Alchimie maghrébine

Pour augmenter ses parts de marché, le patron de la société chimique tunisienne mise sur un partenariat avec l’algérienne Kimial. Entretien.

Publié le 2 mai 2006 Lecture : 5 minutes.

Le conseil [algérien] des participations de l’État chargé des privatisations a donné, le 26 mars, son accord définitif à la prise de participation majoritaire (55 %) de la société tunisienne Alkimia* dans le capital de son homologue algérienne Kimial. Alkimia, qui produit du tripolyphosphate de sodium (STPP, composant de base dans la production de détergents ménagers et industriels), est l’un des principaux acteurs du marché dans le Bassin méditerranéen et au Moyen-Orient. Quant à Kimial, il est issu de la restructuration du groupe d’engrais algérien Asmidal, lui-même né de la réorganisation du groupe Sonatrach, en 1984. L’usine de Kimial, en arrêt depuis plusieurs mois, se trouve à Annaba, sur la plate-forme d’Asmidal, qui conserve 45 % du capital (490 millions de dinars algériens).
Cheville ouvrière de ce partenariat : Ali Ben Ali, président d’Alkimia. Ingénieur minier formé en Allemagne, ce capitaine d’industrie âgé de 64 ans fait ses premières armes au sein de la Compagnie des phosphates de Gafsa (CPG, étatique), chargée de l’extraction des phosphates, dont la Tunisie est l’un des grands producteurs mondiaux. Au bout de treize ans, il se laisse convaincre par un expert travaillant pour la Banque mondiale d’aller donner un coup de main à la Société nationale des industries minières (Snim, étatique) en Mauritanie pour la relance de la mine de fer de Zouérate. Il y passe plus de deux ans. De retour en Tunisie, il s’engage pendant cinq ans dans une société privée spécialisée dans le génie civil et le terrassement. En 1987, il rejoint le Groupe chimique, l’entreprise publique en charge de la transformation industrielle des phosphates. Mais la bougeotte le reprend, et on le retrouve pendant près de deux ans en Chine pour l’implantation d’une usine de production d’engrais phosphatés lancée par un consortium sino-tuniso-koweïtien. En 1993, il rentre en Tunisie et rejoint Alkimia, qui va connaître une irrésistible expansion malgré les caprices de la conjoncture mondiale.

Jeune Afrique : Pourquoi cette acquisition d’une unité en Algérie ?
Ali Ben Ali : D’abord pour des raisons stratégiques, en ce sens que nous ne souhaitions pas qu’un concurrent s’installe sur une unité qui fait partie géographiquement de notre marché au moment où nos pays s’efforcent de construire un Maghreb intégré. Ensuite parce qu’Alkimia veut augmenter ses parts de marché en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, où le STPP est de plus en plus utilisé.
Vous aviez des plans d’agrandissement de votre usine de Gabès, en Tunisie. Vous avez changé votre fusil d’épaule ?
Nous nous apprêtions à augmenter la capacité de production de notre site tunisien. Finalement, nous nous sommes dit qu’il valait mieux installer des sites de production chez nos clients. Nous voulions aussi donner l’exemple d’une coopération bilatérale Tunisie-Algérie et motiver d’autres entreprises tunisiennes pour qu’elles aillent investir chez le voisin. Il faut savoir qu’il y a en Algérie quelque 1 200 entreprises privatisables.
Qu’allez-vous faire de l’unité d’Annaba ?
Nous allons redémarrer l’usine en arrêt depuis septembre 2005 et lancer la modernisation des équipements. L’investissement est estimé à au moins 15 millions de dollars. Ce sera fait d’ici à fin 2006-début 2007. Puis nous porterons la capacité de production de 20 000 à 60 000 tonnes par an d’ici au 1er janvier 2008.
Quels sont les avantages pour l’Algérie ?
L’Algérie importait la quasi-totalité de ses besoins pour environ 15 millions de dollars par an. Avec cette unité, elle fera l’économie de cette dépense en devises puisqu’elle couvrira sa demande par une production locale utilisant une matière première en partie algérienne (lessive de soude), en partie tunisienne (acide phosphorique). Le marché algérien des détergents est en expansion avec l’amélioration rapide du niveau de vie et l’utilisation croissante de machines à laver. En Tunisie, la consommation est de 7,5 kg de détergents par habitant et par an, contre 3 kg en Algérie. En outre, et après satisfaction des besoins du marché national, Kimial sera en position d’exporter l’excédent de production vers ses voisins. Après la mise à niveau de Kimial, la capacité de production des pays maghrébins – Algérie, Tunisie, Maroc et Libye – passera à 200 000 tonnes par an, contre 140 000 tonnes actuellement. De quoi satisfaire les besoins des quatre pays et l’exportation de la production de Gabès vers le Moyen-Orient.
Quelle sera votre politique en matière de ressources humaines dans l’unité d’Annaba ?
Nous sommes convenus avec nos partenaires algériens que Kimial aurait cinq administrateurs, dont trois nommés par Alkimia et deux par Asmidal. Le président du conseil d’administration sera proposé par Alkimia et élu parmi les trois administrateurs tunisiens. Le directeur général de Kimial sera de nationalité algérienne. Le directeur technique viendra de chez Alkimia pour faciliter le transfert de notre savoir-faire. Il n’y aura donc qu’un seul cadre tunisien permanent dans la gestion au jour le jour de l’usine. Si des spécialistes tunisiens sont appelés à intervenir à Annaba, ce sera à titre exceptionnel. Nous n’avons pas du tout l’intention de remplacer le personnel algérien existant [75 permanents et 55 temporaires, NDLR]. Les emplois seront conservés et les qualifications valorisées. Nous allons immédiatement faire participer le maximum d’agents algériens à des stages de perfectionnement dans l’unité de Gabès. Ils vont ainsi se familiariser avec les équipements, les procédures de fabrication et les nouvelles technologies introduites. Nous allons aussi essayer d’améliorer la situation des employés de Kimial sur le plan des salaires et des avantages sociaux.
Alkimia s’internationalise donc. Après l’Algérie, l’Arabie saoudite ?
Oui, nous sommes en discussion avancée avec le groupe industriel privé saoudien Al-Zamil avec lequel nous voulons établir un partenariat à travers une prise de participation de 45 %. L’usine sera construite à Jubeil, dans l’est du royaume. J’ai proposé que nous commencions par une capacité de production de 50 000 tonnes de STPP par an. L’investissement total prévu est de 42 millions de dollars. Notre objectif : être opérationnels au 1er trimestre 2008. Par la suite, nous pourrons entreprendre une expansion vers les marchés de l’Irak et de l’Iran, voire du Pakistan et de l’Inde. Nous souhaitons atteindre une capacité de 250 000 tonnes par an à l’horizon 2015.
Comment a été l’année 2005 pour Alkimia et comment se porte le marché mondial ?
Pour la première fois, notre chiffre d’affaires a dépassé le seuil des 100 millions de dinars tunisiens, et notre résultat net a atteint le niveau record de 11 millions de dinars. Nous avons dépassé notre objectif de production de 140 000 tonnes de STPP pour 2005 et exporté plus que ce que nous avons produit en déstockant. Le marché mondial a été florissant avec une demande importante qui ne se dément pas.

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* Actionnaires : famille Doghri (42 %, fondatrice) ; Groupe chimique (39 %) ; Groupe (hôtelier) Driss (17 %) ; petits porteurs à la Bourse : 2 %.

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