Pas de chèque en blanc pour Abidjan

À Paris, Washington et Bruxelles, le Premier ministre a obtenu le soutien des politiques. Mais les bailleurs ne donneront rien les yeux fermés.

Publié le 2 mai 2006 Lecture : 3 minutes.

Paris à la mi-avril, Washington du 23 au 27 avril et puis Bruxelles du 28 avril au 5 mai En moins de trois semaines, Charles Konan Banny aura rendu visite aux grands parrains de la Côte d’Ivoire. Apprécié par les Occidentaux pour ses qualités de diplomate, de médiateur et de gestionnaire, le Premier ministre cherche à convaincre ses principaux soutiens de financer sa feuille de route qui doit conduire à des élections libres et transparentes au plus tard le 31 octobre prochain. Quelque 500 milliards de F CFA d’aide extérieure, dont 90 milliards provenant de la Banque mondiale, sont programmés pour le financement du processus de désarmement, de démobilisation et de réinsertion (DDR) dans le budget 2006 de l’État ivoirien, qui s’élève au total à 1 380 milliards de F CFA.
George W. Bush, Jacques Chirac et Kofi Annan, qui le voient comme le meilleur espoir de sortie de crise, lui ont réaffirmé leur appui politique lors de ses passages à l’Élysée, à la Maison Blanche et au siège des Nations unies. « La reprise de la coopération est acquise », claironne un Banny, pourtant loin d’avoir reçu toutes les assurances financières.
Les institutions de Bretton Woods ne ferment évidemment pas la porte. Elles enverront prochainement une mission à Abidjan pour étudier les modalités de reprise de la collaboration financière, mais surtout pour s’assurer que le Premier ministre a bel et bien repris en main les rennes économiques du pays. Des doutes sont permis puisque nombre de postes clés sont encore occupés par des proches du président Laurent Gbagbo : Victor Nembellissini, patron de la Banque nationale d’investissement (BNI, ex-Caisse autonome d’amortissement), contrôle plusieurs grands comptes de l’État, tandis que Marcel Gossio dirige le port d’Abidjan et qu’un bon nombre d’inspecteurs des Finances restent fidèles à Paul-Antoine Bohoun Bouabré, l’ex-grand argentier passé ministre du Plan et du Développement. La communauté internationale pousse donc Banny à réaliser un examen des finances publiques pour y voir plus clair. Mais le Premier ministre craint que cette revue financière n’envenime ses relations avec le chef de l’État. Les derniers audits sur la filière cacao laissent déjà entendre que le régime avait détourné des fonds
La liste des injonctions des hommes de Washington ne s’arrête pas là. Le FMI et la Banque mondiale, qui ont cherché à mettre leur nez dans les comptes du pays lors de leur dernière visite en septembre, n’ont pas obtenu entière satisfaction et demandent une meilleure collaboration. Dans leur collimateur se retrouvent pêle-mêle les organes de gestion de la filière cacao, qualifiés d’« opaques », les comptes « occultes » du secteur pétrolier, et la BNI, accusée de servir de caisse noire au régime.
Techniquement, la reprise des financements n’interviendra qu’une fois réglés les arriérés de paiements qui s’élèvent à 150 milliards de F CFA (environ 230 millions d’euros) auprès de la Banque mondiale. « La marge de manuvre du Premier ministre est très faible », explique un diplomate africain. « Il doit rembourser sa dette tout en assurant le paiement mensuel des fonctionnaires, s’il veut éviter une bombe sociale. » Pour ne pas toucher aux recettes publiques, Abidjan pourrait donc émettre des bons du Trésor sur le marché régional par l’entremise de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO).
En attendant, le Premier ministre devrait pouvoir continuer à compter sur le soutien de l’Union européenne. Il doit rencontrer le 3 mai le commissaire au Développement et à l’Aide humanitaire, Louis Michel. Les deux hommes s’apprécient, et l’ex-ministre belge des Affaires étrangères dispose de 170 millions d’euros pour financer les opérations de transition et de développement jusqu’à la fin 2007. Si certains engagements semblent assurés (DDR et fonds pour les producteurs et exportateurs de bananes, notamment), Bruxelles ne souhaite néanmoins pas signer un chèque en blanc et demande des garanties. La Commission a adressé la semaine dernière un courrier au Premier ministre pour lui suggérer d’arrêter les prélèvements des organes de contrôle et de gestion du secteur cacao et de remettre de l’ordre dans le fonctionnement de la filière. La bonne volonté, la détermination et les résultats de Charles Konan Banny sur ce dossier seront un bon indicateur de son emprise sur l’économie ivoirienne.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires