Cinéma – Saïd Hamich : « En France, on refuse de voir les blessures des minorités »

Dans « Retour à Bollène », son premier long-métrage en tant que réalisateur, le Franco-Marocain Saïd Hamich filme de l’intérieur une famille d’origine maghrébine.

Nassim (interprété par l’acteur marocain Anas El Baz), le héros de Retour à Bollene. © DR

Nassim (interprété par l’acteur marocain Anas El Baz), le héros de Retour à Bollene. © DR

Publié le 30 mai 2018 Lecture : 3 minutes.

Retour à Bollène est un drôle d’objet cinématographique. D’abord parce que ce « long-métrage » dure seulement 1h07. Ensuite parce que le réalisateur, Saïd Hamich, est plus connu des cinéphiles comme producteur, ayant accompagné des films d’auteur tels que Much Loved, Hope ou Vent du Nord. Enfin et surtout parce qu’il présente une famille française d’origine marocaine, une cité, comme rarement le grand écran nous les avait montrées. Sans effet de dramatisation, en cernant les tiraillements, les fragilités de déracinés en quête d’identité.

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L’histoire est celle de Nassim (interprété par l’acteur marocain Anas El Baz), 30 ans, qui vit à Abu Dhabi avec sa fiancée américaine. Tout semble avoir réussi au jeune homme qui décide, après une longue absence, de revenir dans la ville du sud-est de la France où il a grandi : Bollène.

Une tentative difficile pour renouer avec son passé : une famille pauvre dont il a honte, un père qu’il redoute, un professeur aimé passé dans le camp de l’extrême-droite, une cité gangrenée par le vide et l’ennui.

Contre la banlieue « surdramatisée »

Une scène de Retour à Bollene, de Saïd Hamich. © DR

Une scène de Retour à Bollene, de Saïd Hamich. © DR

Je souhaitais proposer un autre regard sur la banlieue. Pour moi, on y souffre parce qu’il ne s’y passe rien

« Le film a été fait dans l’urgence, raconte Saïd Hamich. J’ai écrit le brouillon en un mois, pendant l’été 2016 peu de temps après que ma mère a quitté Bollène, et je l’ai tourné très vite, l’année suivante. J’ai moi-même vécu à Bollène quelques années à l’époque du lycée, et je voulais peut-être garder une trace de cette ville, de ce que j’y ai ressenti, moi qui suis né à Fès et ai grandi au Maroc. »

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« Surtout, je souhaitais proposer un autre regard sur la banlieue, qui est presque toujours présentée de manière surdramatisée comme un réceptacle à violence, à voitures brûlées. Pour moi, au contraire, on y souffre parce qu’il ne s’y passe rien, continue le cinéaste. Et l’on refuse, en France, de voir les blessures des minorités. Le véritable enjeu c’est celui de l’identité : beaucoup de jeunes que j’y ai croisés ne se sentent pas Français. D’un côté ils fantasment le pays de leurs parents, qu’ils ne connaissent pas, de l’autre ils ont le sentiment que le pays où ils vivent les rejette… »

Cette question de l’identité n’est pas posée lourdement dans le film, mais se dégage peu à peu au fil de scènes assez courtes, souvent des dialogues, brossant un portrait nuancé et complexe de la famille de Nassim.

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Le héros lui-même n’en finit pas de se chercher. Ancien élève brillant, il a réussi à trouver une situation dans les Émirats. À des détails – il refuse par exemple de manger avec les mains -, on comprend qu’il éprouve une honte sociale, et qu’il tente de signifier à ses proches qu’il n’est plus comme eux. En ce sens Retour à Bollène se rapproche du Retour à Reims (éd. Fayard), ouvrage dans lequel le philosophe Didier Eribon lève le voile sur ses origines populaires, qu’il a longtemps préféré cacher.

Accepter l’émotion

La soeur du héros de Retour à Bollene, de Saïd Hamich. © DR

La soeur du héros de Retour à Bollene, de Saïd Hamich. © DR

Toute la grandeur de ce film est là : rendre leur part d’humanité à des minorités trop souvent réduites à des thèmes traités de manière caricaturale

Mais chez Saïd Hamich, la question identitaire est aussi liée à celle de l’immigration. « La France, qui était une terre d’accueil pour la génération de nos parents, n’est souvent plus qu’un « bled » dont on cherche à s’extraire pour trouver du travail, être accepté », note le réalisateur.

Pourtant, pour se retrouver, Nassim doit accepter ce bout de France qui l’a vu grandir et qui est tombé dans l’escarcelle du parti anti-immigration de la Ligue du sud ; cette mère qui ne parle toujours pas français, tandis que lui est trilingue ; cette sœur qui a trouvé une part de sérénité dans une lecture traditionaliste de l’islam. Il doit aussi faire la paix avec un père décrit tout le long du film comme un ogre… qui se révèle être un vieil homme fatigué que l’on retrouve sous une serre cueillant des salades.

Nassim, finalement, est comme son patriarche, incapable de faire parler ses émotions. Et ce sont ses larmes, trop longtemps contenues, qui, peut-être peuvent le réconcilier avec lui-même. Toute la grandeur de ce « petit » film est là : poser un regard social sur des minorités trop souvent réduites à des thèmes traités de manière caricaturale (le voile, la violence…), et leur rendre leur part de doutes, leurs failles, leurs faiblesses. En somme leur part d’humanité.

Retour à Bollène, de Saïd Hamich, 1h07, sortie française le 30 mai

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