Cameroun : Paul Biya fait le ménage au sein de l’organe chargé des élections

Erik Essousse, le nouveau directeur général de l’instance chargée d’organiser les élections au Cameroun nommé le 28 mai sur décret présidentiel, est accusé par l’opposition de mener une « chasse aux sorcières » à quelques mois de l’élection présidentielle attendue en octobre 2018.

Paul Biya à Yaoundé, lors du scrutin présidentiel de 2011 (archives). © Sunday Alamba/AP/SIPA

Paul Biya à Yaoundé, lors du scrutin présidentiel de 2011 (archives). © Sunday Alamba/AP/SIPA

Franck Foute © Franck Foute

Publié le 6 juin 2018 Lecture : 4 minutes.

Paul Biya, dont le sixième mandat amorcé en 2011 touche à sa fin cette année, a procédé lundi 28 mai à la nomination d’une nouvelle équipe dirigeante à la tête d’Election Cameroon (ELECAM), l’organe en charge des élections dans le pays. Dans deux décrets signés par ses soins, le président camerounais a relevé l’ancien ministre Aboulaye Babale de ses fonctions de directeur général des élections pour le remplacer par son adjoint Erik Essousse. Celui-ci est secondé par Abdoul Karimou, un ancien cadre du ministère de l’Administration territoriale.

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Les nominations sont intervenues à la suite de la tenue d’une session extraordinaire du Conseil électoral au cours de laquelle Abdoulaye Babale avait été reconnu coupable – « à l’unanimité » – de « faute lourde ».

Le Conseil, par la voix de son président Enow Abraham Egbe, reproche à l’ancien directeur général son absentéisme, ainsi que sa « gestion opaque et calamiteuse des ressources humaines et financière d’ELECAM ». Des manquements qui auraient entraîné une « démotivation du personnel » avec des « répercussions sur l’image de l’organisation ».

Limogeages et réorganisation

Dans ce contexte, le nouveau directeur général a entrepris dès son entrée en fonctions de « faire le ménage » au sein de l’institution. Erik Essousse a notamment limogé plusieurs responsables d’ELECAM réputés proches de son prédécesseur, selon des documents internes auxquels Jeune Afrique a eu accès.

Tete Devert, chef de la division des affaires administratives et financières, a ainsi été remplacé par Ngolle III Patrice, ancien préfet du département de l’Océan. Au sein de la même division, la cheffe de la cellule financière, Anavai Françoise épouse Tagne, a été remplacée à la caisse par Ossubita, précédemment cheffe du courrier.

Une électricedonne son empreinte lors du scrutin présidentiel au Cameroun, en 2011. © Sunday Alamba/AP/SIPA

Une électricedonne son empreinte lors du scrutin présidentiel au Cameroun, en 2011. © Sunday Alamba/AP/SIPA

Alors que le corps électoral devrait être convoqué entre le 15 juin et le 15 juillet, le nouveau patron d’ELECAM place ses hommes en toute discrétion

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À la division de l’informatique, du fichier électoral et des statistiques, Bond Abdoul Aziz, un responsable jadis révoqué par Abdoulaye Babale pour « incompétence », a été ramené aux affaires.

Une structure d’appui du Conseil électoral a également été créée et intégrée à l’organigramme de l’institution. Le conseiller technique n°1 est Enow Dikson, un proche du président du Conseil électoral, Enow Abraham Egbe.

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Erik Essousse, qui a d’ores et déjà défini sa stratégie, a affirmé à la télévision nationale que l’objectif poursuivi est qu’« ELECAM retrouve tous ses fondamentaux dans la gestion du personnel, qu’il faut remobiliser et remotiver », à l’approche des échéances électorales.

Alors que le corps électoral devrait être convoqué entre le 15 juin et le 15 juillet, le nouveau patron d’ELECAM place ses hommes en toute discrétion. Le mutisme règne au sein de l’institution et aucun responsable n’accepte de s’exprimer sur les récents changements effectués par le nouveau directeur général des élections.

Guerre de réseaux

Dans le camp Babale, au contraire, les langues se délient. Et c’est pour dénoncer « un complot » ainsi qu’une « chasse aux sorcières ». Les proches de l’ancien directeur général des élections réfutent les griefs portés contre lui et l’ancienne équipe.

« L’administration est une continuité. Comment un responsable peut-il faire autant de changements en si peu de temps ? Ils ont traité Abdoulaye Babale d’absentéiste, alors qu’il a pris part à toutes les sessions du Conseil électoral depuis 2015 ; il en est d’ailleurs le rapporteur, selon les textes », affirme une source proche de Babale contactée par Jeune Afrique. « La seule session à laquelle il n’a pas assisté est la dernière en date, qui a été convoquée alors qu’il était en mission dans le septentrion. Et tout le conseil le savait. »

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Pour confirmer sa théorie, ce proche d’Abdoulaye Babale est revenu sur des accusations de détournements de fonds relayés sur les réseaux sociaux, portant sur 2 milliards de francs CFA en achat de pagne.

« Le budget total d’ELECAM est d’environ 9 milliards de francs CFA, dont près de 8 milliards sont utilisés pour les charges de fonctionnement (paiement des salaires, primes…), et le reste, soit un milliard de francs Cfa, pour les investissements. A ce jour, aucun employé n’a d’arriéré de salaire, et l’organe n’a toujours pas reçu son budget d’investissement. Dès lors, comment est-il possible de détourner un argent qu’on a pas ? », s’interroge notre source, qui évoque une « guerre de réseaux » avec à la clé « la gestion des 50 milliards de francs CFA prévue dans la loi de finances au titre du budget des élections».

Des partis politiques inquiets

Du côté des partis d’opposition, on réclame plus de transparence. « Le président [Paul] Biya a placé ses pions dans cet organe », affirme à Jeune Afrique Emmanuel Ntonga, responsable du Social democratic front (SDF) dans la région du Centre. Il conteste la neutralité des membres d’ELECAM, notamment celle du directeur général adjoint Abdoul Karimou. « Il y a quelques semaines encore, il prenait part à un débat dans une émission de radio, lors duquel il s’insurgeait contre les partis d’opposition. »

Un avis partagé par Sosthène Medard Lipot, responsable de la communication du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC), qui a lui aussi eu à faire face à Abdoul Karimou lors d’un débat à la télévision nationale, au cours duquel ce dernier « représentait les intérêts du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC) » au pouvoir.

Au sein des deux formations politiques, on espère par ailleurs que le dossier du vote dans les casernes trouvera une issue favorable. Selon le code électoral, « tout bureau de vote doit se situer dans un lieu public ou ouvert au public ». Ce qui n’est pas le cas de ceux qui sont placés dans les camps militaires, argue l’opposition.

Le MRC indique que Maurice Kamto, son candidat désigné, s’est entretenu avec les nouveaux dirigeants d’ELECAM sur le sujet. Le SDF quant à lui, a menacé de « passer à une étape et à des actions plus vigoureuses », si Elections Cameroon n’appliquait pas le Code électoral dans sa globalité, en supprimant notamment les bureaux de vote litigieux avant la convocation du corps électoral.

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