Spirale de l’échec
Gbagbo et son entourage ; les Forces nouvelles et l’opposition ; Seydou Diarra et son gouvernement. L’ONU et la France peinent à trouver une solution à cette équation impossible. Marcoussis est-il caduc ?
Comment revenir sur une décision sans se renier ? Comment ne pas perdre la face tout en donnant à l’autre le sentiment qu’il n’a pas capitulé, qu’on ne lui coupe pas toute retraite ? Cruel dilemme de l’attelage au pouvoir à Abidjan depuis la signature, en janvier 2003, des accords de Marcoussis. Et davantage encore depuis que la décision du président Laurent Gbagbo de limoger, le 19 mai, trois des membres du « gouvernement de réconciliation nationale » a conduit le Premier ministre Seydou Diarra à lui indiquer par
écrit qu’il n’était plus en mesure de réunir le Conseil des ministres. Pour la première fois, le chef du gouvernement se rebiffait publiquement face à Gbagbo, au risque de faire capoter un processus de sortie de crise d’autant plus à l’agonie que chaque partie campe sur ses positions. Et ne semble prête à aucun compromis.
Le ras-le-bol du chef de l’État, qui l’a conduit à mettre un terme à ce qu’il appelle le « vagabondage » et « l’école buissonnière » de certains ministres, nourrit l’obsession de Guillaume Soro et de ses camarades des Forces nouvelles (ex-rébellion) de le voir purement et simplement quitter le pouvoir. Mais il ajoute aussi à la colère du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI, de l’ancien président Henri Konan Bédié), du Rassemblement des républicains (RDR, d’Alassane Ouattara) ou de l’Union pour la démocratie et la paix en Côte d’Ivoire (UDPCI, du défunt général Robert Gueï) qui boycottent les travaux du gouvernement depuis bientôt trois mois au motif que Gbagbo reste l’obstacle à la réconciliation, celui qui les empêche d’y travailler et qui leur mène une guérilla de tous les instants.
Jamais les accords de Marcoussis n’ont paru aussi caducs. Car ce nouveau blocage intervient au lendemain de la publication du rapport de l’ONU sur la répression sanglante de la « marche pacifique » des 25 et 26 mars, qui met directement en cause « les plus hautes autorités de l’État ». Et au moment où les députés PDCI et UDPCI ont décidé de déserter l’Hémicycle par solidarité avec leurs camarades ministres limogés. Blocage au niveau du gouvernement. Blocage à l’Assemblée nationale. Et à l’arrivée, le repli des ex-rebelles dans leur fief de Bouaké dans le nord du pays, le sentiment d’un retour au statu quo ante avec ses sit-in, ses marches et ses manifestations, avec la même surenchère, la même antienne que les « jeunes patriotes », partisans du président Gbagbo, entonnent à l’encontre des rebelles et de tous ceux qui sont soupçonnés de les soutenir.
Un jour, c’est le siège de la Radiotélévision ivoirienne (RTI) qu’ils menacent de prendre d’assaut. Un autre, c’est celui de l’ONU, un autre encore la primature, la France jouissant, elle, d’un traitement particulier pour le rôle ambigu dont on l’accuse. Ses appels au respect de la lettre et de l’esprit de Marcoussis sonnent comme une supplique, tout comme les injonctions du Conseil de sécurité, notamment celles du 25 mai qui passent pour des rodomontades. De fait, ni la France ni l’ONU ne semblent avoir prise sur l’issue de la crise ivoirienne. Elles peinent à relancer un processus que la première avait initié et conforté par l’envoi de quelque 4 500 soldats, et que la seconde, avec l’ensemble de la communauté internationale, avait entériné avant de le placer sous la protection des Casques bleus – 6 000 hommes au total d’ici à la fin de juillet prochain. Et la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), aujourd’hui retranchée derrière le pavillon onusien, ne voit pas, elle non plus, ses efforts récompensés.
Tout ou presque est pourtant là. Sauf l’essentiel : la volonté politique de donner corps aux accords de Marcoussis dont l’adoption, après dix jours de conclave, avait pourtant été saluée dans l’euphorie générale et au rythme de L’Abidjanaise, l’hymne national ivoirien. Et pas seulement des seules parties signataires. Seize mois après la formation d’un « gouvernement de réconciliation nationale », la Côte d’Ivoire n’est toujours pas gouvernée. Le pays est dans l’impasse, Marcoussis également, qui pourrait bien mourir de sa belle mort. Ce qui se noue aujourd’hui au sommet de l’État ne serait alors que la confirmation de l’acte de décès de l’une des rares solutions de sortie de crise.
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