Ouaga à l’heure des municipales

Les Burkinabè n’ont pas répondu présent aux élections du 23 avril, qui ont pourtant consacré l’aboutissement

Publié le 2 mai 2006 Lecture : 5 minutes.

« Les électeurs se font désirer dans les bureaux de vote de Bogodogo », « Timide ambiance à Nongr-Massom », « Les électeurs traînent le pas à Boulmiougou » : en attendant leur proclamation officielle le 9 mai, la presse burkinabè n’est pas tendre avec les résultats des élections municipales du 23 avril. Dans les cinq arrondissements de la capitale, comme dans la majorité des 49 communes urbaines et des 309 municipalités rurales que compte désormais le pays, les urnes sont loin d’avoir fait le plein.
Quoiqu’en disent les états-majors politiques, selon lesquels il y a eu la queue devant les bureaux « dès leur ouverture à 6 heures du matin », « la participation n’a pas été à la hauteur de celle qui était attendue, confirme Alexandre Le Grand Rouamba, rédacteur en chef adjoint du quotidien Le Pays. Comme on était dimanche, les gens ont préféré aller à la messe ! » plaisante-t-il. Sans doute l’averse qui s’est abattue sur la capitale en milieu d’après-midi a-t-elle aussi incité nombre d’électeurs à rester devant la télévision
Réceptionniste dans un hôtel de Ouagadougou, Seydou fait partie de ceux qui ont boudé le scrutin. « Les gens se sont surtout exprimés lors de la présidentielle, en novembre dernier, parce qu’ils voulaient décider de la personne qui allait les diriger. Mais maintenant, ils ont d’autres chats à fouetter », explique-t-il, apparemment peu au fait de l’importance de la présente consultation. La communalisation intégrale du pays qu’elle instaure constitue, en effet, une étape essentielle du renforcement de la démocratie au Burkina. Pour la première fois, les Burkinabè vont pouvoir exercer un contrôle direct et immédiat sur leurs représentants.
En ville, l’absence de tracts et d’autocollants sur le mobilier urbain laissait présager une telle issue. Rares sont les grands panneaux à l’effigie des candidats en lice. Seul un portrait de Simon Compaoré, le maire sortant du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) qui brigue un nouveau mandat, drague les automobilistes aux abords du nouveau rond-point de la Paix. L’Union pour la renaissance/Mouvement sankariste (UNIR/MS) et l’Union nationale pour la démocratie et le développement (UNDD) tentent bien de lui faire concurrence en centre-ville, mais sans grand succès. Leurs affiches scotchées sur le tronc d’un arbre, en face de l’hôtel Indépendance notamment, souffrent de la concurrence de celles des « Kunde 2006 » – les Victoires de la musique burkinabè -, de la Fête de la bière et du Festival de jazz de Ouaga. À la télévision, les émissions politiques n’ont pas fait recette non plus. Quatre jours avant le scrutin, les spots annonçant la diffusion de « Paroles de maire », à la mi-temps de la demi-finale de la Ligue des champions Arsenal-Villareal, laissait de marbre les amateurs de ballon rond installés devant l’écran du bar de l’« Indé », comme on l’appelle communément
Face à la présidence, quelques motocyclistes perchés sur leurs « chars » arborent, certes, des casquettes et des tee-shirts blancs floqués de l’écusson rouge, vert et bleu du CDP ou du portrait du président Compaoré. Mais ces fins de stocks de la dernière campagne présidentielle de novembre ne parviennent décidément pas à ressusciter l’ambiance d’alors. « Aujourd’hui, les habitants pensent d’abord à trouver du boulot. Et beaucoup estiment par ailleurs que, quel que soit leur choix, ceux qui doivent passer passeront. Alors ils ne voient pas l’intérêt d’aller voter », poursuit Seydou.
Pourtant, la mobilisation des électeurs aurait pu avoir d’importantes répercussions sur la vie politique ouagalaise. À la tête de la capitale depuis 1995, Simon Compaoré ne fait plus l’unanimité. Sa gestion autoritaire de la ville est désormais mise en cause. L’édile est accusé de n’en faire qu’à sa tête et de ne pas tenir compte de l’avis de ses administrés. « Compaoré veut faire de Ouagadougou une capitale à l’occidentale, propre et embellie. Partout, il fait aménager des jardins. Mais ici, nous avons d’autres priorités », avance Congo, chauffeur de profession, au pied de son 4×4 Pajero. Selon lui, la chasse aux petites boutiques de rue, aux marchands ambulants et aux mendiants qui peuplent les trottoirs des avenues n’a guère été appréciée. « Beaucoup ont vu leurs rares marchandises finir dans un camion-benne. Ils ont perdu leur unique source de revenu », explique-t-il.
« L’affaire » du marché central Rood Woko, qui a brûlé le 27 mai 2003, alimente également les rancurs. Propriété de la mairie, situé en plein cur de la cité, il était considéré comme son poumon économique. Jusqu’à 10 000 personnes pouvaient y faire des affaires avant qu’il ne parte en fumée. « Le marché faisait la fierté du Burkina. Son rayonnement s’étendait à toute la sous-région », confie Jean-Marie Ouédraogo, le chef de détachement de la police des marchés de Ouagadougou. « Togolais, Maliens, Nigériens : tous venaient s’y ravitailler. » Depuis le sinistre, trois années déjà ont passé. Mais kiosques et étals sont toujours maculés de suie et de gravats. Alors, face à l’immobilisme apparent des autorités, toutes sortes de rumeurs courent l’agglomération. La plus répandue affirme que le marché ne rouvrira jamais ses portes. Le maire aurait lui-même ordonné sa destruction pour débarrasser Ouaga d’un espace devenu anarchique. Il aurait aussi profité de l’« accident » pour se livrer à une juteuse plus value financière, en vendant l’emplacement du bâtiment à des Libanais qui auraient accepté de construire à la place un centre commercial
« Ce sont des insanités, un pétard mouillé, réplique Simon Compaoré. Jamais nous n’aurions fait une chose pareille. Je connais la valeur de ces infrastructures. Des enquêtes ont été menées. Elles ont montré que le feu était parti d’un groupe électrogène. À travers ces accusations sans fondement, on a voulu exploiter politiquement l’affaire. Les commerçants du marché reconnaissent d’ailleurs aujourd’hui que l’un d’entre eux a bien déclenché l’incendie », argumente-t-il. Conscient d’avoir affaire à un dossier explosif, le maire a cependant voulu montrer qu’il en faisait désormais une priorité. À l’avant-veille du scrutin, une visite des ruines du marché a été organisée pour les entreprises intéressées par sa démolition
« Reste aussi la question du lotissement des parcelles à construire en ville », ajoute Alexandre Le Grand Rouamba. « Les habitants de quatre des cinq arrondissements de la capitale, normalement prioritaires pour l’attribution des terrains situés dans leur quartier, affirment que des passe-droits ont été accordés à des non-résidents, moyennant quelques petits arrangements. Or il n’y a pas assez de place pour tout le monde », précise le journaliste. Une nouvelle polémique immobilière, dont le maire se serait bien passé : dans le cadre du projet Zaca de restructuration du centre-ville de Ouagadougou, ce dernier avait déjà dû affronter la colère des expropriés de la zone. En comparant le montant de l’indemnisation qu’on leur avait versée et le prix de vente des nouvelles parcelles à bâtir, ils ont eu la désagréable impression de s’être fait arnaquer
Malgré tout, Simon Compaoré ne semble pas menacé dans son fief. « Heureusement qu’il porte le même nom que le président de la République, en conclut Congo, le chauffeur, persuadé que le maire de la capitale repassera grâce à son illustre patronyme. Car sinon, les gens l’auraient viré depuis longtemps ! »

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