Burkina-Taïwan : « Il est très difficile pour un pays africain de résister à la pression chinoise »
Le Burkina Faso opérait le 24 mai dernier un changement majeur dans sa diplomatie, en rompant ses relations avec Taïwan, au profit de Pékin. Pour l’historien François Godement, les raisons ne sont pas à chercher du côté du Burkina, mais bien en Chine.
Le Burkina Faso a choisi le 24 mai dernier de rompre ses relations diplomatiques avec Taïwan, condition sine qua non pour nouer des relations avec la République populaire de Chine. Pour expliquer ce geste, le ministre burkinabè des Affaires étrangères Alpha Barry a invoqué que « l’évolution du monde et les défis socio-économiques actuels de notre pays et de notre région recommandent que nous reconsidérons notre position. »
C’est le 12e pays d’Afrique qui, depuis 1994, choisit de rompre avec Taipei au profit de Pékin. Alors qu’il n’en reste qu’un seul (le Swaziland) à maintenir des relations avec l’ancienne Formose, François Godement, historien, professeur à Sciences Po Paris et grand spécialiste de la Chine, nous donne son regard sur ce qui a conduit à ce résultat.
Jeune Afrique : Êtes-vous surpris par la décision du Burkina Faso de rompre ses liens diplomatiques avec Taïwan ?
François Godement : Non. Car les raisons ne sont pas à chercher au Burkina mais en Chine. L’année dernière, Xi Jinping a annoncé que la République populaire ne patienterait pas indéfiniment concernant la résolution de la question du statut de Taïwan et la réunification des deux Chine. Il a très clairement affirmé que le statu quo n’était plus possible. Pour joindre la parole aux actes, la Chine a depuis littéralement encerclé l’actuelle présidente taïwanaise, Tsai Ing-wen, bien que celle-ci ait déjà elle-même mis de côté depuis bien longtemps les volontés indépendantistes de sa formation politique.
La trêve entre Pékin et Taïwan est terminée. Et la décision burkinabè en est sans doute l’une des conséquences
Il y a eu une sorte de trêve diplomatique durant la période de la présidence taïwanaise précédente, sous Ma Ying-Jeou (2008-2016), avec une pression moins forte exercée sur les pays qui entretenaient toujours des relations avec Taipei. Mais Pékin a récemment accentué sa pression diplomatique et ses sanctions commerciales envers Taïwan. Elle a aussi considérablement accru sa pression militaire avec des manœuvres militaires toujours plus intrusives. La trêve est terminée. Et la décision burkinabè en est sans doute l’une des conséquences.
Quels sont les leviers utilisés par la Chine pour arriver à ses fins ?
Naguère, l’Afrique était une région où un pays comme Taïwan pouvait concurrencer Pékin en termes d’aides financières ou de prêts accordés. C’était d’autant plus vrai pour les nations petites ou faiblement développées. Mais aujourd’hui, il est très difficile pour un pays africain de résister à la pression chinoise. C’est un très gros acheteur de matières premières, un grand pourvoyeur de prêts, un pays qui finance nombre d’infrastructures dont ces pays ont besoin. C’est un avantage énorme. Et plus un pays entre dans une spirale d’endettement vis-à-vis de Pékin et/ou plus la Chine devient un partenaire commercial important, plus le pays en question devient vulnérable. Sans compter que l’intérêt de lui résister sur cette question précise est assez faible. Il suffit de peser les pour et les contre et le calcul est vite fait.
Sait-on exactement par quels canaux la Chine exerce cette influence ?
C’est assez difficile à dire de façon précise parce que, finalement, les bras séculiers et financiers chinois sont in fine contrôlés par la même entité, l’État central. Si je vous dis que l’influence s’exerce plutôt par le canal de l’Exim Bank of China, la China Development Bank, une grande compagnie pétrolière ou de construction, cela renvoie à la même vérité. C’est vrai qu’il y a encore quelques temps, ces grandes compagnies avaient des actions plus autonomes, en particulier en ce qui concerne les facilités de crédits octroyés. Mais ce n’est plus vrai aujourd’hui.
Désormais, si les prêts extérieurs n’ont pas de sens économique et/ou stratégique clairement identifiés, ils n’ont aucune chance d’être accordés
Depuis mi-2017, l’État, sous la houlette de Xi Jinping, a remis de l’ordre dans l’attribution des prêts extérieurs en jugeant qu’un certain nombre d’entre eux l’avaient été à fonds perdus. Désormais, s’ils n’ont pas de sens économique et/ou stratégique clairement identifiés, ils n’ont aucune chance d’être accordés.
Mais la Chine n’a-t-elle pas déclaré à plusieurs reprises qu’elle construisait ses relations avec les pays africains sur un pied d’égalité et non sur le rapport de force ?
Ça, ce sont les discours pour le sommet du Focac (Forum on China-Africa Cooperation). Les relations entre la Chine et chacun des pays d’Afrique sont des relations bilatérales, commerciales, financières, diplomatiques, voire de sécurité où s’exerce un rapport d’influence très classique au regard des relations internationales. Or en matière d’influence, on peut très clairement parler aujourd’hui de Chinafrique, comme on a longtemps parlé de Françafrique.
À vous entendre, le plus surprenant serait finalement que le Burkina Faso ait attendu si longtemps avant de rompre ses relations avec Taipei ?
Oui. Mais pour le coup, c’est plutôt à mettre en relation avec la situation particulière du Burkina Faso. C’est un pays peu riche en matières premières, qui plus est situé au Sahel, une zone où, pour des raisons sécuritaires, la Chine s’est toujours méfiée d’un engagement trop direct.
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