Quand les Français retrouvent la mémoire

Publié le 2 mai 2006 Lecture : 3 minutes.

Il aura fallu une bévue du législateur, la désormais célèbre loi du 23 février 2005 recommandant l’inscription dans les programmes scolaires du « rôle positif de la présence française outre-mer » – loi en fin de compte abrogée en février dernier -, pour que la France amorce enfin le débat sur son passé colonial. Comme c’est devenu la règle, les éditeurs ont emboîté le pas aux médias, et les livres sur le sujet ont commencé à fleurir courant 2005 (voir « La vie des livres », n° 2337 du 23 octobre 2005).
En digne héritière des éditions Maspero, La Découverte avait pris une longueur d’avance en septembre dernier avec La Fracture coloniale. Partant d’enquêtes menées à Toulouse, les auteurs de cet ouvrage collectif dirigé par Nicolas Bancel, Pascal Blanchard et Sandrine Lemaire montraient en quoi la ghettoïsation des banlieues peut être lue comme un héritage du système colonial français. La même maison a publié en novembre le rapport du Comité pour la mémoire de l’esclavage (Mémoires de la traite négrière, de l’esclavage et de leurs abolitions) et consacré le numéro du trentième anniversaire de l’excellente revue Hérodote à La question postcoloniale (n° 120, mars 2006, 288 pages, 22 euros).
Après avoir sorti en octobre 2005 Les Lumières, l’Esclavage, la Colonisation, recueil de textes publiés par Yves Benot sur une cinquantaine d’années, La Découverte réédite aujourd’hui un autre titre de ce militant tiers-mondiste décédé en janvier 2005, La Démence coloniale sous Napoléon. Bien avant l’essai de Claude Ribbe (Le Crime de Napoléon, éd. Privé) accusant l’empereur d’avoir inspiré Hitler, cet ouvrage, dont la première édition remonte à 1992, mettait en évidence la formation d’une idéologie raciste accompagnant l’expansion coloniale. Pour en terminer avec La Découverte, dont nombre d’autres publications ont un rapport avec le sujet qui nous intéresse ici, il faut encore signaler la réédition, début juin, de Génocides tropicaux, description saisissante par le chercheur américain Mike Davis des méfaits du colonialisme et de son système politique et économique.
Comme le signalait Livres Hebdo dans son numéro du 31 mars, l’approche du 10 mai, date choisie en janvier dernier par le président Chirac pour commémorer la traite, l’esclavage et leur abolition, ne fait que relancer la production éditoriale. Tallandier a sorti en mars L’Illusion coloniale d’Éric Deroo et Sandrine Lemaire, un album édifiant sur la représentation iconographique des peuples placés sous la coupe de la France. Perrin publie La France sans mémoire. Comment un pays démissionne de son histoire de Jean-Pierre Rioux, et Stock Quand l’État se mêle de mémoire de René Rémond. Flammarion, de son côté, annonce Pour en finir avec la repentance coloniale de Daniel Lefeuvre. Fayard revenant pour sa part sur l’épisode du Consulat avec Napoléon, l’esclavage et les colonies de Thierry Lentz et Pierre Branda. Enfin, et la liste est loin d’être close, l’universitaire réunionnaise Françoise Vergès, auteur déjà de nombreux livres sur la question, signe, chez Albin Michel, La Mémoire enchaînée. Questions sur l’esclavage, elle tente de montrer, à son tour, comment le passé influe le présent.
Il n’est pas certain que, aussi grands soient leurs mérites intellectuels, ces livres érudits soient en mesure de toucher un vaste public. Celui qui paraît le 4 mai chez Michel Lafon pourrait, en revanche, avoir un large écho populaire. L’auteur de Il fut un jour à Gorée. L’esclavage raconté aux enfants n’est autre que Joseph N’Diaye, conservateur depuis 1964 de la Maison des esclaves établie sur cette île au large de Dakar. À 84 ans, cet ancien tirailleur, qui, de Bill Clinton à Jean-Paul II et à Nelson Mandela, a reçu dans son musée les plus grands de ce monde est un peu la mémoire de la traite négrière.

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