Les griotes à la mode

Misant sur les sonorités traditionnelles, elles ont rencontré, au Nord comme au Sud, les attentes d’un public très différent.

Publié le 1 juin 2004 Lecture : 4 minutes.

Même la boule à zéro, Rokia Traoré fait encore et toujours parler d’elle. Tête d’affiche du festival « Musiques métisses » organisé à Angoulême du 28 au 31 mai, elle est depuis quelque temps devenue une figure incontournable de la nouvelle scène africaine. Tout commence il y a sept ans, lors d’un concert organisé dans le cadre de ce même festival. Elle n’a alors que 23 ans et, malgré un premier disque à son actif (Mouneïssa), elle est presque inconnue du grand public… Pourtant, le talent se lit déjà à quelques signes du destin. Plusieurs grands, à l’image d’Ali Farka Touré, l’ont déjà adoubée et adoptée. La même année, elle remporte le concours Découvertes Afrique, organisé par RFI. Le conte de fées peut s’écrire, et la magie du rêve opérer.
Son dernier et troisième album, Bowmboï, sorti en septembre 2003 s’est déjà vendu à plus de 75 000 exemplaires. Il a déjà reçu le titre de « meilleur album de l’année », lors des World Music Awards organisé par la BBC, le 9 mars dernier à Édimbourg, en Écosse. La carrière de Rokia Traoré s’inscrit donc dans la durée. Si l’artiste a su saisir la chance qui s’offrait, son talent personnel a fait le reste. Sa singularité, elle la doit à ses propres textes écrits en bamanan ou en français et à ses douces mélodies, égrenées comme des comptines. Sans oublier une instrumentalisation très traditionnelle, au son des balaba (xylophone), n’goni ou kora, et autres djembés… Son succès sur la scène française et internationale, elle le doit aussi beaucoup à sa maison de disques, Label Bleu, et particulièrement à son Label Indigo. Ce dernier a été lancé en 1992 par la maison mère avec l’envie de créer un concept de « musique ethnique moderne ».
Elle a également réussi à merveille son intégration dans la grande famille des musiciens maliens, conduite par Salif Keita et Ali Farka Touré. « Le fameux blues malien du grand Ali Farka Touré a d’abord déferlé sur les États-Unis avant de toucher l’Europe », explique Alain Mouafo, journaliste camerounais spécialisé dans la musique afro-antillaise. Mais pour des filles comme Nahawa Doumbia, Oumou Sangaré ou Coumba Sidibé, le succès a d’abord été malien avant de toucher le public francophone.
La première a toujours vécu au Mali, à Bougouni, où elle est née. Rapidement, après ses premières scènes au milieu des années 1970, Nahawa Doumbia devient une véritable star dans son pays. Elle s’est fait connaître en France lors d’un concert magique au festival Africolor, organisé en 1989, à Saint-Denis, en banlieue parisienne. Il s’est ensuivi une grande tournée et de nouvelles rencontres musicales : les samples du DJ Fred Galliano ou l’improvisation jazz du guitariste Claude Barthélemy… Dans son dernier album, Diby, sorti en mars dernier, elle laisse s’envoler les mélodies du n’goni de Moriba Koïta.
Autre diva, autre histoire : Oumou Sangaré. Fille d’une chanteuse, elle a fait ses premiers pas avec l’Ensemble instrumental national du Mali. Mais la reconnaisance vient quelques années plus tard, avec la création de son propre groupe. Elle dit alors vouloir rendre hommage aux traditions de sa culture ancestrale, le Wassoulou. Elle introduit aussi la calebasse – fle – comme instrument de percussion. Toutes ces « griotes » d’un genre nouveau ont misé sur les sonorités traditionnelles et rencontré les attentes d’un public. Ce mouvement, qui appartient à ce que l’on a l’habitude d’appeler « world music », repose sur une savante alchimie : « Contrairement à la musique ivoirienne qui est très électrique, celle des artistes maliens a conservé sa spécificité en faisant la part belle à des sonorités et à des instruments très originaux », explique Alain Mouafo.
Mais l’alchimie fonctionne beaucoup moins bien quand les claviers s’en mêlent et que le son est plus électrique. Ainsi du premier disque de Doussou Bagayogo, Sumba, sorti en 2002 chez la petite maison de disques française Africa Productions. Si son nom est inconnu du grand public, elle est en revanche bien connue de toute la communauté malienne résidant en France – qui compte plus de 120 000 personnes. Pour tous ces Maliens de l’Hexagone, Doussou Bagayogo est d’abord la fille de Nahawa Doumbia et du guitariste N’gou Bagayogo, mais ils la reconnaissent aussi comme une « graine de star » : « La communauté malienne l’a tout de suite adoptée… mais ça ne suffit pas pour gagner sa vie », explique Nadine Besnard, responsable d’Africa Productions. Reste que pour un public français – davantage habitué aux douces mélodies d’Oumou Sangaré ou de Rokia Traoré -, ses disques sont certainement un peu trop électriques.
Du côté de ces Maliens vivant toujours à Bamako, mais aimés et adulés jusqu’à Barbès, il faut citer aussi l’histoire d’Amadou et Mariam. Tous deux sont aveugles et musiciens. D’ailleurs, ils se sont rencontrés à l’Institut des jeunes aveugles du Mali et, depuis, ils ne se sont jamais quittés. Leur notoriété était déjà grande dans le pays quand le public français les a découverts au festival des Transmusicales, organisé en 1998 à Rennes (dans l’ouest de la France). Leur musique est un mélange de blues, de funk, allié à des sonorités traditionnelles. Le tout avec des textes en bamanan. Le succès est tel qu’un projet de disque serait en préparation avec le chanteur Manu Chao.
La morale de l’aventure est double : pendant que des Maliens – comme eux et d’autres – connaissent enfin le succès en France, Rokia Traoré commence, elle, à être connue au Mali. Bien que née à Bamako, cette fille de diplomate a beaucoup voyagé et vécu loin de son pays. Et c’est cette même errance qui a nourri sa musique et ses textes. Aujourd’hui, l’exil est synonyme de retour aux sources.

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