Tunisie : pourquoi le président de l’ISIE a-t-il été limogé par les membres du conseil ?

Mardi 29 mai, les Tunisiens ont appris avec surprise que le président de l’ISIE, Mohamed Tlili Mansri, avait été limogé par un vote des membres du conseil, qui devra être validé par l’Assemblée. Cette décision, inattendue, intervient après l’organisation des premières municipales depuis la révolution. Retour sur les dysfonctionnements internes qui ont motivé cette décision.

Mohamed Tlili Mansri, alors président de l’ISIE en Tunisie, lors d’une conférence de presse à Tunis, le mercredi 9 mai 2018. © Hassene Dridi/AP/SIPA

Mohamed Tlili Mansri, alors président de l’ISIE en Tunisie, lors d’une conférence de presse à Tunis, le mercredi 9 mai 2018. © Hassene Dridi/AP/SIPA

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Publié le 5 juin 2018 Lecture : 4 minutes.

« Dès la nomination de Mohamed Tlili Mansri [fin novembre 2017, ndlr], le conseil a été bafoué : nous n’avions même pas été conviés à la cérémonie de passation entre Monsieur Mansri et l’ex-président démissionnaire, Chafik Sarsar », confie à Jeune Afrique Nabil Azizi, représentant à l’ISIE des Tunisiens résidents à l’étranger. En effet, les relations entre le président de l’ISIE et les membres du conseil n’étaient pas parties du bon pied. Lors de son investiture, six membres avaient déjà refusé de se présenter aux réunions qu’il avait convoquées, le justifiant par la non publication de sa nomination au Journal officiel.

Depuis le vote à l’unanimité des membres du conseil (à l’exception de Mohamed Tlili Mansri lui-même), le 29 mai, en faveur du limogeage du président, l’instance née de la révolution afin de gérer le processus électoral, vit une crise interne. La décision est en effet arrivée au lendemain de l’annonce des résultats préliminaires des élections municipales dans la circonscription de Mdhilla (sud-ouest).

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À l’issue du vote, ces membres en question ont transmis le 1er juin une lettre officielle à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), demandant la validation du limogeage du président, qui devra être votée en plénière et obtenir au moins 105 voix afin d’être confirmée. Ceux-ci s’appuyaient sur l’article 15 de la loi organique relative à l’Instance, qui stipule que le président de l’ISIE ou l’un des membres du conseil « sont démis de leurs fonctions en cas de faute lourde » dans dans le cadre de ‘leurs obligations »‘ou « en cas de condamnation par un jugement irrévocable pour un délit intentionnel ou un crime, ou dans les cas où ils ne répondent plus à l’une des conditions exigées pour être membre au conseil de l’ISIE ».

Un accrochage entre les membres du conseil

Le 29 mai, Mansri a affirmé au micro de Shems FM qu’au moment de cette décision, il avait en réalité convoqué une réunion de l’ISIE pour valider les résultats préliminaires des municipales dans la circonscription de Mdhilla, avant d’être surpris par la tenue d’une réunion parallèle organisée par des membres de l’Instance, lors de laquelle son limogeage a voté. Il a notamment déclaré qu’il attendrait d’être devant l’ARP pour révéler d’autres éléments.

« On réussit les élections à Mdhilla avec le contexte qu’on connaît et on me démet de mes fonctions […], je me pose moi-même des questions. Je ne sais pas pourquoi ils ont fait ça ! » s’est-il ainsi interrogé lors de son interview. Dans une déclaration accordée à l’agence Tunisie Afrique Presse (TAP), il a de nouveau affirmé n’avoir commis aucune erreur professionnelle justifiant cette décision.

« Avant même ma prise de fonction, je n’ai jamais bénéficié de l’unanimité des membres, j’ai préféré garder le silence afin de protéger le processus électoral et garantir sa réussite », a-t-il ajouté.

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« C’est faux », assure de son côté Nabil Azizi. « Nous nous sommes rendus à l’Instance pour valider les résultats mais il y a eu un accrochage entre Mohamed Tlili Mansri et Farouk Bouasker, membre du conseil ». Le juge judiciaire du conseil aurait reproché au président le retard de publication des résultats des 324 municipalités (sur 350 au total), dont les résultats avaient été validés. Reproche auquel Mansri aurait répondu de manière agressive, en prétextant n’avoir aucun compte à rendre aux membres du conseil. « C’est à ce moment-là que l’activation de l’article 15 a été évoquée. Le président nous a tout bonnement répondu que l’on pouvait le faire si cela nous chantait », raconte Nabil Azizi.

« Mauvaise gestion »

Mais cet épisode serait le dernier d’une longue série, d’après des sources au sein du bureau de l’Instance. Selon elles, 70 % des décisions du conseil n’ont pas été appliquées par Mohamed Tlili Mansri.

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Riadh Bouhouchi, représentant des ingénieurs en informatique au sein du conseil, confie quant à lui que Mohamed Tlili Mansri aurait refusé de former un comité chargé de l’audit du budget 2017 et d’examiner les états financiers de l’Instance. Des demandes de recrutement n’auraient également pas été honorées.

Déjà, le 10 mai, Anouar Ben Hassen avait alerté sur les ondes de la Radio Nationale au sujet de la mauvaise gestion de l’Instance, l’accusant de prendre des décisions sans en informer son équipe. Nabil Azizi révèle par exemple à Jeune Afrique que lors du débat sur l’utilisation ou non de l’encre électorale pour les élections municipales, Mohamed Tlili Mansri aurait contacté le gouvernement et demandé l’importation de l’encre de Chine, sans en avertir au préalable le conseil. Le représentant des Tunisiens à l’étranger certifie également que le président aurait validé seul les résultats des élections législatives partielles en Allemagne, sans la participation du reste des membres. Il déclare notamment avoir reçu le rapport relatif à ces élections le jour-même de la présentation des résultats devant l’ARP.

Les élections législatives et présidentielle de 2019 menacées ?

Des soupçons d’influences politiques ont également été évoqués. Le député Yassine Ayari a estimé dans un statut Facebook que ce limogeage est « une affaire politique » et le résultat d’une « entente entre les deux partis au pouvoir » (Nidaa Tounes et Ennahdha) qui peuvent ensemble rassembler les 109 voix. Selon lui, cette décision cache l’ambition de vouloir retarder à 2020 ou 2021 les élections présidentielle et législatives prévues en 2019.

Cependant Nabil Azizi réfute toute interférence : « C’est une histoire de famille qui reste propre à l’ISIE, ça n’a rien de politique. Nous voulons uniquement assurer une administration forte et un conseil fort pour l’avenir de l’Instance. »

Cette affaire risque pourtant de se transformer en feuilleton législatif. Alors que Chafik Sarsar avait annoncé sa démission en mai 2017, ce n’est qu’en novembre dernier que l’avocat Mohamed Tlili Mansri avait été élu président de l’ISIE avec 115 voix, suite à l’échec de l’ARP, à quatre reprises, de réunir une majorité absolue. Un épisode qui, en cas de validation du limogeage, laisse peser de nombreux doutes sur le respect des nouvelles échéances électorales.

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