Progrès insuffisants

Malgré une croissance supérieure aux prévisions, le sud du continent ne sera pas en mesure d’atteindre les Objectifs du millénaire pour le développement, notamment en matière de réduction de la pauvreté.

Publié le 2 mai 2006 Lecture : 6 minutes.

Trente ans que l’économie de l’Afrique subsaharienne n’avait été à pareille fête ! Avec 5,3 % de croissance en 2005, le sous-continent a non seulement réalisé une progression supérieure aux attentes des spécialistes, mais il a fait mieux que les États-Unis (+ 3,4 %), mieux que le Japon (+ 2,8 %) et mieux que la France (+ 2 %).
À la veille des assemblées de printemps de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI), qui se sont tenues les 22 et 23 avril à Washington, Abdoulaye Bio-Tchané, directeur du département Afrique au FMI, s’est félicité, lors d’un point presse sur « les perspectives régionales de l’Afrique subsaharienne », d’une situation étonnamment florissante malgré l’explosion des cours de l’or noir. « Les pays importateurs de pétrole, a-t-il déclaré, ont pu préserver leur taux de croissance parce qu’ils ont en général adopté de saines politiques macroéconomiques pour faire face au renchérissement du pétrole et bénéficié de la hausse des cours des produits non pétroliers qu’ils ont exportés. » Un satisfecit rarement entendu au sud du Sahara.
La croissance a dépassé 7 % au Burkina Faso, en Éthiopie, au Mozambique et en Sierra Leone. Le Nigeria enregistre un mieux de 6,9 %, bien sûr porté par le prix du baril. En dépit d’une monnaie qui s’est appréciée par rapport au dollar, l’Afrique du Sud a réalisé + 5 % grâce à la vigueur de sa consommation intérieure et à ses exportations.
Autre bon point : en dépit de la hausse du coût de l’énergie, le taux moyen d’inflation est resté relativement sage, à 10,7 %. Si l’on retire le Zimbabwe, qui a vogué vers les 1 000 % par an, l’inflation de la région s’élève à 8 %.
La Banque mondiale a noté, dans son « Rapport de suivi mondial sur les Objectifs du millénaire » publié le 21 avril, les retombées bénéfiques de ces progrès. Le revenu par habitant progresse au rythme soutenu de 3 % par an. La mortalité infantile régresse au Burkina Faso, au Mozambique et au Cameroun. À Madagascar, « elle a même reculé de 6 % entre 1997 et 2003 », a rappelé François Bourguignon, économiste en chef et premier vice-président de la Banque.
Pour la première fois, le taux d’infection au VIH-sida recule dans des pays à forte prévalence comme l’Ouganda ou le Zimbabwe. La scolarisation dans le primaire progresse nettement : 50 pays ont atteint l’objectif de la « scolarité pour tous », contre 37 en 2000.
Pour le futur, le baromètre est au « beau fixe ». La croissance de l’Afrique subsaharienne devrait demeurer forte avec + 5,3 % en 2006. Seuls trois pays verront leurs résultats se dégrader : la Guinée équatoriale, les Seychelles et le Zimbabwe, pays qui n’a pas fini de payer les dégâts infligés à son agriculture par l’éviction des fermiers d’origine européenne.
La poursuite de la hausse des cours du brut ne permettra pourtant pas aux pays africains importateurs de faire jeu égal (croissance de + 4,7 %) avec les pays exportateurs (+ 8 %).
Devant un tableau aussi favorable, une question vient naturellement à l’esprit : l’Afrique est-elle en passe d’atteindre les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), en matière de réduction de la pauvreté notamment ? La réponse est non, de toute évidence. Il faudrait un taux de croissance de 7 % chaque année en moyenne pour diviser par deux le nombre d’Africains vivant avec moins de 1 dollar par jour.
La Banque mondiale a effectué des projections jusqu’en 2015 : cette année-là, le taux de pauvreté en Afrique sera toujours supérieur à 38 %, c’est-à-dire très loin du taux de 22,3 % fixé dans le cadre des OMD. Rappelons qu’ils étaient 314 millions d’Africains (deux fois plus qu’en 1981), en 2002, soit 44 % de la population du continent, à vivre très pauvrement. Le recul du mal-développement est trop lent sur un continent qui compte 34 des 48 pays les moins riches de la planète, où le sida ampute la croissance d’un point par an et où le paludisme tue 2 800 personnes chaque jour.
« Les disparités qui commencent à apparaître entre les résultats économiques des différents pays africains sont frappantes, explique John Page, économiste en chef de la Banque mondiale pour la région subsaharienne. Nous pouvons donc espérer que les OMD pourront être atteints par une douzaine de pays, mais pour les autres, cela reste très improbable. »
Il faut de toute urgence mobiliser les 25 milliards de dollars d’aide supplémentaire que les pays développés ont promis d’affecter en priorité à l’Afrique. « Il nous reste moins de dix ans pour réussir », s’est exclamé, le 20 avril, Paul Wolfowitz, le président de la Banque mondiale. Mais par où commencer ? Wolfowitz, qui se voit souvent en guerrier pourchassant le mal à travers le monde, ferait bien de la lutte contre la corruption l’axe principal de sa politique. En revanche, la Banque qu’il dirige met l’accent sur d’autres problèmes, qui, selon elle, handicapent sévèrement l’Afrique.
Le premier d’entre eux est l’éducation. La très forte proportion de jeunes dans sa population – 44 % des Africains ont moins de 14 ans – pourrait être une vraie chance, à condition que ces jeunes soient bien formés. Or les enquêtes prouvent que 62 % des enfants de 7 à 14 ans travaillent et que plus de la moitié de ces derniers ne sont pas du tout scolarisés au Tchad, au Togo, au Burkina Faso et en Sierra Leone. Le taux d’achèvement des études primaires africain est de 62 %, soit 20 points de moins qu’en Asie du Sud. Il est urgent d’investir dans l’éducation.
Deuxième sujet de préoccupation : l’investissement privé et la création d’entreprise sont découragés par les difficultés juridiques, bancaires et administratives. Il en coûte entre 20 % et 40 % de plus en Afrique que dans les autres régions du monde en développement pour créer et développer une activité économique, donc des emplois.
L’exemple du Rwanda prouve que l’allègement des contraintes porte rapidement ses fruits : en réformant il y a trois ans sa législation du travail, l’attribution des droits fonciers, les douanes et les procédures judiciaires, le gouvernement de Kigali a porté le rythme de croissance annuel à 5,2 %. De telles réformes ne coûtent pas cher, sinon un bouleversement des habitudes, mais elles rapportent beaucoup de pouvoir d’achat aux populations.
Le troisième domaine prioritaire est infiniment plus coûteux, puisqu’il s’agit des infrastructures. Les ports, les ponts, les routes, les lignes électriques, les réseaux de télécommunications demandent des investissements lourds que le Nepad a commencé à recenser, compte tenu de la gravité des lacunes continentales : 30 % seulement de la population rurale africaine a accès à des routes praticables en toutes saisons. Il s’agit, là encore, de la proportion la plus médiocre de toutes les régions en développement, car en Asie de l’Est, ce pourcentage s’élève à 94 %.
Le quatrième vecteur de menaces concerne l’alimentation et l’Afrique pourrait considérablement souffrir des changements climatiques en cours. Les trois grandes sécheresses qui ont affecté le continent en trente ans annoncent l’aggravation des pénuries en eau comme en céréales. Il est spectaculaire de constater, par exemple, que les projections en 2015 font apparaître dans le monde entier un recul de la malnutrition chez les enfants de moins de 5 ans sauf en Afrique, où leur nombre augmentera.
Cette liste d’urgences n’est évidemment pas exhaustive et les experts se sont limités à ce qui paraît à la portée de l’aide bilatérale et multilatérale. Faut-il rappeler que l’ingrédient principal du développement et du recul de la pauvreté est la paix ? Car il est impossible d’éduquer, de créer des activités, de nourrir et de soigner les plus pauvres tant que le canon ou le kalachnikov feront la loi en Somalie, au Tchad, au Soudan, en Côte d’Ivoire, dans l’est de la République démocratique du Congo ou dans le sud du Nigeria.

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