La Palestine, entre le symbole et l’épopée

Publié le 1 juin 2004 Lecture : 3 minutes.

Comment exposer le plus justement possible la question palestinienne à l’écran ? Le Festival de Cannes 2002 avait créé l’événement en sélectionnant deux films palestiniens très différents : Le Mariage de Rania, de Hani Abou Assad, et Intervention divine, d’Elia Suleiman. Ce dernier, représentant pour la première fois son pays en compétition officielle, avait été unanimement salué par la critique et le public, allant jusqu’à remporter le Prix du jury. Le premier film choisissait la voie du simple réalisme pour décrire les obstacles que devait franchir durant vingt-quatre heures une jeune fille de Jérusalem essayant de se marier. Le second optait pour une arme beaucoup plus mordante : celle de l’humour comme ultime déguisement du désespoir.
Cannes 2004 a sélectionné deux nouvelles approches du drame palestinien. Soif, premier long-métrage de Tawfik Abou Wael, présenté par la Semaine internationale de la critique, semble avoir choisi le mode symbolique, sans doute parce que son réalisateur, citoyen arabe de l’État hébreu, ne pouvait aller trop loin face à ses producteurs israéliens. Dans un lieu désertique et sauvage, une famille palestinienne, isolée de tout, tente de survivre en fabriquant du charbon de bois que le père va vendre régulièrement dans la ville la plus proche. Un jour, il parvient à construire une canalisation depuis une source éloignée. L’arrivée de l’eau dont ils étaient privés va pousser la famille à se révolter contre l’autorité inflexible du patriarche. Ce film, dont le titre symbolise l’attente d’un peuple qui semble « abandonné de Dieu », ne montre jamais les Israéliens. Il concentre ses efforts sur la nécessité pour les Palestiniens de réformer de l’intérieur une société encore marquée par une structure féodale et machiste. Hélas ! le style choisi par Tawfik Abou Wael est pour le moins dépassé : lenteur, hiératisme, esthétisation de l’image, vus et revus dans les films du Tiers Monde qui firent les beaux jours des festivals internationaux des années 1970 et 1980.
Rien de cela avec La Porte du soleil de l’Égyptien Yousri Nasrallah, présenté en sélection officielle « hors compétition », qui brosse l’histoire de l’exode palestinien de 1942 à nos jours, à partir du célèbre roman Bab el-Chams de l’écrivain libanais Elias Khoury (Actes Sud, 1998). Rejetant à la fois les facilités du symbolisme comme celles des films militants, l’ancien assistant du grand Youssef Chahine dresse, en 4 heures 38, une épopée romanesque à la densité et au lyrisme impressionnants, réussissant à croiser magistralement destins individuels et collectifs.
La Porte du soleil relate sans militantisme unilatéral aussi bien les exactions israéliennes que les différentes trahisons arabes. L’exode des Palestiniens chassés de leurs villages par l’armée de l’État hébreu, la future Tsahal, et au prix de quelques massacres – enfin reconnus par les nouveaux historiens israéliens, mais bien entendu récusés par tous les spectateurs pro-israéliens de la projection cannoise – est filmé avec l’ampleur et le lyrisme des films bibliques ou des grands westerns d’antan. Viennent ensuite les divisions fratricides, l’irresponsabilité, les alliances contre-nature, la montée de l’islamisme intolérant… Le film débouche sur une virulente critique du machisme de la société palestinienne. C’est d’ailleurs une femme, Nahila, qui déclare : « Nous sommes devenus les Arabes des Arabes et les Juifs des Juifs ! »
Mais ces thèmes sous-jacents ne transforment jamais le film en oeuvre de propagande attachée à « noircir » les Israéliens. Le réalisateur préservant sans cesse l’humanisme, la sensualité, le frémissement de la vie sans jamais tomber dans les défauts de la « fresque historique » hagiographique figée à la soviétique. On connaît le rôle des grands films romanesques comme Autant en emporte le vent, épopée de la guerre de Sécession, pour la fixation dans l’inconscient collectif des Américains d’une partie de leur histoire et de leur identité. Confrontés à un déni historique (l’ancien Premier ministre israélien Golda Meir affirmait : « Ils n’existent pas »), les Palestiniens possèdent enfin, grâce à Yousri Nasrallah, leur Autant en emporte le vent.

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