Jean-Pierre Lacroix : « Une mission de maintien de la paix ne peut durer éternellement »
Élections en RDC et au Mali, crise en Centrafrique, augmentation du nombre de Casques bleus tués sur le terrain… Le secrétaire général adjoint des Nations unies en charge des opérations de maintien de la paix fait le point pour Jeune Afrique.
Avec 71 membres de l’ONU tués dans l’exercice de leurs fonctions en 2017, les casques bleus ont connu l’année la plus meurtrière de leur histoire. 2018 ne s’annonce pas beaucoup plus calme. Les soldats de la paix vont notamment être sollicités lors de deux élections présidentielles sensibles : au Mali en juillet et en RDC en décembre. De passage à Paris, lundi 4 juin, le secrétaire général adjoint des Nations unies en charge des opérations de maintien de la paix, le Français Jean-Pierre Lacroix, a répondu aux questions de Jeune Afrique.
Notre état d’esprit n’est pas de deviner les intentions de tel ou tel acteur
Jeune Afrique : Quel rôle la Monusco va-t-elle jouer lors des élections en RDC, pour l’instant prévues en décembre prochain ?
Jean-Pierre Lacroix : Les élections sont d’abord la responsabilité des Congolais. Notre rôle est de les appuyer. Nous sommes là pour aider à ce que le processus puisse se dérouler dans de bonnes conditions, avec notamment un contexte d’expression la plus libre et démocratique possible.
Nous allons faire ce que nous pouvons sur le plan de la logistique, comme l’avons déjà fait lors du processus d’enregistrement des électeurs.
Ce soutien logistique sera-t-il conditionné au respect de certains critères par les autorités congolaises ?
Nous n’avons pas l’habitude de poser des conditions. Notre état d’esprit n’est pas de deviner les intentions de tel ou tel acteur. Notre mission est de servir le peuple congolais et nous pensons que ce processus électoral est un événement majeur susceptible de ramener la concorde et d’apaiser le pays.
Pour l’instant, la participation des pays du nord est trop faible [à la Minusma]
Au Mali, le mandat de la Minusma doit être renouvelé dans les prochaines semaines. Doit-il être juridiquement renforcé ?
Je crois que le mandat de la Minusma est suffisamment robuste. Ce n’est pas une opération d’imposition de la paix, ni de contre-terrorisme, même si les conditions sont difficiles. L’enjeu est plutôt de renforcer les capacités de la Minusma en matière d’équipement, d’entrainement et d’état d’esprit. Sur place, nous avons engagé la mise en œuvre d’un plan d’action. Nous avons bon espoir que cela amène des résultats.
Attendez-vous des renforts d’États européens ?
Nous souhaitons plus de participation des États européens dans le maintien de la paix en général. Pour l’instant, la participation des pays du nord est trop faible.
Au sujet de la Minusma, il est toutefois essentiel de continuer à engager les parties à mettre en oeuvre des accords de paix. Le secrétaire général [Antonio Guterres, ndlr] lors de sa récente visite au Mali a noté des évolutions encourageantes et nous incitons tout le monde à poursuivre dans cette voie.
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Les tensions semblent se renforcer à l’approche de la présidentielle malienne. Une manifestation a été réprimée samedi 2 juin. Cette campagne fait-elle peser un risque sur la stabilité du pays ?
Là aussi, il est très important que cette élection se déroule dans les meilleures conditions possibles. A la suite des événements de samedi, le secrétaire général a appelé chacun à l’apaisement et à faire le nécessaire pour que la liberté d’expression soit garantie. Nous sommes prêts à aider pour favoriser la liberté et la transparence.
Nous sommes en colère contre ceux qui ont manipulés [les jeunes du PK5 à Bangui]
Un avocat français, Juan Branco, a vu son contrat rompu avec la Minusca, après avoir accusé les soldats de la mission d’avoir massacré des civils à Bangui le 10 avril. Qu’en est-il de cette affaire ?
J’étais avec Smaïl Chergui, le commissaire paix et sécurité de l’Union africaine, sur place lorsque ces événements tragiques se sont produits. Cette opération a été faite à la demande des habitants du [quartier] PK5, qui demandaient qu’on les libère de l’emprise de chefs de gang qui les terrorisaient, les rançonnaient et les faisaient souffrir.
Après des mois à essayer de régler ce problème de manière pacifique, la Minusca est effectivement intervenue. Il y a eu, c’est vrai, des affrontements très durs. Un Casque bleu a été tué et beaucoup d’autres ont été blessés.
Du côté de ces jeunes, qui souvent ont été armés et manipulés, il y a aussi eu, hélas, des morts que nous regrettons. Nous sommes en colère contre ceux qui les ont manipulés. Nous sommes là pour protéger la population. Nous protégeons des dizaines voire des centaines de milliers de Centrafricains, sans aucune distinction de confession.
2017 a l’année la plus meurtrière de l’histoire des Casques bleus. Y a-t-il un rejet global de vos forces sur le continent ?
Diminuer le nombre de victimes est une priorité pour nous. Nous mettons actuellement en œuvre un plan d’action fondé sur les recommandations du rapport du général [brésilien Carlos Alberto dos Santos] Cruz. Nous travaillons sur l’entrainement, l’équipement, l’évaluation de la performance, le traitement des victimes et des blessés… Je crois que cela crée un nouvel état d’esprit dans nos missions, même s’il est encore tôt pour juger.
Dans leur majorité, les populations savent que nous sommes là pour les protéger et les servir. C’est vrai aussi que, dès lors que nous sommes déployés, il y a des attentes extrêmement fortes, souvent en décalage avec nos moyens.
D’où l’importance de faire progresser les processus politiques pour que des solutions soient trouvés. Une mission de maintien de la paix ne peut durer éternellement. Sinon, il y a le risque que s’installe un sentiment d’usure et peut-être de déception.
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