[Tribune] Prêts numériques : le danger du surendettement

Dans le dernier numéro de sa revue trimestrielle « Secteur privé & développement », Proparco s’intéresse aux start-up. Celles du secteur financier, toujours plus nombreuses en Afrique, risquent de renforcer le phénomène de surendettement en accordant des crédits en ligne à leurs clients, sans conduire au préalable une analyse de leur capacité de remboursement, craint Isabelle Barrès.

MTN est leader de la téléphonie mobile au Cameroun. © Olivier pour JA

MTN est leader de la téléphonie mobile au Cameroun. © Olivier pour JA

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  • Isabelle Barrès

    Vice-présidente du Center for Financial Inclusion d’Accion et directrice de la « Smart Campaign »

Publié le 1 juin 2018 Lecture : 4 minutes.

Le nombre de fintechs – start-up alliant technologie et services financiers – augmente rapidement en Afrique. Celles qui offrent des « crédits numériques » le font soit par l’octroi de crédits directement sur leur plateforme en ligne ou par téléphone mobile, ou indirectement en facilitant l’accès au crédit et en gérant le produit en aval.

Ces entreprises proposent aux clients le crédit dont ils ont souvent le plus grand besoin à un coût plus compétitif que la concurrence. Elles tirent aussi parti de l’opportunité qui leur est offerte d’atteindre les clients les plus éloignés du marché et l’engouement pour le crédit en ligne qu’elles proposent risque d’attirer des prêteurs peu scrupuleux.

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Si les fintechs s’enrichissent alors que leurs clients peinent à rembourser, les défauts de paiement se multiplieront à long terme. Ces propositions de crédit émanant des fintechs pourraient fort bien conduire à une accélération du surendettement en Afrique.

Risques nouveaux

Certains aspects propres au crédit en ligne, basé sur des algorithmes, créent des risques nouveaux : analyse limitée – voire inexistante – de la capacité d’endettement ; produits inadaptés aux besoins du client ; insuffisance du suivi ; renouvellements automatiques ; agressivité des politiques commerciales et du marketing ; conséquences disproportionnées d’un retard de paiement, pouvant enclencher une spirale d’endettement.

Les risques encourus par les clients ne sont pas assez pris en compte

Le surendettement ne se manifeste pas seulement par le défaut de paiement : il tient à l’ampleur des sacrifices que doit faire le client pour justement éviter ce défaut. Les algorithmes calibrés de façon à réduire les coûts et les risques supportés par l’organisme de prêt ne prennent malheureusement pas assez en compte les risques encourus par les clients. S’ils sont effectivement conçus pour apprendre dans la durée et pour devenir, au fil du temps, des outils prévisionnels plus précis, cela se fait au détriment des clients initiaux, qui auront permis à l’algorithme d’affiner ses estimations.

Un prêt bien pensé doit correspondre à une capacité de remboursement. Pour assurer un bénéfice mutuel à long terme, pour les clients comme pour les prestataires, ces derniers devront renoncer à une définition unidimensionnelle du surendettement, qui accorde une importance démesurée au remboursement comme unique indicateur de l’endettement d’un client.

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Faire évoluer la réglementation

Parce qu’il suffit d’un seul prêteur irresponsable en matière de surendettement pour affecter négativement des clients, il est essentiel de faire évoluer la réglementation qui régit la protection du consommateur de produits financiers. Elle doit impérativement encadrer les pratiques des prêteurs numériques qui, en l’absence de règles, ne s’embarrasseraient pas de scrupules.

Les investisseurs peuvent et doivent user de leur influence pour inciter les prêteurs en ligne à de bonnes pratiques

Un prêteur responsable se demandera si son client peut se permettre de contracter cet emprunt, s’il est en mesure de le rembourser et au prix de quels sacrifices. Il essaiera de savoir si la capacité de remboursement est soutenable, ou s’il existe un risque qu’il ne puisse plus jamais redevenir emprunteur par la suite – ce qui serait préjudiciable au client comme au prêteur. Les algorithmes vont devoir évoluer pour prendre en compte ces réalités.

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Les investisseurs, de leur côté, peuvent et doivent user de leur influence pour inciter les prêteurs en ligne à de bonnes pratiques, comme ils l’ont fait pour leurs prédécesseurs traditionnels. Un investisseur peut ainsi « récompenser » les prêteurs qui conçoivent et proposent des produits adaptés, qui font preuve de transparence dans leurs conditions générales de crédit, qui expliquent aux clients les risques du surendettement, adoptent des pratiques équitables et responsables pendant la période de remboursement, et apportent leur soutien aux emprunteurs désireux de rembourser, mais qui ne sont pas en mesure de le faire.

S’accorder sur des pratiques communes

Les prestataires de services numériques peuvent employer, pour sensibiliser et informer leurs clients, les mêmes vecteurs de technologie que ceux qu’ils utilisent pour fournir les produits. Un client bien informé est davantage à même de se protéger, pour ne pas être victime de prêteurs-prédateurs.

Par ailleurs, la situation des clients évolue. Les prêteurs en ligne doivent donc développer des outils permettant de suivre, chez le client, l’apparition de signes de tension financière et travailler avec lui jusqu’à leur résolution.

Enfin, les prestataires de crédit en ligne doivent s’unir derrière des mesures collectives visant à résoudre le problème du surendettement. Elles consisteront notamment à définir des conditions responsables de souscription numérique, à tirer le meilleur parti de la technologie en s’appuyant sur les expériences passées et à s’accorder sur des pratiques communes au bénéfice des clients.

Certaines fintechs ont déjà pris les devants et, au travers de l’initiative Fintech Protects Community of Practice, travaillent ensemble à la définition et à la mise en œuvre de pratiques plus responsables.

Retrouvez cet article sur le site de la revue Secteur privé & développement.

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