Maliki peut-il réussir ?

Quatre mois après la victoire de l’Alliance chiite aux élections législatives, le pays a enfin un nouveau chef du gouvernement

Publié le 2 mai 2006 Lecture : 6 minutes.

Plus de 70 % des Irakiens avaient fait fi des menaces des insurgés pour participer aux législatives de décembre 2005. Quatre mois plus tard, ils n’avaient toujours pas de gouvernement. La raison ? Le Premier ministre sortant, Ibrahim al-Jaafari, récusé par les Kurdes et les sunnites, mais soutenu par l’Alliance chiite, voulait coûte que coûte être reconduit. Le 22 avril, l’Alliance a fini par trouver une solution : Jaafari sera remplacé par son lieutenant au sein du parti Al-Daawa (« la prédication »), Nouri al-Maliki.

Qui est le nouveau Premier ministre ?
Natif de Hindiya, dans la région de Babylone, Nouri al-Maliki, 56 ans, est titulaire d’un diplôme de troisième cycle en littérature arabe de l’université de Bagdad. Profondément religieux, ce chiite entame un cursus théologique dans la haouza de Nadjaf, où il devient un disciple de l’ayatollah Mohamed Sadek Sadr, père du jeune imam rebelle Moqtada Sadr. Au milieu des années 1970, il rejoint Al-Daawa, doyen des partis d’opposition au régime. Pour des raisons de sécurité, il est obligé de changer de nom. Et opte pour Jawad (« cavalier »). En juillet 1978, Saddam Hussein accède au pouvoir à la faveur d’une énième révolution de palais. L’avènement, quelques mois plus tard, de la révolution iranienne fera des islamistes irakiens une cible privilégiée des sbires du raïs. Le maître à penser de Maliki, l’ayatollah Mohamed Sadek Sadr, est assassiné, et les activistes chiites sont arrêtés, torturés et exécutés. À 30 ans, Maliki est contraint à l’exil pour fuir la répression. Première escale : Damas. Mais comme le gros des troupes de son parti se trouve dans la nouvelle Mecque des militants chiites, la ville iranienne de Qom, il y rejoint Jaafari. Il s’installe ensuite à Téhéran, où il enseigne l’arabe à l’université, sans renoncer à l’activité politique, qui le conduit à devenir le second de Jaafari, président d’Al-Daawa. Il ne reviendra en Irak qu’après la chute du régime baasiste, en avril 2003, avec le statut de porte-parole d’Al-Daawa. C’est ainsi que Maliki devient un habitué des plateaux des chaînes de télévision arabes. Mais c’est loin des projecteurs qu’il est le plus efficace.
En juin 2003, Paul Bremer est proconsul d’Irak. Il préconise la chasse au Baas, source première, selon lui, de l’insurrection. Un comité est alors spécialement mis en place pour traquer les baasistes dans les institutions. Maliki en fait partie et devient très vite un membre actif, se faisant ainsi remarquer par les représentants de la puissance occupante : Paul Bremer d’abord, ensuite l’ambassadeur John Negroponte et son successeur Zalmay Khalilzad.
Maliki se forge rapidement une réputation de « dur ». Il fait partie de la Commission de rédaction de la nouvelle Constitution qu’il défend bec et ongles quand les sunnites en contestent les aspects fédéralistes et les articles faisant d’eux une minorité politique. Il ira jusqu’à prophétiser qu’un boycottage sunnite n’aurait aucune incidence sur le processus politique en cours.
Infatigable, privilégiant les séances nocturnes, « quand l’interlocuteur affiche des signes de lassitude », Maliki est aussi déterminé qu’un Iyad Allaoui, mais beaucoup moins rigide. Sa barbe éternellement naissante, ses lunettes de professeur et un regard perçant lui donnent un air martial. Son discours sait être fédérateur (« l’Irak de mes rêves est un Irak pluriel », disait-il en exil), sans qu’il renonce pour autant à ses convictions nourries par les frustrations de la communauté chiite, exclue de tout temps de la sphère du pouvoir exécutif. Libéral jusqu’au bout des ongles, sa foi en l’économie de marché est inébranlable.

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Comment a-t-il été nommé ?
Al-Daawa fait partie de l’Alliance irakienne unifiée (AIU), un conglomérat de formations d’obédience chiite, principale force politique dans l’Irak post-Saddam. Outre Al-Daawa, on y trouve le Conseil suprême de la révolution islamique irakienne (CSRII) d’Abdelaziz al-Hakim, ou encore le courant du jeune imam rebelle Moqtada Sadr. Victorieuse lors des législatives de février 2005, l’Alliance a eu du mal à reconduire Ibrahim al-Jaafari à la tête du gouvernement. Le Premier ministre avait perdu les faveurs des Kurdes et des sunnites. Les premiers lui reprochaient d’avoir empêché la réintroduction de Kirkouk – et de ses immenses réserves pétrolières – dans le Kurdistan irakien et de s’être rendu en Turquie pour y converser avec Recep Tayyip Erdogan sans en référer au président Jalal Talabani. Quant aux seconds, ils l’accusaient d’avoir failli à sa mission première : la protection des citoyens : « Plus de 40 000 sunnites sont morts depuis que Jaafari a pris la tête de l’exécutif », a déclaré Tarek al-Hachemi, leader sunnite, devenu premier vice-président de l’Irak le 23 avril.
Mais Jaafari a d’autres adversaires : les Américains. L’ambassadeur Zalmay Khalilzad reprochait au Premier ministre sortant sa trop grande proximité avec Téhéran, où il s’était rendu à deux reprises depuis sa prise de fonctions, en avril 2005. Par ailleurs, il avait commis l’irréparable en exigeant un calendrier de retrait des troupes de la coalition.
Fort du soutien du courant sadriste, qui l’avait appuyé en réaction à l’hostilité américaine, Jaafari a maintenu sa candidature. Une attitude qui a mené à l’impasse politique et à une situation fort embarrassante pour l’administration Bush, soucieuse de donner à son opinion des images sur « l’avancée démocratique en Irak » pour atténuer les mauvaises nouvelles du front, avec une insurrection de plus en plus ingénieuse, et le début d’une guerre civile entre communautés religieuses.
Au fil des semaines, les soutiens de Jaafari se sont effilochés. Le 21 avril, à la veille d’une réunion de l’Alliance, celui-ci rencontre Abdelaziz al-Hakim. Il lui annonce qu’il est prêt à renoncer à sa candidature, à une seule condition : le poste doit revenir à Al-Daawa, et donc à son premier lieutenant, Maliki. Hakim a du mal à cacher son soulagement. Le soir même, il informe Khalilzad, qui transmet la nouvelle « historique » à Washington. Hakim dépêche un émissaire à Koufa pour en référer à Moqtada Sadr et un autre à Nadjaf auprès de l’ayatollah Ali Sistani. Ce dernier reçoit poliment l’envoyé de Hakim, mais lui déclare qu’il ne veut pas s’immiscer dans la nomination du nouveau Premier ministre. Quant à Moqtada Sadr, il donne son consentement, « car ce n’est pas le candidat des Américains », croit-il. C’est ainsi que, le 22 avril, l’Alliance réunit tous ses élus pour annoncer la sortie de crise : Jaafari renonce au poste de Premier ministre. Le nouveau gouvernement peut enfin voir le jour.

Quelles sont ses chances de réussite ?
La situation politique et militaire est si complexe que le nouveau Premier ministre aura toutes les peines du monde à mettre de l’ordre dans la maison Irak. Outre la formation de son gouvernement (il n’a que trente jours pour le faire) et la délicate répartition des maroquins, Maliki a deux grands dossiers sur les bras : la dissolution des milices armées et le renforcement des institutions irakiennes post-Saddam, éclaboussées par de nombreuses affaires de corruption.
Les agissements des milices armées ont atteint leur comble avec la découverte quotidienne de cadavres de citoyens exécutés d’une balle dans la tête après avoir été torturés. Ce sont généralement des sunnites, interpellés chez eux nuitamment par des individus portant l’uniforme de la police. Les escadrons de la mort ont multiplié leurs macabres virées nocturnes depuis l’attaque du sanctuaire chiite de Samarra, en février 2005. Les Américains accusent les brigades Al-Badr, milices chiites d’Abdelaziz al-Hakim, formées et équipées par les Pasdarans iraniens, d’être derrière ces vendettas antisunnites. Tel n’est pas l’avis de Maliki, qui a vu naître la milice Al-Badr, à Qom, au milieu des années 1980.
Trois autres milices devraient lui poser des problèmes : les Forces spéciales irakiennes, une brigade de commandos autochtones placés sous la direction d’un ancien général de Saddam, mais n’ayant aucun lien organique avec les institutions irakiennes, qui prennent leurs ordres au QG de la coalition situé dans la zone verte à Bagdad ; Jaysh al-Mahdi, une organisation politico-militaire se réclamant de Moqtada Sadr ; enfin, les Peshmergas, bras armé des deux partis kurdes, l’Union patriotique du Kurdistan (UPK, du président Jalal Talabani) et le Parti démocratique du Kurdistan (PDK, de Massoud Barzani, président du Kurdistan, son titre officiel).
Après sa nomination, Maliki a déclaré que « le monopole des armes devait revenir au gouvernement légitime ». Les refus ont fusé de toutes parts. Les Américains ont démenti l’existence de forces spéciales. Talabani a affirmé que les Peshmergas constituent « une force régulière ». Quant à Moqtada Sadr, il a répliqué que le Jaysh al-Mahdi n’accepterait jamais de désarmer avant le départ des forces d’occupation. C’est dire les difficultés qui attendent Maliki. Un homme certes à poigne, mais qui se retrouve à la tête de l’exécutif d’un État en déliquescence avancée.

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