Football : Kabylie, Darfour, Somaliland, Matabeleland… Le Mondial des équipes de peuples sans État
Du 31 mai au 9 juin, une Coupe du monde pas comme les autres se tiendra à Londres : celle de la ConIFA, dans laquelle s’affrontent des équipes de peuples sans État. Pour sa troisième édition, c’est l’ethnie somalienne des Barawas qui jouera le rôle de la nation hôte.
Deux semaines, seize équipes venues du monde entier, des joueurs essentiellement amateurs et une seule devise : « La liberté de jouer au football. » Tout ça, c’est la Coupe du monde de la Confédération des associations de football indépendantes (ConIFA), une organisation à but non lucratif, fondée en 2013 en plein cœur de la Laponie, en Suède. Son objectif : permettre à des équipes de nations non-reconnues et de peuples minoritaires d’obtenir une caisse de résonance grâce au ballon rond.
Depuis la création de la toute-puissante FIFA en 1904, il existe de nombreuses équipes non-affiliées qui évoluent en parallèle, en raison de leur statut à part au sein de la communauté internationale. « Pendant dix ans, ces équipes se sont structurées à travers le NF-Board, une association basée à Bruxelles et qui organisait régulièrement des tournois internationaux », résume Sascha Düerkop, le secrétaire général de la ConIFA. « En 2013, elle a périclité en raison de conflits internes et plusieurs membres nous ont alors demandé de prolonger l’aventure en repartant de zéro, mais sur des bases plus professionnelles. »
La victoire en participant
Cinq ans après sa création, la ConIFA compte 49 membres issus de tous les continents, à l’exception de l’Amérique du Sud. Derrière l’Europe et l’Asie, l’Afrique occupe la troisième marche du podium avec neuf représentants, du Sahara occidental à Zanzibar, en passant par le Darfour et le Somaliland. À Londres ils seront trois : les Barawas, représentés par la diaspora de cette région du sud de la Somalie, la Kabylie, dont les joueurs sont basés en Algérie et à l’étranger, et le Matabeleland, une province de l’ouest du Zimbabwe, connue pour avoir été le théâtre dans les années 1980 du massacre des Ndébélés, qui aurait été orchestré par l’ancien président Robert Mugabe, selon certains documents.
Pour beaucoup, c’était l’occasion de quitter leur camp de réfugiés et de jouer sur du gazon et non plus pieds nus dans la poussière du Sahara », évoque Gabriel Stauring
Souvent, les sélections s’entraînent dans des conditions si abruptes que leur seule présence en phase finale est déjà une victoire en soi. En 2014, lors de la première édition du tournoi qui s’est tenue en Laponie, c’était le cas de l’équipe du Darfour, entièrement composée de joueurs issus des populations déplacées par le conflit armé qui mine la région depuis 2003. « Pour beaucoup, c’était l’occasion de quitter le camp de réfugiés dans lequel ils vivaient à la frontière tchadienne, de prendre l’avion, de jouer sur du gazon et non plus pieds nus dans la poussière du Sahara. Mais surtout, de raconter leur histoire : celle des réfugiés du Darfour et de leurs conditions de vie extrêmement dures », évoque Gabriel Stauring, directeur exécutif d’iACT, l’ONG à l’origine de la création de l’équipe.
Treize d’entre eux ont demandé et obtenu l’asile en Suède. L’équipe leur permet ainsi d’attirer l’attention sur leur situation
Au final, une dernière place au classement mais un premier pas vers une nouvelle vie : « Treize d’entre eux ont demandé et obtenu l’asile en Suède. Et s’ils sont heureux d’avoir échappé à l’enfer qui était le leur au Darfour, ils n’en restent pas moins tristes en pensant à leurs proches restés dans les camps. L’équipe leur permet ainsi d’attirer l’attention sur leur situation. » Le club d’Östersunds, où se déroulait la compétition, a depuis noué un partenariat et reverse 1 % de ses revenus mensuels aux joueurs restés sur place.
Une belle histoire, le Somaliland en a également vécu deux ans plus tard en Abkhazie, une région séparatiste de la Géorgie. « Je me souviens lorsque nous sommes arrivés à l’aéroport, les gens nous ont accueillis comme des stars ! », sourit Aden Guiled, défenseur central. Lorsqu’ils n’étaient pas occupés à s’entraîner, les joueurs partaient faire connaissance avec la population locale, peu habituée à voir débarquer des visiteurs du monde entier. « Nous étions très appréciés car nous n’étions pas timides. En parlant avec les Abkhazes, nous avons constaté à quel point ils partageaient des similitudes avec le Somaliland, notamment au vu de leur combat pour obtenir la reconnaissance de leur pays », analyse celui qui est professeur d’éducation physique et sportive (EPS) dans le civil. Là encore, Aden et ses coéquipiers n’ont pas remporté le trophée, mais de vrais liens d’amitié se sont créés avec leurs hôtes. « Lorsqu’ils viendront à Londres, ceux qui, comme moi, font partie de la diaspora, ont déjà prévu de leur rendre visite », promet-il.
Vivons heureux, vivons cachés
Évidemment, lorsque l’on représente un pays qui n’existe pas, la politique n’est jamais très loin et il faut savoir se faire discret pour éviter le conflit avec les nations auxquelles ces régions appartiennent. « Je ne vais pas communiquer la sélection du coach avant le début du tournoi, par crainte d’éventuelles représailles envers les familles restées au pays », explique Aksel Bellabbaci, le président de l’équipe de Kabylie, qui raconte avoir été longuement interrogé par la police algérienne, laquelle aurait tenté de le faire renoncer à son projet.
Sur le terrain, les équipes peuvent afficher leur drapeau et chanter leur hymne national, mais c’est tout », indique Sascha Düerkop
Souvent, de par leur simple existence, les équipes sont déjà des objets politiques. Dès lors, la neutralité fait foi : « Je suis au courant des tensions politiques qui existent au Zimbabwe, mais en tant qu’entraîneur d’une équipe de football, je ne pense pas que ce soit mon rôle de les commenter », lâche ainsi Justin Walley, le coach anglais du Matabeleland. « Sur le terrain, les équipes peuvent afficher leur drapeau et chanter leur hymne national, mais c’est tout. Si le président de la sélection kabyle veut donner son avis personnel sur la situation dans son pays, il peut le faire, mais pas au nom de l’équipe, ni celui de la ConIFA », tranche Sascha Düerkop.
Cela n’empêche pas l’organisation de nouer des partenariats avec des institutions politiques : en 2016, c’est le gouvernement abkhaze qui avait financé le tournoi. Un geste qui lui permettait de se mettre en lumière, tout en ôtant un fardeau financier à la ConIFA.
À Londres, le gouvernement de sa gracieuse majesté n’a pas versé un penny. Tout au plus le nom de cette dernière sera-t-il associé avec celui du stade qui accueillera la finale. Malgré une organisation essentiellement basée sur la débrouille, la ConIFA est parvenu à rassembler les 250 000 livres sterling (285 000 euros) nécessaires grâce à de généreux sponsors et ce tournoi s’annonce déjà comme le plus accompli de sa jeune histoire : structures d’accueil modernes, matchs diffusés gratuitement sur Internet, festival de films-documentaires présentant les différents membres et surtout, des participants venus de tous les continents, lesquels vivront ensemble dans le même hôtel, afin que la rivalité ne soit présente que sur le terrain. « Ce système permet de créer de nouvelles amitiés qui perdurent dans le temps. L’île de Man, par exemple, organise désormais chaque année un tournoi caritatif dont les bénéfices sont reversés à l’équipe du Darfour », conclut le secrétaire général.
Et si les sélections africaines ne font pas partie des favoris pour le titre, tous les ingrédients sont là afin de leur permettre de se faire connaître aux yeux du monde et surtout, de revenir à l’essence même du sport : prendre du plaisir sur le terrain. La liberté de jouer au football, c’est aussi et d’abord cela.
Le calendrier des équipes africaines :
- Barawa :
-Le 31 mai contre Tamil Eelam
-Le 2 juin contre la Cascadie
-Le 3 juin contre Ellan Vannin - Kabylie :
-Le 31 mai contre le Panjab
-Le 2 juin contre les Coréens du Japon
-Le 3 juin contre l’Arménie occidentale - Matabeleland :
-Le 31 mai contre la Padanie
-Le 2 juin contre le Pays sicule
-Le 3 juin contre Tuvalu
Les autres participants au tournoi :
- Europe
-Abkhazie : région séparatiste de la Géorgie
-Padanie : région englobant les provinces de l’Italie du Nord
-République turque de Chypre du Nord : partie Nord de l’île de Chypre, seulement reconnue par la Turquie
-Ellan Vannin : île de Man
-Pays sicule : minorité hongroise de Roumanie
-Karpatalya : minorité hongroise d’Ukraine - Asie :
-Tamil Eelam : représente les Tamouls d’Inde et du Sri Lanka
-Arménie occidentale : représente la minorité arménienne vivant dans l’est de la Turquie
-Tibet
-Panjab : représente la diaspora des Pendjabis
-Coréens du Japon : la plus grande minorité du pays - Amérique :
-Cascadie : région située sur la côte ouest des États-Unis et du Canada - Océanie :
-Tuvalu : archipel polynésien situé au cœur du Pacifique
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