Pourquoi Clinton n’a pas attaqué l’Iran

Publié le 2 mai 2006 Lecture : 3 minutes.

En tant que membres du Conseil de sécurité nationale, nous nous trouvions, avec l’Iran, au milieu des années 1990, dans une situation comparable à celle d’aujourd’hui. Les difficultés auxquelles était confrontée l’Amérique allaient s’aggravant et, au début de 1996, le président de la Chambre des représentants, Newt Gingrich, demanda publiquement le renversement du gouvernement iranien. La CIA et lui réunirent un financement de 18 millions de dollars pour mener l’opération.
Le Parlement iranien répliqua en ouvrant un crédit de 20 millions de dollars à ses services de renseignements pour contrebalancer l’influence des États-Unis dans la région. Les agents iraniens s’en prirent aux ambassades américaines et à d’autres objectifs aux quatre coins du monde. En juin 1996, la Qods Force, l’organisation clandestine de la Révolution islamique iranienne, fit sauter un immeuble occupé par l’US Air Force à Khobar, en Arabie saoudite, tuant dix-neuf Américains. L’administration Clinton et le Pentagone envisagèrent alors de lancer une campagne de bombardements. Mais après un long débat, les plus hauts responsables de la hiérarchie militaire conclurent qu’il n’y avait aucun moyen de s’assurer que les choses pourraient tourner à l’avantage des États-Unis. Bien que la liste complète des mesures de rétorsion prises par l’Amérique reste couverte par le secret défense, les documents qui ont été publiés donnent à penser que les États-Unis ont adressé au gouvernement iranien des menaces à donner la chair de poule et organisé une opération qui a fait reculer les services de renseignements de Téhéran. Les attentats terroristes iraniens contre l’Amérique ont cessé. En gros, les deux parties se sont interrogées sur les conséquences éventuelles d’un conflit et ont décidé de mettre fin aux hostilités. Un peu plus tard, l’élection en 1997 du président réformiste Mohamed Khatami a donné à Washington et à Téhéran la couverture dont ils avaient besoin pour s’écarter du précipice.
Aujourd’hui, comme au milieu des années 1990, toute campagne américaine de bombardements déclencherait inévitablement une escalade. L’Iran pourrait réagir de trois façons. Premièrement, il pourrait attaquer les installations pétrolières du Golfe et les tankers, comme il l’a fait au milieu des années 1980. En second lieu, l’Iran pourrait utiliser son réseau terroriste pour viser des objectifs américains un peu partout dans le monde, y compris aux États-Unis. L’Iran dispose de forces de frappe bien supérieures à tout ce qu’al-Qaïda pourra jamais mobiliser. Troisièmement, l’Iran a les moyens de rendre la situation de l’Amérique en Irak beaucoup plus difficile qu’elle ne l’est aujourd’hui. Les milices chiites d’Irak pourraient organiser contre les troupes britanniques et américaines des attentats encore plus meurtriers. Il y a toutes les raisons de penser que l’Iran a déjà planifié toute une série de mesures de rétorsion.

À la suite de ces représailles iraniennes, le président George W. Bush autoriserait très probablement des bombardements plus intensifs. Des objectifs officiels iraniens seraient sans doute visés dans le vain espoir que le peuple iranien profite de l’occasion pour renverser le gouvernement. Mais le plus probable est que la guerre garantirait au régime actuel quelques décennies de plus de survie.
Dès lors, en quoi le bombardement de l’Iran servirait-il les intérêts américains ? Depuis plus de dix ans qu’on se pose la question, personne n’a pu trouver une réponse convaincante. Bush nous assure qu’il cherchera une solution diplomatique à la crise iranienne. Et les menaces de recours à la force ne sont pas inutiles pour conforter la diplomatie et faire réfléchir nos alliés. Mais le niveau actuel d’activité du Pentagone donne à penser qu’il y a davantage que des mesures de planification ordinaires à l’étude ou une simple gestuelle tactique. Les parallèles avec la préparation de la guerre en Irak sont trop frappants. Le Congrès n’a pas posé alors les questions qu’il fallait. Il ne doit pas à présent permettre à l’administration de s’engager dans une autre guerre dont on ne peut prévoir l’issue ou, pis, dont on connaît trop bien l’issue.

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* Respectivement ex-coordinateur de la sécurité nationale et du contre-terrorisme, et ex-directeur du contre-terrorisme au Conseil de sécurité nationale.

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