Pour le malheur et pour le pire

En France, les jeunes femmes issues de l’immigration n’hésitent plus à raconter le calvaire qu’elles vivent auprès d’un mari qu’elles n’ont pas choisi. Voire à se révolter.

Publié le 1 juin 2004 Lecture : 3 minutes.

Chaque année, des jeunes filles d’origine étrangère, nées en France, sont confrontées à un cruel dilemme : se résigner à convoler avec un inconnu à qui elles ont été promises sans avoir été consultées, ou refuser ce triste sort en fuguant et en rompant, parfois définitivement, avec leur famille. À en croire les travailleurs sociaux, les mariages forcés constituent aujourd’hui la principale violence exercée à l’encontre des adolescentes issues de l’immigration. Si les statistiques avancées par les différentes associations qui luttent contre cette pratique sont en hausse, cela ne signifie pas que ces mariages sont plus nombreux que par le passé. Mais plutôt que le sujet n’est désormais plus un tabou.
En 2003, Voix de femmes, la seule association française qui se consacre exclusivement à cette lutte, a été saisie par cent cinquante-cinq personnes, soit 19 % de plus qu’en 2002. Dans 56,1 % des cas, elles ont pris contact avec cette structure implantée à Cergy-Pontoise, au nord-ouest de Paris, avant leur mariage, et dans 44,9 % des cas après sa conclusion. « Près de 66 % des femmes concernées sont âgées de 14 ans à 21 ans », souligne Christine Jama, juriste de formation et responsable de cette association fondée en 1998 par Nadia Abou, qui fut elle-même mariée contre son gré. « 52 % d’entre elles sont encore scolarisées, 14 % sont entrées dans la vie active. Mais 25 % des victimes ont dû interrompre leurs études ou cesser toute activité professionnelle à la suite d’une union forcée », poursuit-elle.
Même son de cloche du côté du Gams (Groupe femmes pour l’abolition des mutilations sexuelles), dont la présidente, Isabelle Gilette-Faye, souligne que ces mariages ne correspondent pas « à un phénomène marginal qui toucherait quelques familles restées archaïques ». « En France, chaque année, 70 000 adolescentes d’origine immigrée, âgées de 10 ans à 18 ans, sont mariées de force ou menacées de l’être. » Les jeunes filles les plus touchées sont originaires de Turquie, d’Afrique subsaharienne (Mali, Mauritanie, Sénégal…), d’Asie (Cambodge, Vietnam, Pakistan…) et du Maghreb. Elles sont souvent « réservées » dès avant leur naissance. Une garantie pour pouvoir « apprendre, avec le temps, à aimer leur mari » !
Si le nombre des unions forcées tend à décroître dans le pays d’origine, il en va tout autrement en terre d’exil, où la crispation identitaire joue à plein. « En Turquie, le taux moyen de mariages consanguins [plus ou moins imposés] est de 25 %. Dans les régions rurales, il est de 33 %. Mais il dépasse les 50 % au sein des communautés immigrées », confirme Pinar Hüküm, psychologue et responsable de l’association parisienne Elele-migrations et cultures de Turquie.
Pourquoi des parents marient-ils leurs enfants sans leur consentement ? La plupart, persuadés d’agir pour le bien de leur progéniture, cherchent à préserver leur culture d’origine, à échapper, par exemple, à la « honte » d’avoir un gendre d’une autre confession. Ils tentent aussi de « transcender » leur statut d’immigré en s’alliant à une famille restée au pays. Bien sûr, il subsiste, en parallèle, des mariages forcés « plus ou moins blancs » qui permettent, parfois moyennant finance, de faire entrer un proche en France par le biais des visas autorisés aux conjoints des nationaux français.
Mais quelle que soit leur raison initiale, ces mariages, une fois conclus, virent au cauchemar pour des jeunes filles soumises à des viols répétés, lesquels s’accompagnent souvent de violences conjugales, avec leur cortège de dépressions, de grèves de la faim ou de tentatives de suicide. Celles qui vivent en France peuvent obtenir le divorce ou, mieux, l’annulation de leur mariage, lorsqu’elles n’ont pas été mariées selon le droit coutumier. Quant à celles qui ont convolé « pendant les vacances » dans leur pays d’origine, seules les plus tenaces réussiront à se sortir de cet enfer quotidien. Comme l’atteste le parcours de Hamida Bensadia, mariée à l’âge de 16 ans contre son gré et qui n’a retrouvé sa liberté que treize ans plus tard (voir encadré ci-dessous). Pour elle, la meilleure façon de lutter contre les mariages forcés consiste à « appliquer concrètement l’égalité républicaine » : à supprimer les discriminations qui poussent ceux qui en sont les victimes à se réfugier dans des moeurs d’un autre âge.
Leila, elle, a choisi le document (Mariée de force, Oh Éditions) pour décrire son calvaire. « Mon père m’a dit, tu es en âge de te marier. […] Tu seras heureuse avec lui. » Moussa, de quinze ans son aîné, débarque du Maroc « amoureux fou des papiers et de la carte de séjour ». La cérémonie sera un simulacre, la nuit de noces, un viol, la vie de couple, des séances de bastonnade. Après six ans de combat acharné, Leila est aujourd’hui en instance de divorce. Son histoire est devenue publique, mais la jeune femme, qui signe sous son seul prénom, dissimule son visage…

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