Témoignage. Hamida Bensadia, 43 ans(*)
« Je suis née en France, à Clamart, en 1951, de parents ouvriers kabyles. Très attachés à l’éducation, ils voulaient que je poursuive des études supérieures. C’était leur projet pour moi. Après, il y a eu les aléas de la vie, la condition d’exilé et le déracinement, autant d’éléments qu’on ne peut ignorer… Mes parents étaient venus en France pour survivre, mais leur départ d’Algérie était considéré comme une trahison vis-à-vis de leur patrie.
À l’été 1977, je suis partie en vacances dans mon pays d’origine, avec ma famille. Quinze jours après notre arrivée, j’étais mariée. J’avais 16 ans à peine. En 1973, déjà, on m’avait annoncé que mon cousin avait demandé ma main, ce qui était très flatteur pour nous tous. Quatre ans plus tard, quand je suis entrée en classe de seconde, je ne voulais plus de ce fiancé algérien. Comme je sentais que ce mariage allait me tomber dessus, j’ai fugué à deux reprises. Le juge des enfants a été saisi de l’affaire. Il a convoqué mes parents qui ont alors renoncé à cette union. C’est donc en toute tranquillité que je suis partie en vacances avec eux. Mais une fois en Algérie, mon père m’a dit : « Je suis désolé, mais il y a eu un accord. Si je reviens sur ma parole, je ne suis plus un homme et l’on va douter de l’éducation que je t’ai donnée. »
Au début, j’ai pensé qu’une fois mariée je pourrais divorcer rapidement. Mais je dépendais du code de la famille algérien… J’ai demandé le divorce des dizaines de fois, on me l’a refusé. À la fin des vacances, ma famille a regagné la France. Je suis restée en Algérie pendant treize ans, treize ans de misère : j’étais en prison. J’avais tout perdu, ma liberté, mes parents, mes frères et soeurs. Je n’allais plus à l’école et je n’avais pas le droit de sortir. J’étais tombée dans une famille archaïque.
J’ai eu mon premier fils à l’âge de 17 ans ; le second est né en 1984. Mon mari était un homme violent, qui voulait m’écraser et avoir tout pouvoir sur moi. J’ai décidé de mener jusqu’au bout le combat pour le divorce le jour où mon troisième enfant est mort. J’ai fait une grève de la faim pour décider mes parents à le demander en mon nom, puisque ma parole n’avait aucune valeur juridique. Une fois convaincus que c’était le seul moyen de me sauver, ils ont fait cette démarche. Lorsque j’ai enfin divorcé, en décembre 1989, je ne pesais plus que 39 kilos et j’étais en train de devenir folle. En quittant l’Algérie, j’ai perdu la garde de mes enfants. Je ne les ai récupérés que sept ans plus tard, lorsque leur père est mort.
À mon retour en France, en janvier 1990, on m’a considérée comme une étrangère. Je suis restée en situation irrégulière pendant trois ans, au cours desquels j’ai accumulé les petits boulots. J’ai fini par décrocher, à 40 ans, un diplôme d’études supérieures spécialisées (DESS) en développement social et urbain. Quand j’ai enfin obtenu la nationalité française, j’ai voulu me prévaloir de la convention franco-algérienne sur la garde des enfants issus de couples mixtes, mais on m’a rétorqué que je n’y avais pas droit parce que j’étais d’origine algérienne !
Pour que des jeunes filles ne soient plus mariées contre leur gré, il faudrait faire en sorte que les parents immigrés soient reconnus dans leurs droits. Ainsi, ils ne chercheraient plus à racheter leur dignité à travers le mariage de leurs enfants. Mes parents ne m’ont pas mariée pour me faire du mal mais pour mon bien, certes. Ils se sont trompés. »
* Militante de l’association Alternative citoyenne, numéro deux de la liste communiste aux élections européennes en Île-de-France.
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