Scandale à la Monuc

Les Congolais en rient amèrement. Mais les frasques sexuelles de certains fonctionnaires onusiens jettent le discrédit sur l’ensemble de la Mission.

Publié le 1 juin 2004 Lecture : 6 minutes.

Une opération de maintien de la paix des Nations unies comporte, cela va de soi, des risques. Depuis 1948, près de 2 000 fonctionnaires onusiens (dont 40 au cours des quatre premiers mois de 2004) ont perdu la vie dans différents théâtres de conflits en essayant de préserver ou de rétablir la paix. Et plusieurs milliers d’autres ont été blessés, ces dernières décennies, à Chypre, en Angola, au Cambodge et ailleurs. En dépit de cela, travailler pour l’ONU reste gratifiant. C’est une occasion pour beaucoup de jeunes (et de moins jeunes) idéalistes de « donner une chance à la paix », de voir du monde, de s’enrichir au contact de collègues venus des quatre coins de la planète, tout en percevant des émoluments confortables, qui plus est nets d’impôts. Chaque opération onusienne a, bien entendu, son lot de scandales et de brebis galeuses, dont les frasques font l’objet d’une enquête interne ou sont, parfois, étouffées.
Depuis plusieurs mois, la Mission de l’Organisation des Nations unies en République démocratique du Congo (Monuc) semble exceller dans le scabreux. Cas de pédophilie, prostitution à grande échelle, y compris avec des mineurs congolais des deux sexes, abus d’autorité, harcèlement sexuel, viols, tentatives de viols sont, hélas ! devenus monnaie courante, au point de jeter le discrédit sur le travail remarquable accompli sur place par une organisation internationale qui a réussi, en l’espace de cinq ans, à mettre un terme aux affrontements meurtriers dans un pays-patchwork naguère contrôlé par des chefs de guerre sadiques.
Que se passe-t-il donc d’inavouable au sein de la Monuc ? Il y a deux ans, une petite fille de 6 ans a été violée par un fonctionnaire onusien, à Goma, dans l’Est. Le coupable, un Casque bleu marocain, n’a pas été sanctionné et est rentré tranquillement dans son pays. En revanche, un citoyen russe occupant un poste de responsabilité a dû quitter discrètement la RDC sous protection militaire, pour éviter la pression de la famille d’une mineure dont il s’était amouraché. À Kinshasa, certains fonctionnaires onusiens font prospérer le marché lucratif de la prostitution et de l’industrie pornographique. Ils organisent gangbangs et partouzes, parfois avec des mineures. À Bunia, capitale de la province de l’Ituri, dans le nord-est, certains Casques bleus et employés de l’ONU ont transformé en bordels à ciel ouvert les camps de personnes déplacées, de pauvres hères qu’ils sont pourtant censés protéger.
À en croire un haut responsable de l’ONU à New York, quelques-unes de leurs proies sont, là encore, des mineures, obligées de vendre leur corps pour quelques misérables dollars. Trente affaires font l’objet d’une enquête. Le même signale par ailleurs, lors d’un entretien téléphonique, plusieurs cas d’agressions contre des Congolaises, mais aussi entre membres de la Monuc. Une gradée sud-africaine aurait ainsi été récemment violée par un de ses compatriotes, homme du rang. Et ce n’est pas tout. En avril dernier, un agent de la Monuc aurait eu, devant plusieurs témoins, choqués, un « geste déplacé » et suffisamment évocateur en direction de la plantureuse Madeleine Kalala, ministre congolaise des Droits humains…
« Il y a, hélas ! beaucoup de touristes sexuels parmi nous », admet, au téléphone, une responsable de la Monuc, qui compte actuellement près de 13 000 membres, des Casques bleus, des policiers, des fonctionnaires internationaux, originaires des cinq continents, et des employés locaux.. Les week-ends, certains bars de Kinshasa sont pris d’assaut par le personnel onusien à la recherche de sensations torrides. On peut ainsi apercevoir de longues files de voitures blanches estampillées « UN » garées, à partir du vendredi soir, devant des bistrots réputés chauds comme le Savananah, dans le quartier de la Gombe. Même dans une mégapole « en érection » comme Kinshasa et dans un pays où la « majorité sexuelle » est officiellement fixée à 15 ans, une telle frénésie choque, et pas seulement les âmes sensibles…
À Bunia, à 1 900 km au nord-est de la capitale, l’image du fonctionnaire onusien et du Casque bleu, coeurs vaillants et « messagers de la paix », est aujourd’hui largement écornée. À la tombée de la nuit, beaucoup de femmes seules, dont des mineures, se prostituent, de préférence avec le personnel onusien et les membres des ONG, pour pouvoir joindre les deux bouts. Leur lieu de ralliement : le bar de l’hôtel Ituri, situé sur l’avenue Patrice-Emery-Lumumba, transformé depuis plusieurs mois en bordel. « En passant à proximité, il y a quelques jours, j’ai entrevu par la porte grande ouverte un collègue en train de prendre du bon temps avec une gamine accroupie entre ses jambes », raconte un témoin.
L’affaire frise l’ignominie lorsque l’on apprend que le bar en question a été rénové avec du matériel subtilisé à la Monuc, et, surtout, qu’il a été repris par un fonctionnaire espagnol de la mission – jouisseur invétéré, partisan effréné du droit de cuissage, mais porte-parole local à ses heures -, et sa compagne congolaise, qu’il a réussi à faire recruter comme employée de la Monuc à Bunia. « Une opération de maintien de la paix est composée de gens venus de tous horizons, explique-t-on au siège des Nations unies, à New York. On a beau faire attention lors du recrutement, on ne peut éviter la présence dans nos rangs d’éléments dévoyés… » Soit !
Ces scandales à répétition n’ont, jusque-là, pratiquement pas fait l’objet de sanctions disciplinaires et pénales. Tout au plus les fonctionnaires mis en cause ont-ils été mutés, lorsque leurs méfaits devenaient trop voyants, vers d’autres villes ou d’autres théâtres d’opération. À moins qu’ils n’aient été reconduits, bien souvent en catimini, dans leurs pays d’origine. C’est le cas du lieutenant-colonel Zaïbi, dont le comportement « nuisait fortement à l’image de la Monuc ». Pris en flagrant délit d’agression sexuelle et en état d’ébriété sur la voie publique, il devait être rapatrié fin mai en Tunisie. À Bunia, la directrice de la Monuc en Ituri, la très énergique Dominique Aït Ouyahia McAdams, a beau rappeler son monde au respect du code de bonne conduite de l’ONU qui interdit, sous toutes les latitudes, les relations sexuelles avec les moins de 18 ans, édicter une note de service établissant un « couvre-feu » entre 22 heures et 6 heures du matin pour le personnel onusien, ou inviter ses collègues à ne plus fréquenter le bar de l’hôtel Ituri, rien n’y fait.
Les frasques de Bunia sont, bien entendu, remontées à Kinshasa, puis à New York. Fred Eckart, le porte-parole de Kofi Annan, tout comme le patron des opérations de maintien de la paix, Jean-Marie Guéhenno, qui s’est récemment rendu en RDC, ont promis une enquête et des sanctions. Qu’on attend toujours. Dégoûté par les accusations portées contre le personnel du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, il y a deux ans, pour des faits similaires en Afrique de l’Ouest, le secrétaire général avait décrété la « tolérance zéro » en matière de violences sexuelles et d’exploitation des populations locales. Apparemment, tout le monde ne semble pas l’avoir compris. « Le nombre de véhicules onusiens stationnés la nuit devant le bar de l’Ituri n’a jamais vraiment diminué, assure un témoin privilégié, à Bunia. Le plus grave, c’est que la mauvaise réputation et les conneries d’une minorité risquent d’avoir des répercussions fâcheuses pour l’ensemble de la Mission. Il est donc temps de passer aux actes. »
En attendant, la Monuc, dont l’écrasante majorité des fonctionnaires est honorable, est en passe de devenir la risée des Congolais, qui ne ratent aucune occasion d’épingler ces « émissaires de la paix qui se traînent au bras de nymphettes, les poches bourrés de dollars ». La nuit, assurent ces derniers, le sigle « UN » s’inverse pour devenir subitement « NU » et « Monuc » se transforme en « Mo-nique ».

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