De la « radio mondiale » aux ondes hexagonales

On s’interroge sur l’avenir de RFI depuis que son ancien patron, Jean-Paul Cluzel, a pris la tête de la « grande soeur » du service public français.

Publié le 1 juin 2004 Lecture : 4 minutes.

Qui va prendre la tête de Radio France Internationale (RFI) maintenant que son patron, Jean-Paul Cluzel, est passé du côté de la grande soeur rivale en accédant à la présidence de Radio France ? La question est à peine soulevée dans les couloirs de la « radio mondiale », ainsi qu’elle aime se présenter. Les salariés sont davantage préoccupés par leur avenir. RFI va-t-elle conserver l’indépendance qu’elle a acquise en 1986 ? Ses moyens resteront-ils à la hauteur de l’ère Cluzel ? Ce n’est pas que le départ de Jean-Paul Cluzel les indiffère, mais huit ans et demi au pouvoir use. Même les énarques. PDG de RFI depuis 1995, Cluzel n’en est d’ailleurs pas à sa première tentative d’évasion. En 2000, il a lorgné la présidence de l’Agence France Presse (AFP), en 2001 celle de TV5 et, tout récemment, celle de la CII, la « CNN française » en devenir.
D’où, sans doute, l’enthousiasme débordant de l’intéressé, le 12 mai, quand il a appris qu’il succédait à Jean-Marie Cavada, lequel a démissionné fin avril pour se lancer dans la politique en se présentant aux européennes sous la bannière de l’Union pour la démocratie française de François Bayrou.
« C’est le plus beau jour de ma vie », a déclaré l’homme de 57 ans au micro de France Info, l’une des sept stations qu’il dirige désormais (voir l’encadré). C’est en tout cas le couronnement d’une belle carrière de haut fonctionnaire, impulsée par de prestigieux diplômes et nourrie d’amitiés politiques bien senties.
Après l’Institut d’études politiques de Paris, qu’il mène de front avec la faculté de droit et de sciences économiques, Cluzel s’envole pour les États-Unis où il décroche un Master of Arts à l’université de Chicago. De retour dans l’Hexagone, il entre à la fameuse École nationale d’administration (ENA), véritable sésame pour occuper les plus hautes fonctions de l’État français. C’est sur les bancs de cette « usine à élites » qu’il noue des liens étroits avec le futur Premier ministre Alain Juppé. Des liens qu’on semble lui reprocher aujourd’hui. « Je suis très fier de mon amitié pour Alain Juppé et tout à fait vexé qu’on l’utilise sans cesse contre moi », s’énerve le parrain de Marion, la fille aînée dudit Juppé. Et l’homme à la barbiche bien taillée de rappeler que, même s’il est connu pour ne pas être de gauche, il est apprécié de tous. Il est vrai qu’il est une qualité que personne ne lui conteste : la capacité de s’adapter aux circonstances politiques.
À preuve, c’est Jack Lang, alors ministre de la Culture de François Mitterrand, qui le nomme à la tête de l’Opéra de Paris en 1992. C’est ensuite une autre figure socialiste, Pierre Bérégovoy, qui le fait chevalier de la Légion d’honneur. Surtout, c’est grâce à Lionel Jospin que son mandat à la présidence de RFI a été renouvelé par deux fois, en 1998, puis en 2001.
Pour Jean-Paul Cluzel, c’est sur ses seules compétences qu’il a été choisi par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) au détriment des cinq autres candidats. Il connaît bien la radio, la musique – Radio France compte quatre formations musicales – et le service public, auquel il a consacré sa vie professionnelle. Son premier poste au service de l’État : inspecteur des finances. C’est de là que lui vient son goût pour la gestion, un atout non négligeable quand on dirige l’audiovisuel public.
Même si l’énarque est jugé « hautain et cassant », même s’il a usé cinq directeurs de l’information en huit ans, on peut lui reconnaître le mérite d’avoir donné une nouvelle impulsion à RFI. Aujourd’hui, la petite radio française joue dans la cour de la BBC et de Voice of America. C’est à lui que l’on doit le format « tout actu » ainsi que la multiplication des relais en modulation de fréquence.
Fort de tous ces acquis, sa tâche n’en sera pas moins ardue. Radio France traverse l’une des crises les plus graves de son existence. Début 2004, les journalistes des chaînes d’un service public écouté par quelque 14 millions de personnes chaque jour se mettent en grève pendant deux semaines. Ils réclament l’alignement de leurs salaires sur ceux de France Télévisions. Les émissions ont certes repris, mais l’affaire n’est pas réglée pour autant. Et le nouveau patron des 4 000 salariés de Radio France avoue qu’on ne lui a pas donné de chèque en blanc.
Autre dossier chaud : le déménagement d’une partie des services afin de mettre aux normes la tour centrale de la Maison ronde. Il lui faudra aussi finaliser la numérisation des stations. Mais, par-dessus tout, Cluzel envisage de rajeunir un auditoire dont la moyenne d’âge atteint plus de 50 ans.
Et l’héritage de RFI dans tout ça ? Plutôt que d’évoquer une éventuelle internationalisation des stations, Cluzel préfère croire que « des murs sont en train de tomber entre [les] deux radios ». Est-ce à dire que le nouveau directeur de Radio France entend absorber RFI ? La réponse viendra sans doute du futur patron de la « radio mondiale » qui, espèrent les salariés, saura défendre la station contre les appétits de Radio France.

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