Des Casques bleus labellisés UA ?

L’institution a lancé son Conseil de paix et de sécurité. Une force armée pourrait voir le jour d’ici à 2010.

Publié le 1 juin 2004 Lecture : 4 minutes.

C’est fait : le 25 mai, à l’occasion de la Journée de l’Afrique, le Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’Union africaine a été lancé en grande pompe, a Addis-Abeba, en présence de nombreux chefs d’État et de gouvernement. Le premier ministre éthiopien Mélès Zenawi, le président algérien Abdelaziz Bouteflika, le vice-président sud-africain Jacob Zuma, le président nigérian et président du CPS pour le mois de mai Olusegun Obasanjo, le président soudanais Omar el-Béchir, son homologue mozambicain et président en exercice de l’UA Joaquim Chissano, le Premier ministre togolais Koffi Sama… ils étaient tous là pour célébrer cette heureuse naissance, saluée lors de la photo rituelle par un lâcher de colombes et de ballons blancs.
À l’instar du Conseil de sécurité des Nations unies, le CPS est composé de quinze membres. Cinq sont élus pour trois ans (Gabon, Éthiopie, Algérie, Afrique du Sud, Nigeria) et dix pour deux ans (Cameroun, Congo, Kenya, Soudan, Libye, Lesotho, Mozambique, Ghana, Sénégal, Togo). Pour le président de la Commission de l’UA, le Malien Alpha Oumar Konaré, « le CPS est un organe permanent chargé de la promotion de la paix, de la sécurité et de la stabilité en Afrique, de la diplomatie préventive et du rétablissement de la paix ». De surcroît, « il s’occupe de la gestion des catastrophes, des actions humanitaires et de la reconstruction après les conflits ». C’est dire si la tâche à laquelle il s’attelle et les espoirs qu’il suscite sont immenses. C’est dire aussi le volontarisme qui devra prévaloir pour que cette entité ne devienne pas un nouveau « machin » dépourvu de toute capacité d’action.
À terme, le CPS devrait, selon Konaré, permettre « aux Africains de prendre en charge dignement les questions de paix et de sécurité que les contingences historiques et les contraintes de la mondialisation semblent désormais leur imposer ». Et marquer « une rupture radicale avec le passé ». On n’en est pas encore là. De nombreuses étapes restent à franchir pour bâtir une structure qui rappelle un tant soit peu celle des Nations unies – même si cette dernière ne parvient pas toujours elle-même à empêcher ou à résoudre les conflits.
La volonté semble en tout cas au rendez-vous. En deux ans, 32 pays ont ratifié le protocole, 47 l’ont signé et seuls 6 ne l’ont pas encore fait (Botswana, Cap-Vert, Érythrée, Guinée équatoriale, Swaziland, Tunisie). La question centrale demeure celle du financement. Depuis 1993, le Fonds pour la paix de l’UA a récolté 96 millions de dollars, dont 28 millions tirés du budget de l’UA (6 %), 4 millions en provenance des États membres et, surtout, 45 millions décaissés par des partenaires tels que l’Union européenne. À l’avenir, les contributions des États devraient être accrues de manière significative si le CPS veut pouvoir se doter des moyens de ses ambitions.
Pour Alpha Oumar Konaré, « les États membres doivent absolument rompre avec les improvisations et le recours systématique à l’assistance extérieure. Ils doivent faire preuve de la remarquable volonté politique d’affranchir l’outil dont ils se sont dotés de la pesante dépendance extérieure. La contribution attendue du partenariat avec l’extérieur doit redevenir ce qu’elle n’aurait jamais du cesser d’être : un appui complémentaire. » Dans le but de financer le CPS, l’UA envisage d’accroître son transfert budgétaire annuel de 6 % à 10 %, de promouvoir des actions de mobilisation des ressources et, surtout, de convaincre les États de l’intérêt qu’ils peuvent trouver à promouvoir un instrument qui aurait le pouvoir « d’anticiper et de prévenir les politiques susceptibles de conduire à un génocide ou à des crimes contre l’humanité ».
À l’avenir, le CPS devrait être soutenu par un « Groupes des sages », composé de cinq personnalités africaines « hautement respectées », dont les noms n’ont pour le moment pas encore été évoqués. La Commission planche toujours sur la mise en place d’un « système continental d’alerte rapide » qui renforcerait le mandat du CPS en ce qui concerne la prévention des conflits.
Plus important peut-être, la création de la Force africaine en attente (FAA) d’ici à 2010. Au cours d’une première étape, des spécialistes seront recrutés et chargés d’étudier les situations délicates, comme au Darfour (Soudan) ou en Somalie. La deuxième étape devrait permettre de déboucher sur la mise en place de cinq brigades (environ 1 500 hommes) capables d’intervenir dans des opérations complexes de maintien de la paix. À ce jour, les seuls pays pourvoyeurs de troupes sont l’Afrique du Sud, le Mozambique et l’Éthiopie. Mais d’ores et déjà, le CPS souhaite envoyer environ deux cents personnes, dont soixante observateurs militaires, dans la région du Darfour, tandis que Konaré appelle de ses voeux une résolution des conflits qui déchirent l’Ouganda, le Burundi, la Somalie ou la Côte d’Ivoire, et ceux qui opposent l’Éthiopie et l’Érythrée ou le Rwanda et la RDC.
Si des actions ont déjà lieu au Burundi (Mission africaine, récemment remplacée par quelque 6 000 Casques bleus) ou aux Comores, le CPS va devoir batailler ferme pour acquérir la légitimité et les moyens de faire entendre sa voix sur l’ensemble du continent. L’absence de droit de veto pourrait cependant l’exonérer des paralysies propres au Conseil de sécurité de l’ONU. Mais encore faudra-t-il que le CPS soit entendu. Pour la représentante de l’Ouganda, interrogée sur le conflit qui ravage le nord du pays depuis plus de dix-sept ans, « si la situation est stabilisée dans le sud du Soudan, cela aura un impact direct sur le nord de l’Ouganda. Nous n’avons pas besoin d’une force d’intervention. Le véritable problème, c’est que le chef de l’Armée de résistance du Seigneur, Joseph Kony, est au Soudan. » L’idée que le CPS puisse intervenir en Ouganda ne semble pas à l’ordre du jour… Mais, comme le soulignent nombre de responsables, au premier rang desquels Saïd Djinnit, commissaire de l’UA chargé de la paix et de la sécurité, qui ne doute pas de la volonté politique du CPS, « tous les problèmes ne peuvent être résolus du jour au lendemain ».

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