Le dernier combat d’Omar Bongo Ondimba

Le chef de l’État a décidé de consacrer son nouveau mandat à préparer l’avenir et à laisser en héritage un pays réconcilié avec lui-même.

Publié le 2 mai 2006 Lecture : 6 minutes.

C’est, dans la classe politique gabonaise, une antienne, un refrain que beaucoup fredonnent au lendemain de chaque élection présidentielle. Celle du 27 novembre dernier, la troisième pluraliste dans l’histoire démocratique du pays après celles de 1993 et de 1998 n’échappe pas à la règle : le dialogue s’amorce après la bagarre électorale et la contestation parfois musclée des résultats. Ainsi de la rencontre, le 19 avril dernier entre le chef de l’État Omar Bongo Ondimba et le leader de l’Union du peuple gabonais (UPG), Pierre Mamboundou, qui s’était réfugié depuis un mois à l’ambassade d’Afrique du Sud après une descente des forces de l’ordre au siège librevillois de son parti.

L’entretien, prévu pour avoir lieu la veille, n’a pu se tenir que le lendemain, le Palais ne voulant pas céder aux exigences de Mamboundou qui réclamait une escorte pour sa sécurité. Il ne l’a pas eue, mais a été assez satisfait pour déclarer à sa sortie : « J’ai trouvé ici une volonté de régler les problèmes par le dialogue. » Mais ce report de vingt-quatre heures a empêché le président Bongo Ondimba de recevoir dans la foulée une délégation de l’opposition radicale, dont Zacharie Myboto, chef de file de l’Union gabonaise pour la démocratie et le développement (UGDD), et Jules Aristide Bourdes Ougouliguende, du Congrès pour la démocratie et la justice (CDJ), qui en sont les poids lourds.

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Le chef de l’État les verra au cours de ce mois de mai, à son retour des Émirats arabes unis, où il s’est rendu pour une visite de travail avant de donner le coup d’envoi du dialogue pouvoir-opposition. Au menu : l’instauration d’un scrutin à deux tours aux législatives de décembre prochain ; la mise en place d’un bulletin unique, la remise d’une copie des procès-verbaux des bureaux de vote au représentant de chaque candidat ; la refonte des listes électorales ; la suppression du vote séparé des forces de défense et de sécurité. Une belle empoignade en perspective que le chef de l’État préfère à la guérilla politicienne permanente. Car il souhaite consacrer son septennat à préparer l’avenir et à laisser en héritage un pays homogène, débarassé de ses démons politiques et réconcilié avec lui-même.

Et l’avait clairement martelé tout au long de la campagne électorale en promettant des actes. En clair, ses grands travaux susceptibles de relancer la machine économique et l’emploi : le nouvel aéroport international de Libreville ; les nouvelles bretelles du Transgabonais jusqu’à Bélinga pour l’exploitation du fer et jusqu’à Santa Clara, au nord de la capitale, où sera construit un nouveau port minéralier ; l’ouverture de la nouvelle mine de manganèse d’Okondja, dans le Haut-Ogooué ; l’aménagement de la zone franche de Port-Gentil ; le bitumage de la route du Sud, de Libreville à Mayoumba, après celle du Nord qui va jusqu’à la frontière avec le Cameroun. Sans oublier les parcs nationaux, l’écotourisme, la forêt, le développement des industries de transformation.

La remise en ordre dans la maison Gabon est sa manière à lui de préparer l’après-pétrole et la relève qui va avec. « C’est là que les Gabonais attendent le boss, confie l’un de ses proches. Comme vous l’avez vous-même déjà écrit, le Gabon n’est plus ce qu’il était il y a vingt ans, le pays du PMU – pétrole, manganèse, uranium. Depuis la Conférence nationale des années 1990, les gens ne sont nourris que de politique. Ils sont fatigués et ont fait le tour de la question : avec le parti unique et la chute de celui-ci, la conférence nationale, les accords de Paris, les conflits postélectoraux, les vicissitudes de la démocratisation… Mais pour cela, il doit apaiser le jeu politique, amener tout le monde à accepter une trêve, un code de bonne conduite. »

Ce combat passe par la décrispation qui a commencé avec l’ouverture du gouvernement mis en place le 21 janvier dernier à la société civile (syndicats, enseignants, avocats) et au Rassemblement national des Bûcherons du Pr Pierre-André Kombila, un parti jusque-là estampillé radical. Mais aussi par des relations apaisées avec l’opposition, facteur de consolidation de la paix dans le pays qui est resté à l’abri des coups d’État, des violences et des soubresauts récurrents ailleurs sur le continent, particulièrement en Afrique centrale.

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Il y aura naturellement beaucoup de palabres, de grincements de dents, voire des divorces. Probablement beaucoup plus d’ailleurs parmi les partisans du chef de l’État qu’au sein de ses adversaires. Car en filigrane du débat qui s’annonce se profile la question sinon de la succession, du moins de la relève. Elle est dans tous les esprits et, a fortiori, dans tous les états-majors. Le chef de l’État lui-même n’a pas hésité à l’évoquer à mots couverts, surtout pendant la campagne électorale.

Pour les adversaires du régime, qui attendent leur tour, l’équation est simple, elle tient en un mot : alternance. Dans le camp de Bongo Ondimba, tout le monde attend un nom, et chacun espère que ce sera le sien. Les uns et les autres s’impatientent de le voir régler le problème au lieu de se tourner vers les institutions et leur fonctionnement normal : l’épreuve des urnes. La tâche est ardue pour OBO, comme on l’appelle désormais, qui commence par les inévitables arbitrages au moment des investitures des candidats du Parti démocratique gabonais (PDG) à la députation, et entre ceux-ci et leurs alliés de la mouvance présidentielle, une quarantaine de formations qui ont lié leur sort politique à celui du régime.

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Déjà, Me Louis-Gaston Mayila, le vice-président du PDG et vice-Premier ministre, qui n’a pas de mandat électif et ne cache à personne son ambition de devenir le prochain président de l’Assemblée nationale, voudrait bien se faire élire à Fougamou, sa ville natale. Problème : le siège est actuellement occupé par l’ancien ministre Marcel Doupambi Matoka, trésorier général du PDG et membre de son secrétariat exécutif. Le vice-Premier ministre chargé des Transports Paul Mba Abessole, leader du Rassemblement pour le Gabon (RPG), invite, lui, ses partenaires du parti présidentiel à se désister dans certaines circonscriptions au profit de ses propres camarades. Le chantre de « l’opposition consensuelle » et ancien maire de la capitale serait d’ailleurs prêt à créer un nouveau parti avec le PDG, comme il a voulu le faire au début des années 1990 avant de se raviser. Au sein même du PDG, les différents courants, qu’ils se nomment Rénovateurs, Appellistes ou autres, entendent, chacun de son côté, parrainer le maximum de leurs encartés. Les places seront ­chères, car l’enjeu est de taille.

Une foire d’empoigne qui promet d’être d’autant plus fratricide qu’une bonne représentation dans l’Hémicycle peut toujours peser d’un certain poids quand le moment de la relève sera venu. Et quand des électrons plus ou moins libres, comme Jean-Pierre Lemboumba Lepandou, coordinateur général des affaires présidentielles et secrétaire général du Parti gabonais du centre indépendant (PGCI) revenu au bercail après plusieurs années de brouille et d’opposition, ou le vice-président Didjob Divungi Di Ndinge, ou encore Pierre Claver Maganga Moussavou du Parti social démocrate (PSD), manifesteront leurs ambitions.

Sans oublier Paul Mba Abessole, ni ceux qui voudront s’affranchir le plus rapidement possible de la tutelle du chef pour jouer leur propre partition. À ce dernier de modérer les appétits, d’arbitrer les conflits, comme il a jusqu’ici su le faire. Sur ce registre comme sur celui des équilibres régionaux et ethniques, il n’a pas été souvent pris en défaut : chaque région, chaque ethnie a toujours, peu ou prou, été représentée au sommet. Mais ce qu’attendent ses compatriotes, au-delà de la paix civile, c’est un renouvellement de la classe dirigeante qui permettrait de sortir de l’éternel retour des mêmes. Et, surtout, la relance économique ? et un meilleur partage des richesses du pays.

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