-là que les bâtiments se sont effondrés sous nos yeux, les uns après les autres. » Plusieurs des cinq enfants du couple ont dû être extraits des décombres. Le petit dernier, âgé de 9 ans, a été retrouvé hébété sous un meuble, la main rivée à la télécommande de la télévision. « Aujourd’hui, ça va mieux, indique Rachid. Nous avons bénéficié d’un soutien psychologique. »
Mais le traumatisme est toujours là, ravivé à chaque réplique. La plus forte a eu lieu le 10 janvier : 5,7 sur l’échelle de Richter. Ce soir-là, aucune bâtiment ne s’est écroulé, mais on a relevé plus de quatre cents blessés entre Boumerdès et Alger. Beaucoup ont cédé à la panique et sauté par la fenêtre de leur appartement… « On a vraiment eu la trouille, avoue Khoukha. Du coup, on passait la journée aux 1 200 et la nuit chez des amis. Ça a duré une dizaine de jours. Fin janvier, on a fini par s’installer dans les chalets. »
Comme les Boucherih, plus de huit mille familles vivent aujourd’hui dans des préfabriqués pompeusement baptisés « chalets ». Sur la route de Boumerdès à Zemmouri, en bordure de mer, on les prendrait presque pour des bungalows de villégiature. Il y a le camp du Sahel, celui des Sablières, celui des Figuiers… Quelques kilomètres plus loin, à Thénia, il y a celui de Sghirat, où Rachid et sa famille ont été relogés. À sept dans 36 m2, mais qu’importe : « Cette misère, c’est presque le paradis, affirme Rachid. Ici au moins, on est chez nous, entre quatre murs, alors qu’avant on vivait avec d’autres familles dans une école d’ingénieurs. C’était un véritable calvaire, il y avait toujours de la bagarre. »
Pendant sept mois, ils ont dormi dans une classe, supporté la vie en communauté, attendu jour après jour la livraison des chalets promis par l’État. Une fois installés, les sinistrés n’étaient pas pour autant au bout de leurs peines. Au premier jour de pluie, l’eau s’est infiltrée de toutes parts. « Les précipitations ont été très abondantes cette année, commente Rachid. Chaque fois qu’il pleuvait, on passait nos nuits à éponger. Finalement, on a colmaté les brèches par nos propres moyens. » Idem pour le ralentisseur qui barre la route menant aux chalets. « Des jeunes venaient ici pour faire du rodéo avec leur voiture, reprend-il. On a construit nous-mêmes ce dos d’âne pour éviter les accidents. » Car dans le camp, la police brille par son absence. Pas même un garde communal pour assurer des rondes. C’est tout juste si les gendarmes acceptent de se déplacer lorsque des chalets vides sont occupés en pleine nuit. « On a vu des gens venir ici pour boire et faire la fête. Ils ont ouvert un chalet et commencé à mettre de la musique, mais on les a délogés. On n’est pas en vacances, quand même ! » peste Rachid.
Officiellement, tous les sinistrés de Boumerdès ont été relogés, au moins provisoirement. Pourtant, beaucoup de logements restent inhabités. « Certains responsables n’hésitant pas à vendre des chalets », jure un résident. Selon lui, un préfabriqué se négocie autour de 50 000 dinars (580 euros). Les acheteurs ? « Des gens qui comptent les utiliser pour les vacances. Revenez cet été, vous verrez ! »
D’ici là, les plus optimistes espèrent bien avoir regagné leur maison. Mais, bien sûr, « tout dépend des entrepreneurs ». « Je passe tous les jours à la cité pour voir l’état des travaux, se lamente Rachid. Mais ça n’avance pas, ça recule même ! Ce matin encore, j’ai constaté que le mur de mon appartement fraîchement refait n’était pas droit. À ce rythme-là, quand allons-nous pouvoir revenir ? »
Même incertitude chez les sinistrés classés « rouge ». Ceux dont les maisons sont définitivement inhabitables, voire déjà démolies. Ballottés de tentes de fortune en salles omnisports, ils ont fini par emménager dans les chalets, presque heureux d’avoir enfin un intérieur. « On est toujours mieux ici que sous la tente », confirme Chakib, 19 ans.
Premiers arrivés dans les sites, les « rouges », comme on les surnomme, seront sans doute les derniers à quitter les lieux. « D’ici à 2005-2006 », promet-on du côté de la wilaya. Inch’Allah.

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