Le bout du tunnel ?

L’allègement de la dette fait naître tous les espoirs à Yaoundé. Mais il ne résoudra pas tous les problèmes.

Publié le 2 mai 2006 Lecture : 4 minutes.

Après plus de cinq longues années de fiançailles parfois orageuses, un temps rompues, mais depuis six mois idylliques, le Cameroun et les institutions de Bretton Woods devaient signer, les 27 et 28 avril à Washington, leur acte de mariage. Un événement solennel, attendu par la population camerounaise comme le grand soir qui, dans le jargon des bailleurs de fonds, porte le nom austère de « point d’achèvement ». En clair : le moment où la Banque mondiale (BM) et le Fonds monétaire international (FMI) décident que le pays a satisfait à leurs critères et peut bénéficier d’un allègement de sa dette extérieure dans le cadre de l’initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE). Sauf revirement de dernière minute, ce sont près de 3,5 milliards d’euros, soit environ la moitié de la dette et plus d’un quart de la richesse nationale, qui devraient être annulés. Une somme susceptible d’aider le Cameroun à sortir de la pauvreté. Un geste fort, également : en accordant un allègement à un État, qui, jusque dans un passé très récent, traînait la réputation d’être parmi les plus corrompus de la planète, les bailleurs de fonds assurent sa rédemption et envoient un message aux investisseurs réticents. « Le terrain n’est plus miné, vous pouvez y aller », leur souffle-t-on depuis Washington. Il était temps, les allers-retours ont été nombreux.
Le 24 octobre 2005, le FMI se prononce pour la relance du partenariat économique et financier avec le Cameroun. Des retrouvailles qui interviennent après une rupture consommée en août 2004, quand l’institution financière internationale déclare le pays off track (« hors cadre »), sanction qui suspend tous les programmes en cours. Elle reproche à Yaoundé de n’avoir pas poursuivi les efforts entamés en juin 1997, date du premier accord, et salués en octobre 2000, quand le « point de décision » – l’étape où se dessine la possibilité d’une annulation de dette – est atteint. En effet, en août 2002, deux ans avant la présidentielle, le chef de l’État nomme un « gouvernement pour aller aux élections » qui se soucie plus de promesses électorales que de rigueur budgétaire.
L’idylle redevient possible une fois Paul Biya réélu sans surprise, en octobre 2004. Ce dernier demande à la nouvelle équipe de pratiquer « une gestion rigoureuse des finances publiques en évitant à tout prix les dérapages budgétaires et en sécurisant les recettes de l’État ». L’opération séduction a commencé, mettant tout le monde sur tous les fronts. Sur celui de la lutte contre la corruption – une des conditions sine qua non des bailleurs -, une agence nationale d’investigation financière est créée le 31 mai 2005, chargée de transmettre toute information à la justice au titre de la lutte contre le blanchiment et le terrorisme. Sur celui des finances publiques, un cost killer (« tueur de coûts ») est notamment nommé au poste de directeur général du Port autonome de Douala (PAD) en février 2005. Emmanuel Etoundi Oyono, à la tête de la Société nationale de recouvrement des créances pendant douze ans, entame la chasse à l’argent gaspillé. Difficile pour les bailleurs de ne pas réagir à ces appels du pied manifestes, sans compter que la restructuration des entreprises publiques, autre critère de Washington, est relancée. En octobre 2005, le Cameroun est de nouveau en odeur de sainteté, les programmes reprennent et la possibilité d’une annulation au cours du deuxième semestre 2006 émerge. À condition que les efforts continuent, souligne-t-on outre-Atlantique.
Dès lors, le rythme s’accélère. Du président de la République au marchand de la rue, en passant par le chef du gouvernement, Ephraïm Inoni, le ministre des Finances, Polycarpe Abah Abah, et tous les chefs d’entreprise, chacun chante la petite musique du point d’achèvement. C’est l’horizon doré qui rend supportables tous les efforts : augmentations des prix à la pompe, paiement des impôts, privatisations C’est aussi l’argument qui déclenche la levée de boucliers contre quelques corrompus du système. Le 3 janvier, deux magistrats accusés notamment de « pratiques de corruption, d’abus de confiance et d’abus de fonctions, de concussion et d’usure », sont révoqués. Le 21 février, trois anciens directeurs généraux sont arrêtés, rejoints trois jours plus tard par le ministre de l’Eau et de l’Énergie, Alphonse Siyam Siewe, ancien directeur général du PAD. Le 11 mars, un décret présidentiel met en place la Commission nationale anticorruption (Conac), placée sous l’autorité directe du chef de l’État.
De telles opérations spectaculaires n’auraient pas suffi si les calculettes des économistes du FMI et de la Banque n’avaient fait apparaître des résultats quantitatifs : réduction de l’endettement de l’État vis-à-vis du système bancaire, non-accumulation des arriérés, respect du minimum de recettes non pétrolières. « Le Cameroun a bien respecté les délais en 2005, la volonté politique est là », confie un responsable étranger en poste à Yaoundé.
La volonté populaire aussi. « Il y a au Cameroun une conscience de l’homme de la rue que j’ai rarement vue ailleurs », constate un expatrié. Une fois l’échéance atteinte, chacun va vouloir profiter des fruits des efforts. Pour le Camerounais lambda, « point d’achèvement » rime avec une pluie de billets verts qui ne tombera pas, dans la mesure où l’annulation ne donne pas lieu à un décaissement, mais à une réduction des montants à rembourser. « C’est l’histoire d’un espoir », résume un diplomate. Par précaution, l’économie devrait être placée sur un compte isolé à la Banque centrale et son utilisation décidée de concert par un comité composé des bailleurs de fonds, de l’État et de la société civile. Le point d’achèvement « n’est pas un paradis, mais une étape où notre dette sera allégée et où nous commencerons à voir le bout du tunnel », a prévenu le chef de l’État dès novembre 2005. Atteint ou pas, l’après-point d’achèvement a déjà commencé.

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