Tunisie : renforcement sécuritaire, manifestations, limogeages… Le drame de Kerkennah prend un tournant politique
Visite du Premier ministre Youssef Chahed à Kerkennah, manifestations contre le pouvoir en place, limogeage de responsables sécuritaires et désormais du ministre de l’Intérieur… Le naufrage de l’embarcation clandestine au départ de l’archipel prend une tournure politique.
L’émotion est encore vive en Tunisie. Deux jours après le naufrage de l’embarcation clandestine au large de Kerkennah, située à 20 km de Sfax, dans la nuit du samedi 2 juin, le Premier ministre Youssef Chahed, accompagné du ministre de la Défense Abdelkrim Zbidi et du gouverneur de Sfax, s’est rendu sur place. Une crise gérée au sommet de l’État, alors que les opérations de recherche se poursuivent. Sur les 180 personnes présumées sur le bateau, seules 68 ont pu être secourues et au moins 66 corps ont été repêchés par la Marine nationale.
La veille de cette visite, le ministre de l’Intérieur Lotfi Brahem, depuis limogé par le premier ministère, s’était rendu seul à Kerkennah. Il avait alors affirmé qu’« un conseil ministériel se tiendra bientôt afin d’accroître le soutien à l’actuel plan de lutte contre l’immigration clandestine ». Le ministre avait également expliqué que les forces de sécurité seraient prochainement déployées comme il se doit sur les îles de Kerkennah.
Vide sécuritaire
« Comment 180 personnes venants d’autres gouvernorats mais aussi des étrangers ont-elles pu s’infiltrer sur l’île et embarquer sur une plage sans être interceptées ? » s’est ainsi interrogé le Premier ministre, en interpellant le chef du district de Kerkennah. À son tour, ce dernier a pointé un manque d’effectifs et de moyens, ainsi qu’une législation faible au sujet de la criminalisation des réseaux de passeurs. Selon lui, sur l’ensemble de l’île, seulement 20 policiers opèrent en journée et 16 de nuit. Les deux commissariats des ports incendiés pendant la révolution n’ont, eux, toujours pas été réhabilités.
Pourtant, les départs d’embarcations clandestines dans l’archipel se sont multipliés depuis 2011. Depuis le début de l’année, près de 6 000 migrants tentant la traversée ont été recensés en Tunisie, dont 2 064 depuis Kerkennah, selon Khalifa Chibani, porte-parole du ministère de l’Intérieur, interrogé par l’AFP.
En réponse à ces insuffisances, Youssef Chahed a annoncé lors de sa visite la mise en place d’un groupement sécuritaire sur l’archipel. Il a affirmé qu’il n’y aurait pas d’impunité pour « les commerçants de la mort », en référence aux passeurs et aux trafiquants. Huit passeurs présumés ont d’ailleurs été identifiés à Kerkennah, selon les informations du ministère de l’Intérieur, mais sont toujours recherchés.
Par ailleurs, il a donné des instructions pour que les familles des victimes soient prises en charge moralement et matériellement.
Des mesures gouvernementales nécessaires alors que la Tunisie est classée première en 2018, avant l’Érythrée, concernant les arrivées de migrants irréguliers par mer en Italie, d’après des données du ministère de l’Intérieur italien. Elle avait été classée 8e en 2016 et en 2017.
Des responsables sécuritaires limogés
Vingt responsables sécuritaires ont été limogés ce mercredi 6 juin par le ministère de l’Intérieur dans le cadre de l’enquête ouverte après le naufrage. Parmi eux, le chef du district de la sûreté nationale de Kerkennah et le chef du district de la garde nationale de Sfax.
Quelques heures plus tard, Lotfi Brahem, ministre de l’Intérieur, était à son tour démis de ses fonctions.
Interrogations
La question de l’incapacité des sécuritaires à intercepter l’embarcation reste quant à elle en suspens. Ahlem Hachicha Chaker, directrice exécutive de l’Institut des politiques du parti Machrou Tounes, s’en est elle aussi étonnée sur sa page Facebook.
Le procureur de la République du tribunal de première instance de Sfax a ainsi ordonné l’ouverture d’une enquête sur une éventuelle complicité entre les réseaux de passeurs et le corps sécuritaire de Kerkennah.
Manifestations dans les villes d’origine des naufragés
Ce drame, le plus lourd enregistré depuis 2011, a davantage accentué le ras-le-bol national latent concernant la situation économique qui ne cesse de s’engouffrer, avec un taux d’inflation de 7,7 % en mai 2018.
Une importante manifestation s’est ainsi tenue mardi 5 juin dans la ville d’El Hamma. Sept personnes décédées lors du naufrage étaient originaires de cette région. « Le peuple veut la chute du régime », « le peuple veut Ennahdha de nouveau », ou encore « tueurs de nos enfants, voleurs de notre pays », ont ainsi crié les manifestants.
La ville de Tataouine (sud-est) a elle aussi connu des protestations lundi et mardi dans la nuit. Là encore, les jeunes manifestants ont appelé à la chute du gouvernement.
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