Kofi Annan choisit l’autonomie
Le rapport que le secrétaire général de l’ONU a présenté devant le Conseil de sécurité reprend largement à son compte la position marocaine.
Qu’y avait-il de commun entre la visite officielle à Rabat du président chinois Hu Jintao et le dernier rapport sur le Sahara occidental présenté par Kofi Annan ? A priori rien, si ce n’est une simple coïncidence de date – la dernière semaine d’avril. Mais le fait que la Chine préside en ce moment le Conseil de sécurité des Nations unies devant lequel ledit rapport du secrétaire général est présenté n’a évidemment pas échappé à une diplomatie marocaine beaucoup plus réactive sur ce dossier qu’elle ne l’était sous Hassan II. Résultat : une petite « préparation » médiatique ad hoc pour plaire à Pékin (« Taiwan est au peuple chinois ce que le Sahara est au peuple marocain », pouvait-on lire récemment à la une de l’officieux Matin), une sensibilisation active de Hu Jintao pendant son séjour, une audience symbolique accordée le 25 avril par ce dernier au tout nouveau président du Conseil royal consultatif pour les Affaires sahariennes (Corcas), Khalihenna Ould Errachid, et une phrase quasi inespérée du numéro un chinois affirmant « comprendre les préoccupations du peuple marocain sur cette question ». À Rabat, on se frotte les mains : joli coup et printemps prometteur.
À cette sucrerie chinoise s’ajoute en effet le contenu même du rapport onusien, sans doute le plus globalement favorable aux thèses marocaines depuis dix ans. Pour l’essentiel, ce texte d’une douzaine de pages reprend les conclusions et recommandations formulées par Peter Van Walsum, l’émissaire personnel de Kofi Annan pour le Sahara occidental. Juriste, ancien ambassadeur et ancien président du Comité des sanctions contre l’Irak de Saddam Hussein, ce diplomate néerlandais de 72 ans s’est, entre octobre 2005 et février 2006, rendu dans tous les pays et a rencontré tous les dirigeants impliqués ou concernés par ce dossier : au Maghreb bien sûr, mais aussi en Europe, aux États-Unis et jusqu’en Éthiopie, au siège de l’Union africaine.
Avalisé et repris à son compte par le secrétaire général, son diagnostic est clair. Après trente années de blocage, dont quinze de cessez-le-feu sous la houlette d’un petit contingent de deux cents Casques bleus à 4 millions de dollars par an, il n’y a plus que deux solutions. Soit la prolongation indéfinie du statu quo – ce que nul ne saurait souhaiter -, soit l’ouverture de négociations directes entre les parties. Plus de plans « prêts à porter » inapplicables, mais de vraies discussions en vue de dégager « un compromis entre la légalité internationale et la réalité politique ». Pour le tandem Annan-Van Walsum, « il est clair qu’après s’être reposés pendant des années sur les plans mis au point par l’ONU, les protagonistes doivent désormais comprendre que l’ONU fait un pas en arrière et leur laisse prendre leurs responsabilités ».
À ces négociations sans précondition doivent évidemment participer le Maroc et le Polisario « en tant que parties », mais aussi la Mauritanie et l’Algérie « en tant que voisins ». Les rapporteurs, qui savent que le gouvernement algérien ne se sent pas concerné (au moins officiellement) par cette affaire, insistent pour que le Conseil de sécurité fasse pression sur lui afin qu’il s’implique dans les négociations.
À Rabat, où le « compromis » préconisé par Annan a été immédiatement interprété comme un parfait synonyme de l’autonomie interne, solution qui a désormais les faveurs du royaume, la satisfaction est de mise. D’autant que le reste du rapport onusien comporte quelques critiques à peine voilées à l’encontre du Polisario et de son protecteur algérien. L’ONU avalise ainsi le nouveau comptage des réfugiés sahraouis effectué par ses agences humanitaires dans les camps de la région de Tindouf. Le nombre de ces derniers, qui avait manifestement été surévalué par les dirigeants du Polisario, passe ainsi de 158 000 à 90 000 individus, soit une réduction de 40 % ! Le rapport qualifie d’autre part de « violation » de l’accord de cessez-le-feu la célébration par les chefs indépendantistes, le 27 février à Tifariti, en plein cÂur de la zone-tampon démilitarisée qui sépare le mur de défense marocain de la frontière algérienne, du trentième anniversaire de la République arabe sahraouie démocratique. Le Polisario avait, ce jour-là, fait défiler dans un décor lunaire 2 600 hommes armés, 40 véhicules blindés et 150 chameaux. Un geste de défiance peu apprécié par la Minurso.
Conséquence prévisible de ce rapport à la tonalité très « marocaine » : sa récusation immédiate, avant même sa présentation devant le Conseil de sécurité, par le Polisario et par l’Algérie. Et en termes dont la vigueur en dit long sur l’état des relations entre Rabat et Alger. Mohamed Abdelaziz, le président de la RASD, parle ainsi de « complot ». Mohamed Bedjaoui, le ministre algérien des Affaires étrangères, a, pour sa part, lors d’un entretien avec Kofi Annan à New York le 24 avril, exprimé son « inquiétude » face à cette « grave violation du droit international ». Dans une lettre adressée le même jour au secrétaire général, le représentant permanent de l’Algérie auprès de l’ONU, Youcef Yousfi, stigmatise la « dérive » que représente ce rapport et accuse ses auteurs de « complaisance à l’égard de la puissance occupante »Â Tous exigent un retour au plan Baker et, ?surtout, un référendum d’autodétermination, solution considérée comme définitivement enterrée par le Maroc.
Ce « front du refus » a enregistré un allié inattendu en la personne de Driss Basri. L’ancien ministre marocain de l’Intérieur, en exil à Paris, a réitéré le 22 avril dans un entretien à un quotidien espagnol son opposition à toute formule d’autonomie interne, qualifiée par lui de « pré-indépendance », et sa foi dans un référendum. À ses yeux, les dirigeants du Polisario sont d’ailleurs « des gens honnêtes et loyaux ». Il est vrai que, dans la bouche de celui qui s’estime victime du « traitement le plus injuste » jamais réservé à un serviteur de l’État « depuis Socrate et Machiavel », plus rien ou presque n’étonneÂ
Face à de tels blocages et à des positions aussi tranchées, force est de se demander s’il ne s’agit pas là d’un énième rapport pour rien. En reprendre la collection (il y en a eu une trentaine depuis quinze ans) a quelque chose de désespérant. Annan et Van Walsum ne se font d’ailleurs guère d’illusions à ce sujet. Pour eux, tant que l’affaire du Sahara occidental n’accédera pas au statut de dossier prioritaire sur l’agenda international et tant que les puissances extérieures intéressées demeureront paralysées par leur obsession d’entretenir de bonnes relations à la fois avec le Maroc et avec l’Algérie, sans froisser ni léser personne, « la tentation de demeurer dans le statu quo l’emportera sur toute autre solution ».
Le Sahara, une impasse définitive ? Pas forcément. C’est au ras du terrain en quelque sorte, chez les Sahraouis eux-mêmes, qu’il convient de rechercher quelques raisons d’espérer. Depuis la mise en place par l’ONU d’un minipont aérien entre Tindouf et Laayoune, des centaines d’entre eux sont allés rendre visite à des parents, de « l’autre côté », et la liste d’attente pour ces vols de la fraternité s’accroît sans cesse : 17 000 demandes à ce jour ! Même engouement pour le téléphone, depuis que des lignes ont été établies entre le Sahara occidental et les camps de réfugiés : 44 000 appels de part et d’autre au cours des six derniers mois !
La volonté de renouer des relations – jamais complètement interrompues, il est vrai, par les vicissitudes de l’Histoire – est donc pressante, d’autant qu’il s’agit des mêmes tribus et des mêmes familles. Un message reçu cinq sur cinq à Rabat où, ne serait-ce que pour crédibiliser le choix de l’autonomie interne, le langage a radicalement changé à l’occasion de la visite de Mohammed VI au Sahara, fin mars. Les derniers prisonniers d’opinion sahraouis de l’« Intifada » de mai 2005 – dont Ali Salem Tamek, le plus connu – ont été libérés le 22 avril. Surtout, les téléspectateurs marocains médusés ont entendu le président du Corcas, Khalihenna Ould Errachid, par ailleurs président du conseil municipal de Laayoune et ancien ministre, qualifier de « frères du Polisario » ceux dont on ne parlait hier qu’en terme de « mercenaires », remercier l’Algérie pour avoir pris soin des réfugiés et inviter Mohamed Abdelaziz à venir présider le futur gouvernement d’autonomie, à Laayoune. Le tout dit sans la moindre ironie. Quand on sait que la télévision officielle marocaine est désormais captée, en direct ou via la chaîne d’information extérieure Al Maghribia, dans les camps de la Hamada de Tindouf, l’impact de ce genre de déclarations mériterait assurément d’être mesuré si la RASD connaissait les sondages d’opinion.
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