Douala by night

Publié le 1 juin 2004 Lecture : 3 minutes.

Eclairs, tonnerre, foudre, coupures d’électricité. Première soirée à Douala, enfermée dans une chambre d’hôtel. Je suis frustrée et impatiente d’aller enfin à la découverte de la capitale économique du Cameroun. On me l’a décrite comme une ville trépidante alors que ce soir-là les rues sont désertes. Très vite, heureusement, la vie reprend son cours. Les stridulations des klaxons me feront oublier la mélopée de la pluie battante. Et l’asphalte ne tardera pas à être débarrassé de sa boue pour être de nouveau arpenté par les talons aiguilles des belles de la nuit.
Elles ont 15 ans, 18 ans, 20 ans tout au plus. Difficile de leur donner un âge précis. Leur visage est vieilli par un trait de khôl et par le rouge à lèvres aguicheur. Les coiffures-postiches leur donnent un air de « Miss » ou de femme fatale. Vêtues soit de robes décolletées soit de pantalons moulants, nombre d’entre elles guettent leur proie confortablement assises à la table d’un restaurant plutôt qu’adossées à l’ombre d’un lampadaire dont on a volé l’ampoule. Elles ne mangent pas – sans doute pour garder cette ligne dont raffolent les Occidentaux mais que déplorent les Africains. Elles sirotent leur bière en fumant des cigarettes d’un geste lascif et en évitant scrupuleusement mon regard. Par peur d’être jugées, questionnées, dérangées ?
À cette terrasse d’Akwa, elles sont peut-être aussi nombreuses que les clients du restaurant. Certaines sont déjà accompagnées et promènent fièrement leur juvénile beauté aux bras des vieux messieurs, blancs pour la plupart et au portefeuille probablement bien garni… Bref, elles exercent le plus vieux métier du monde. Celui que l’on pratique aux quatre coins du globe. Et pourtant, ici, la prostitution semble prendre une dimension particulière. Elle n’est pas cantonnée à quelques quartiers, ni à une poignée de paumés ou de libertins penauds. Elle s’exhibe sans honte ni fausse pudeur. Dans les rues, les hôtels, les boîtes de nuit. Que ce soit à Akwa, le centre commercial et festif de la ville, près des administrations de Bonanjo ou encore à proximité des villas huppées de Bonapriso.
Rien à voir avec Paris où les « filles de joie » tapinent sur les boulevards extérieurs et s’engouffrent dans une voiture qui redémarre en trombe, de peur d’être repérée. Une hypocrisie exacerbée par la loi sur la sécurité intérieure, adoptée il y a un an, qui réprime toute forme de racolage. Rien à voir non plus avec l’Asie. En Inde, les prostituées sont enfermées dans des maisons closes. Elles observent les clients potentiels, dissimulées derrière les moucharabiehs. Peut-être peut-on comparer la situation africaine à celle de la Thaïlande, où il est fréquent de voir les filles – aussi bien que des hommes androgynes d’ailleurs ! – aux bras d’Occidentaux fortunés ou censés l’être. Similaire mais pas identique, car à Bangkok la prostitution est organisée en réseaux, quadrillée par des proxénètes, de sorte que les filles se retrouvent plongées dans une spirale dont il leur sera presque impossible de se libérer.
À Douala, en revanche, les jeunes femmes bénéficient rarement de la protection d’un « mac ». Beaucoup font « ça » occasionnellement, pour arrondir les fins de mois, avant de retourner, par exemple, sur les bancs de l’université.
Passé minuit, c’est la piste de danse qui est le terrain de chasse favori des filles. Là, elles se trémoussent sous le regard envoûté des spectateurs. La concurrence est rude : le dance-floor est littéralement pris d’assaut par ces fières tigresses. Aucun homme ne s’y frotte. Pressentent-ils qu’ils succomberont ? À l’aube, tous ont effectivement été ensorcelés. Une oeillade lancée en direction du bar aura suffi. Et quelques-uns n’hésiteront pas à promettre la lune à leur belle noctambule. Peu importe que le prince ait des allures de crapaud tant qu’il peut prendre soin d’elle. À voir ces couples désappareillés, parfois complices, on comprend qu’un contrat tacite a été passé. L’amant vieillissant se pâme tel un jeune coq. Quant à la princesse de Douala, qu’a-t-elle à perdre ? Elle sait depuis longtemps que le prince charmant n’existe que dans les contes de fées…

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires