Hu Jintao fait son marché

Les considérations pétrolières et commerciales au centre du deuxième périple africain du numéro un chinois.

Publié le 2 mai 2006 Lecture : 4 minutes.

« Nous souhaitons que la Chine dirige un jour le monde ; quand ce sera le cas, nous voulons être juste derrière vous. » Lors du dîner officiel offert, le 26 avril, au président Hu Jintao, Olusegun Obasanjo, le chef de l’État nigérian, n’a pas fait dans la nuance pour célébrer le modèle chinois. La diplomatie africaine de Pékin, sa générosité plus ou moins intéressée, sa prodigalité envers les pays en crise, son assistance technique et technologique tout cela séduit de plus en plus les leaders du continent. Obasanjo n’a donc fait que dire tout haut ce que nombre de ses pairs n’osent encore proclamer de peur de froisser les autres grandes puissances – France, États-Unis et Royaume-Uni, en premier lieu.
Quoi qu’il en soit, Hu Jintao a manifestement apprécié l’hommage. Ce n’est pas, il s’en faut, la seule satisfaction qu’il retire de la tournée – sa deuxième en Afrique – qui, du 23 au 29 avril, l’a successivement mené au Maroc, au Nigeria et au Kenya. Un périple méticuleusement préparé qui, bien sûr, s’inscrit dans le cadre d’une stratégie énergétique et commerciale d’ensemble. Accompagné de Liu Yongqing, son épouse, et d’une importante délégation comprenant notamment le ministre des Affaires étrangères (Li Zhaoxing), celui du Commerce (Bo Xilai) et les principaux dirigeants des compagnies pétrolières nationales, le chef de la quatrième puissance économique mondiale a été reçu avec tous les honneurs : parades militaires, réception par le roi du Maroc, discours devant le Parlement nigérian Un grand nombre d’accords de coopération bilatérale (économie, santé, éducation, infrastructures, tourisme, etc.) ont été signés à cette occasion. Les Chinois vont notamment investir près de 4 milliards de dollars dans une raffinerie à Kaduna, dans le nord du Nigeria. Il y a trois mois, la China National Offshore Oil Corp (CNOOC) avait déjà racheté pour 2,7 milliards de dollars 45 % des parts d’une concession offshore dans le Delta du Niger. Et les Chinois sont favoris pour l’obtention, d’ici à la fin du mois de mai, de quatre nouvelles licences d’exploitation, dans la même région. Au Kenya, dernière étape de sa tournée, Hu Jintao a décroché six permis d’exploration offshore en échange d’une aide de 70 millions de yuans (8,7 millions de dollars). Une partie de cette aide prendra la forme de dons de nourriture et de médicaments antipaludéens. Elle inclut également la rénovation de diverses voies de communication et du grand stade de Nairobi.
Pour la Chine, le pétrole africain est une priorité. Devancée par les Occidentaux au Moyen-Orient, elle s’efforce de renforcer ses positions dans le golfe de Guinée et dans le nord du continent afin de faire face à l’augmentation de sa consommation intérieure : de 6,6 millions de barils/jour en 2005 à près de 7 millions de b/j cette année. L’an dernier, elle a acheté 38,47 millions de tonnes de brut africain, soit 30 % du total de ses importations. Ses principaux fournisseurs sont l’Angola, le Soudan et le Congo. Face à la féroce concurrence britannique, américaine et française, les autorités de Pékin n’hésitent pas à se montrer très généreuses dans le but évident d’arracher de nouveaux marchés. Elles ont notamment accordé une aide directe au Nigeria de 46 millions de yuans (plus de 5 millions de dollars) et un crédit d’exportation de 500 millions de dollars.
La tournée de Hu Jintao ne s’est néanmoins pas limitée à de stricts intérêts pétroliers. Les industries chinoises tournent à plein régime et doivent impérativement trouver de nouveaux marchés pour écouler leurs produits : matériel hi-fi et vidéo, électroménager, médicaments, vêtements, chaussures, produits alimentaires, etc. VRP en chef de la République populaire, Hu a multiplié les accords d’investissement et de réductions des barrières douanières, dans le cadre d’un partenariat qu’il qualifie de win-win (« gagnant-gagnant »), mais qui, dans les faits, bénéficie avant tout aux entreprises chinoises. Les échanges commerciaux entre les deux parties ont plus que doublé entre 2003 et 2005 (ils culminent aujourd’hui à 37 milliards de dollars), mais ils sont totalement déséquilibrés, au détriment des pays non producteurs de pétrole.
« Les exportations chinoises vers le Maroc ont triplé en l’espace de quatre ans alors que les nôtres ont stagné pendant la même période », déplore par exemple le Premier ministre Driss Jettou. L’an dernier, Rabat a importé pour 9,41 milliards de dirhams (1,04 milliard de dollars) de produits chinois et n’est parvenu à vendre à son partenaire que l’équivalent de 620 millions de dirhams (68 millions de dollars) de marchandises. Pour rééquilibrer les échanges, Pékin s’est engagé à acheter quelque 750 000 tonnes d’engrais phosphoriques à l’horizon 2010. L’exportation des produits de la pêche, notamment les farines de poisson, et le développement du tourisme chérifien sont également à l’étude. Accusés de faire péricliter l’industrie textile marocaine, les responsables chinois se sont efforcés de rassurer leurs interlocuteurs et ont promis de favoriser les partenariats économiques dans le secteur, la Chine se servant du royaume pour atteindre les marchés de la Méditerranée. Hu Jintao a même montré son intérêt pour la résolution du conflit du Sahara occidental en s’entretenant notamment avec Khalihenna Ould Errachid, le président du Conseil royal consultatif pour les affaires sahariennes.
78 000 ouvriers, 1 100 coopérants techniques et 200 professeurs chinois sont actuellement présents en Afrique. N’en déplaise aux Occidentaux, l’influence de ce pays ne fera que croître et embellir au cours des prochaines années. Au mois de janvier, les autorités ont publié un « livre blanc » qui jette les bases d’un partenariat économique, politique et culturel d’ensemble. En novembre prochain, elles organiseront à Pékin un sommet sino-africain auquel la plupart des leaders africains devraient participer. Et la diplomatie chinoise joue à merveille de la vieille rhétorique « tiers-mondiste », n’hésitant pas à ressortir des tiroirs un adage selon lequel « la distance ne peut tenir de vrais amis éloignés ».
Ce qui n’a pas empêché la presse francophone de reprocher amèrement à Hu Jintao le soutien non dénué d’arrière-pensées pétrolières que son pays apporte au régime soudanais – alors que celui-ci multiplie les massacres dans le Darfour – et à la rébellion tchadienne.

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