Drôle de jeu (américain)

Publié le 2 mai 2006 Lecture : 3 minutes.

Interrogé dans son QG de Stuttgart en Allemagne par le Wall Street Journal, le patron du commandement européen de l’US Army, le général James Jones, est formel. Depuis trois ans, 70 % de son temps et la totalité de celui de son adjoint, le général Chuck Wald, sont consacrés à l’Afrique. Avec trois obsessions en tête : l’islamisme radical, la sécurité énergétique et l’influence croissante de la Chine sur le continent. Le fait que ces trois éléments se trouvent réunis autour de la crise tchadienne explique à l’évidence le vif intérêt porté par les diplomates et militaires américains aux derniers développements de la situation à N’Djamena. Très présente au Tchad sous Hissein Habré, à l’époque où elle entraînait des groupes d’opposants libyens destinés à renverser le colonel Kadhafi, la CIA a fait une réapparition récente dans ce dossier avec en filigrane une préoccupation essentielle : empêcher le régime soudanais « hostile » du Front national islamique d’y prendre pied. Le problème, bien sûr, est que le président Idriss Déby Itno et son gouvernement sont jugés totalement incompatibles à Washington avec les exigences de respectabilité démocratique et de bonne gouvernance prônées par l’administration Bush – début 2006, un document du département d’État n’hésitait pas à qualifier le régime de « clanique ». D’où la première option choisie par les Américains fin 2005 : soutenir un mouvement de guérilla qui soit à la fois antisoudanais et anti-Déby (le Scud de Tom Erdimi) et laisser la Banque mondiale prendre N’Djamena à la gorge à propos de la gestion des revenus du pétrole. Principale société pétrolière américaine présente au Tchad, ExxonMobil – qui entretient des relations à peine voilées avec les frères Erdimi – a manifestement joué un rôle important dans cette posture.
L’offensive rebelle sur N’Djamena, le 13 avril, va changer la donne. Les zaghawas du Scud, qui ont subi de très graves revers face à l’armée soudanaise, n’y prennent aucune part. Contrairement au FUC de Mahamat Nour, mouvement ouvertement soutenu par le Soudan, avec, en arrière-plan, une « longue main » chinoise. Il n’en faut pas plus pour que les Américains échafaudent une hypothèse cauchemar : celle qui verrait s’installer au pouvoir dans la capitale tchadienne un régime « arabe » affidé de celui de Khartoum, avec tout ce que cela comporte de dangereux islamistes ; et aux commandes des champs pétroliers de Doba des Chinois, qui auraient en outre la mainmise sur le pipeline Tchad-Cameroun. D’où le revirement très sensible opéré par l’administration Bush à l’occasion de la visite à N’Djamena, le 24 avril, du vice-secrétaire d’État adjoint aux Affaires africaines Donald Yamamoto. Il n’est plus question de mauvaise gouvernance mais d’apaisement entre le Tchad et la Banque mondiale (voir page 67). Face aux menaces « très sérieuses » que fait peser le Soudan, l’émissaire américain est sans ambiguïtés : « Le peuple du Tchad a notre soutien très profond. »
Reste que ce ballon d’oxygène pour Idriss Déby Itno est loin d’être inépuisable. À preuve : nul n’ignore que Français et Américains, qui semblent uvrer sur le dossier tchadien en bonne intelligence, entretiennent chacun de leur côté des contacts discrets avec le FUC – notamment à Paris, où les représentants du mouvement rebelle bénéficient d’une relative liberté de manuvre. De part et d’autre, on prend bien soin de faire le distinguo entre le Tchad, qu’il convient de « protéger » contre son voisin de l’Est, et son président actuel. Le fait que, vus de France et des États-Unis, les intérêts des deux coïncident ne serait que « conjoncturel », insiste un diplomate français, qui souligne que « même instrumentalisés par Khartoum, les rebelles sont pour l’essentiel des Tchadiens ». Autrement dit, des gens dont on peut toujours espérer modifier les allégeances extérieures. Au Tchad plus qu’ailleurs, rien n’est jamais définitif

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