[Tribune] Floribert Chebeya et Fidèle Bazana : les assassins courent toujours !
Cette tribune est coécrite par Paul Nsapu et Dismas Kitenge, président de l’association LOTUS, organisation membre de la FIDH.
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Paul Nsapu
Paul Nsapu est président de la Ligue des électeurs en RDC, et secrétaire général adjoint de la FIDH.
Publié le 5 juin 2018 Lecture : 3 minutes.
Il y a huit ans, Floribert Chebeya, infatigable défenseur des droits humains en République démocratique du Congo, et son collègue Fidèle Bazana, étaient lâchement assassinés. Non seulement, la plupart des auteurs du double assassinat ont été protégés, mais le supposé commanditaire de ce meurtre, le général John Numbi, n’a toujours pas été inquiété par la justice congolaise. Il vient même d’être réintégré au sein de l’appareil sécuritaire, à huit mois du scrutin présidentiel.
Le 2 juin 2010, deux jours après avoir été porté disparu, le corps sans vie de Floribert Chebeya est retrouvé dans sa voiture, asphyxié. Son collègue et ami, Fidèle Bazana, n’a toujours pas été retrouvé. En mars 2018, le pays s’embrase à nouveau : dans le Kasaï, le soulèvement est écrasé dans le sang. L’est du pays redevient la proie des milices et des groupes armés, combattus par une armée nationale connue pour sa violences meurtrière. S’y ajoute la répression des manifestations pacifiques contre Kabila, dont le bilan s’élève à une centaine de morts.
Quel rapport entre ces événements hormis la violence meurtrière, devenue si banale dans ce pays où la gouvernance se limite à la seule préservation du pouvoir présidentiel ?
Fidèle de la première heure du président, Numbi est toujours resté en étroite relation avec le régime
Peut-être dans celui qui est très probablement l’un des donneurs d’ordres de ces crimes impunis. Le jour de sa disparition, Floribert Chebeya avait en effet rendez-vous avec le chef de la police congolaise, le général John Numbi. Pour cette raison, et au vu de tous les témoignages reçus depuis, nous le soupçonnons, comme de nombreuses autres ONG, d’être le commanditaire du double assassinat.
Destitué de son poste d’Inspecteur général de la police en raison de ces pressions internationales, il a toujours nié avoir été suspendu de l’armée. Durant ses sept années de (relative) mise à l’écart, il s’est même illustré par la violence des répressions qu’il a orchestrées, notamment contre l’opposition dans le Katanga. Depuis 2016, il fait d’ailleurs l’objet de sanctions financières de la part de l’Union européenne pour des actes de violences visant à entraver la tenue des élections.
Fidèle de la première heure du président, il est toujours resté en étroite relation avec le régime. En novembre 2017, quelques mois après avoir été décoré de l’ordre des héros nationaux Kabila-Lumumba, il est revenu au premier rang des affaires via sa réhabilitation dans les FARDC.
S’il n’a toujours pas de nouvelle affectation précise dans l’appareil sécuritaire, il est resté très influent au sein des forces de police et de l’armée. Et ce n’est certainement pas un hasard s’il vient de réintégrer à Kinshasa le petit cercle des proches du président Kabila, dans un climat de tension politique grandissante. Dès lors, il est difficile de penser qu’il n’ait rien à voir dans la répression sanglante des marches pacifiques et autres manifestations de l’opposition des derniers mois.
Mais pour en avoir la certitude, il faudrait que la justice congolaise puisse travailler en toute indépendance, et ce n’est pas le cas. De la même manière qu’elle a brillé par son incompétence au cours des parodies de procès qui se sont déroulées dans l’affaire de l’assassinat de nos amis et collègues en 2010, elle s’est tout autant distinguée par son manque d’engagement dans le traitement des crimes commis par les forces de l’ordre lors des manifestations anti-Kabila. Aucune enquête effective n’a pour l’instant abouti dans le cadre de ces événements, aucun responsable de la police n’est poursuivi, malgré les preuves évidentes d’un usage excessif de la force.
Les autorités congolaises ne veulent pas voir aboutir ce dossier brûlant
Faute de pouvoir faire confiance à la justice de leur pays, les familles de Floribert Chebeya et de Fidèle Bazana ont quant à elles placé depuis quelques années leurs derniers espoirs dans une démarche judiciaire à Dakar. Paul Mwilambwe, ancien major de la police, en charge de la sécurité du bureau de John Numbi, là où Floribert se serait rendu le soir de sa disparition, s’est livré au Sénégal à une audition accablante.
Mais les commanditaires du double assassinat, certains de ses auteurs et complices courent toujours. En cause : l’absence de coopération et de volonté politique des autorités congolaises, qui ne veulent pas voir aboutir ce dossier brûlant.
John Numbi, lui, peut se réjouir. Les mains sales et la tête auréolée de ses trois nouvelles étoiles, il a réintégré le cercle restreint de Kabila, et est prêt à tout pour prolonger le mandat de son protecteur.
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