Élection, pétrole et crise

La probable réélection du chef de l’État à la présidentielle du 3 mai, boycottée par l’opposition, ne garantit pas la stabilité du pays. Bien au contraire.

Publié le 2 mai 2006 Lecture : 5 minutes.

Il y a quelque chose d’étonnant dans cette élection. Elle est sans enjeu, et pourtant le président-candidat s’est beaucoup plus dépensé pour celle-ci que pour les précédentes. « Je ne l’ai jamais vu comme ça, dit un vieux N’Djamenois. Cette année, il a fait campagne dans tous les quartiers de la capitale. » Le 22 avril, il a invité plusieurs centaines de membres de sa communauté zaghawa dans l’une de ses villas. « Vous savez ce qui vous serait arrivé si les rebelles avaient gagné. N’oubliez pas qui les a repoussés », a-t-il dit en substance. Pour faire bonne mesure, il leur a aussi demandé de ne plus se comporter en ville comme des caïds : « Cessez de vivre au-dessus de la loi. » Le 26 avril, il s’est rendu à Mongo, Am Timan et Sarh avec trois avions, deux véhicules 4×4 blindés et une escorte surarmée. « N’ayez pas peur des mercenaires à la solde du Soudan », a-t-il lancé en arabe aux habitants de Mongo. Il est vrai que, dans cette ville brièvement occupée par les rebelles du Front uni pour le changement démocratique (FUC) le 11 avril dernier, Idriss Déby Itno ressemblait plus à un général ?en tournée d’inspection qu’à un candidat en campagne.
Est-ce seulement pour mobiliser les électeurs que le président-candidat s’est tant démené ? Pas sûr. Au Tchad, le taux de participation est une donnée assez virtuelle. Quand les électeurs ne sont pas au rendez-vous, comme au référendum de juin 2005, le pouvoir n’hésite pas à annoncer tout de même 72 % de votants. Cette année, le régime est même soupçonné de faire voter deux millions d’électeurs fantômes ! « Officiellement, plus de cinq millions de Tchadiens sont inscrits. En réalité, trois millions de Tchadiens seulement ont une carte. Les autres n’existent pas ! » affirme l’opposant Ibni Oumar Mahamat Saleh. « Impossible de nettoyer les listes, car la commission électorale est aux ordres », ajoute-t-il.
En fait, par cette débauche d’énergie, Idriss Déby Itno poursuit un autre but. À tous ceux qui disaient qu’il était très malade, il montre qu’il est en forme. Et à tous ceux qui prétendaient qu’il était fini, il prouve qu’il a de la ressource. « Je suis un vieux guerrier, avec un il toujours ouvert », aime-t-il à dire. La victoire militaire du 13 avril dernier aux portes de N’Djamena lui a donné raison. Provisoirement du moins. À chaque meeting électoral aux côtés de sa nouvelle épouse Hinda, 26 ans, le président tchadien a savouré ce pouvoir que ses adversaires n’ont pas réussi à lui arracher. Déby Itno prend sa revanche.
Le problème, c’est que, comme l’an dernier, beaucoup de bureaux de vote risquent d’être déserts ce 3 mai. À N’Djamena, les gens ont peur. Le bruit du canon à l’aube du 13 avril est dans toutes les mémoires. Tout le monde redoute un nouveau coup d’éclat des rebelles du FUC, comme ceux-ci l’ont laissé entendre. Surtout, beaucoup sont tentés de suivre les consignes de boycottage lancées par l’opposition.
Depuis que le président tchadien a fait modifier la Constitution afin de pouvoir se représenter, l’opposition est en conflit ouvert avec lui. « Nous ne voulons pas d’une présidence à vie à coup d’élections truquées », martèlent Jean Bawoyeu Alingué comme Ngarledji Yorongar. « En croyant que seuls comptent la roublardise, l’achat des consciences et la brutalité, Déby s’engage vers une fin de règne à très court terme », lance Lol Mahamat Choua.
Ces dernières semaines, l’opposition a réclamé un report du scrutin de plusieurs mois, le temps de peigner les listes d’électeurs et de mettre en place une commission électorale réellement indépendante. L’offensive rebelle de la première quinzaine d’avril lui a donné un nouvel argument. « Si le pouvoir accepte de dialoguer avec nous pour faire de vraies élections, les rebelles n’auront plus de légitimité », dit Ibni Oumar Mahamat Saleh. L’Union africaine, par la voix d’Alpha Oumar Konaré, et les États-Unis ont appuyé la démarche des opposants. « Il n’est jamais trop tard pour reporter une élection », a lancé le sous-secrétaire d’État américain adjoint aux Affaires africaines, Donald Yamamoto, le 25 avril à N’Djamena. En vain. Idriss Déby Itno n’a pas cédé d’un pouce.
En public, les tenants du régime expliquent que le mandat du président expire en août prochain et qu’un report de l’élection créerait un vide juridique. « Nous ne voulons pas tomber dans le même piège que Laurent Gbagbo, dit l’un d’entre eux. Si nous reportons, les opposants remettront en cause la légitimité du président, comme en Côte d’Ivoire. » Les proches du chef de l’État omettent de préciser que le mandat des députés a déjà été prolongé de dix-huit mois et qu’un accord pouvoir-opposition avec la caution de l’UA peut lever toute hypothèque sur la question de la légitimité du chef de l’État.
En réalité, le pouvoir ne veut surtout pas mettre la main dans l’engrenage d’un dialogue qui pourrait le conduire à des élections transparentes. Trop risqué ! Seule concession : la promesse d’une ouverture après la présidentielle, dans la perspective des législatives de 2007. On vote d’abord, on discute après. « C’est le mauvais scénario du Togo. On n’en veut pas », répondent en chur tous les opposants.
Évidemment, cette élection sans candidat de l’opposition – une première depuis l’arrivée au pouvoir de Déby Itno en 1990 – entame sérieusement la crédibilité du régime. Mais ce qui compte pour celui-ci, c’est d’abord la légalité institutionnelle, bref l’apparence. « Regardez la Guinée. En 2003, Lansana Conté a été réélu en l’absence de toute opposition. Et alors ? C’est passé, et aujourd’hui Conté est toujours légitime aux yeux de la communauté internationale », dit un conseiller de Déby Itno. « À partir du 3 mai, le Tchad sera gouverné par un régime illégitime et fantoche », répond en écho l’opposant Ahmat Soubiane, depuis son exil des États-Unis.
« La différence avec la Guinée, c’est que le Tchad est en guerre », dit de son côté l’opposant Saleh Kebzabo. « Il ne faut pas que Déby Itno se laisse griser par sa victoire militaire du 13 avril. Ce n’est pas la sienne. C’est celle des Français ». Et en cas de nouvelle offensive rebelle, beaucoup de Tchadiens se demandent si la France viendra une deuxième fois au secours du régime. « Depuis le 13 avril, l’opinion n’évolue pas dans un sens favorable à Déby Itno, ni en France, ni en Afrique », affirme Kebzabo.
Pour l’heure, le président sortant goûte aux plaisirs d’une réélection dans un fauteuil. D’aucuns peuvent lui dire : « À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. » Il s’en moque. Pour lui, la gloire est ailleurs. Un jour, une grande personnalité sudiste vient le voir pour demander la grâce d’un condamné à mort. Il lui répond : « Toi, tu ne sais pas ce que c’est que de tuer un homme. D’ailleurs, tu n’as jamais fait de mal à une mouche ! » La grâce est refusée. Pour l’ancien « comchef » Déby, la guerre reste le premier terrain où les hommes se mesurent. Les élections, la politique C’est secondaire.

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