Une ville sans bidonvilles ?

Le Grand Casablanca concentre 36 % des bidonvilles du pays, où vivent près de 500 000 habitants. Pour les résorber, un programme de 8 milliards de dirhams a été lancé.

Publié le 31 mars 2008 Lecture : 6 minutes.

Fin de journée dans le quartier de Ben M’Sick, à la périphérie de Casablanca. Sur un immense terrain vague et rocailleux, quelques ânes et des chevaux décharnés broutent une herbe clairsemée, jonchée de détritus. Des poules s’ébattent. À la fenêtre d’une masure brinquebalante, faite de tôles, de bric et de broc, Hakima interpelle son enfant. Du linge sèche dans le vent. Son mari, Naji, 63 ans, se désole. Ils sont sept à occuper l’étage et autant au rez-de-chaussée habité par sa mère, sa sur et ses enfants. Seule distraction, la télévision qui trône dans une pièce exiguë, toute en longueur, et qui diffuse les chaînes satellitaires arabes. Au mur, dans un cadre en bois, la photographie jaunie de Mohammed V, grand-père du monarque actuel. Allongée sur un matelas à même le sol, la vieille mère se lève sur un coude, rappelle qu’elle a toujours vécu ici. Elle a 81 ans. « Au total, nous sommes quinze, nous souhaitons un appartement par famille, mais nous n’avons pas les moyens de régler deux mensualités », explique Naji. À trois mètres de là, deux frères et leurs familles respectives se partagent une autre baraque. Lui, c’est Mohamed, marié, deux enfants. Il gagne sa vie comme cuisinier dans un restaurant du quartier, pour environ 3 000 dirhams (262 euros) par mois. Dans les années 1980, il a donné, comme d’autres, plus de 10 000 dirhams à l’État marocain pour pouvoir bénéficier d’un terrain et du droit de construire une maison, qu’il aurait habité avec son frère. C’était un programme lancé par les autorités. « On m’a demandé d’attendre et d’attendre encore. Et on n’a rien vu venir. Maintenant, on nous propose un appartement de 60 m2. Mais nous sommes deux familles », s’insurge-t-il.
Du bidonville de Ben M’Sick, qui comptait plusieurs milliers de familles, il y a une quinzaine d’années, il ne reste plus grand-chose, une trentaine de baraquements tout au plus. La plupart des anciens voisins sont partis vivre à Tacharouk, banlieue située à quelques kilomètres. Bénéficiaires d’un programme de relogement, elles sont près de 336 familles à avoir pu obtenir un microcrédit, pour acquérir un appartement, auprès de la fondation Zakoura : en moyenne 30 000 dirhams, un tiers de son coût. Des logements largement subventionnés par l’État.

Coup d’accélérateur
Dans la rue en pente, le soleil décline, de jeunes enfants tapent dans un ballon de foot. Les plus grands, assis sur les marches d’un immeuble, discutent, passent leur ennui en fumant des cigarettes. C’est le holding public Al-Omrane qui a achevé la construction des logements. Dans son appartement, au deuxième étage, Moutir Badia est heureuse. Dans dix-huit mois, elle aura soldé le prêt de 25 000 dirhams sur cinq ans qu’elle a contracté auprès de Zakoura et sera propriétaire, avec son mari, du 64 m2 à Tacharouk. Le salaire de son mari, pompiste dans une station-service du centre-ville, permet de régler les mensualités de 567 dirhams. Elle, qui vient de Carrières Sidi Othmane, se sent désormais un peu plus en sécurité. Dans son ancien bidonville, le feu était sa hantise. Pour autant, Tacharouk n’est pas un modèle du genre. Pas ou peu d’espaces verts, d’équipements sportifs ou culturels, pas d’activités commerciales ni d’échoppes. Issues des mêmes quartiers, les populations sont restées les mêmes, sans se mélanger socialement. Et puis « le problème, explique Aziz Benmaazouz, directeur général de Zakoura, c’est que les habitants des bidonvilles ont reproduit à Tacharouk leur mode de vie. Ils continuent à faire de l’élevage. Rapidement, les intérieurs d’immeuble se sont dégradés. Il y a des problèmes de propreté. »
Pour Abderrahmane Ifrassen, directeur général de la société Idmaj Sakan, qui veille à la réalisation du programme de lutte contre les bidonvilles au niveau de la région du Grand Casablanca, il s’agit d’éviter ce qui a été fait à Tacharouk. « Ce sont des bidonvilles en hauteur. Les voies sont étroites, il n’y a pas d’équipements. On ne peut pas simplement résoudre le problème des bidonvilles en donnant des terrains et en relogeant les gens. Sinon, on se retrouve avec la même population et les mêmes problèmes. Il faut rénover l’ensemble des quartiers, financer des équipements socioculturels et des espaces verts, créer des zones d’activités, apporter de l’emploi. » Fondée il y a deux ans, la société régionale Idmaj Sakan compte dans son conseil d’administration les directions et collectivités locales de Casablanca, la préfecture, la région, la mairie, le promoteur ?Al-Omrane, la Caisse de dépôt et de gestion (CDG). Son objet est d’accélérer la résorption des bidonvilles sur la région du Grand Casablanca, via un vaste programme de 8 milliards de dirhams, financé à hauteur de 3 milliards par le Fonds de solidarité pour l’habitat (FSH). Pour le reste, ce sont les bénéficiaires, les propriétaires et les collectivités locales, qui devront mettre la main au portefeuille. Pour les populations dans le besoin, le Fonds de garantie de l’État pour les revenus irréguliers et modestes (Fogarim) permet d’accorder des prêts au taux de 5 % via les établissements CIH et le Groupe Banques populaires.
Poumon économique du Maroc, Casablanca compte 36 % de l’ensemble des bidonvilles du pays, soit 98 000 ménages (500 000 habitants), répartis sur plus de 450 « poches ». À la fin de 2007, des opérations de relogement ont été lancées à destination de 35 000 ménages. Il reste donc 63 000 ménages à recaser sur la période 2008-2012 pour faire de Casablanca « une ville sans bidonvilles ». La stratégie ? S’attaquer à l’habitat précaire dans son intégralité et agir vite pour reloger les populations, afin d’éviter qu’il ne réapparaisse.

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Un stade à Sidi Moumen
À Sidi Moumen, le plus gros bidonville de Casablanca (23 000 ménages), tristement célèbre pour avoir été le lieu d’origine des kamikazes impliqués dans les attentats de 2003, les autorités ont décidé au début de 2008 la construction d’un immense stade de football pour 1,8 milliard de dirhams. En attendant, les opérations de relogement vont bon train à Douar Skouila et Douar Thomas, deux quartiers parmi les plus denses. « Pour être bénéficiaire d’un logement, il faut raser sa baraque au préalable », explique Zahidi Elarbi, membre du Réseau des associations de quartiers (Resaq) de Casablanca, et professeur d’arabe dans une école primaire de Sidi Moumen. Deux options sont proposées aux habitants : l’achat d’un appartement de quelque 60 m2 pour 200 000 dirhams, subventionné à 50 %, ou celui d’un lot bi-familial, un terrain de 80 m2 pour 40 000 dirhams, afin de construire une maison de trois étages, à se partager entre les familles.
À Douar Thomas, le sol est détrempé, la pluie s’est arrêtée. À la borne-fontaine, des femmes attendent leur tour. Une fillette joue pieds nus dans la boue. On les appelle mosiba, « les grands problèmes ». Eux, ce sont les familles « complexes », recomposées, nombreuses, bref, celles pour qui les choses traînent. Au numéro 397, trois portes. Damia vit là avec ses nombreuses filles. Elle occupe un premier foyer avec les plus jeunes. Les autres pièces sont habitées par les deux aînées, avec des enfants à charge ; l’une est veuve, l’autre divorcée. Les femmes ont demandé trois appartements, mais les autorités, pour l’instant, les leur refusent. Brahim, lui, vit avec ses enfants. Et puis, il y a Rkia, divorcée, à qui l’on a proposé un appartement mais à partager avec son ex-mari ! « Dans un bidonville, les cas litigieux ou difficiles représentent 20 % de la population. On les traite en dernier », convient le directeur général d’Idmaj Sakan.
Devant une haute bâtisse à Errahma, dans la commune de Dar Bouazza, des gens font la queue. C’est le guichet unique, où ont été regroupés tous les services sociaux, technique et financier, pour aider la population : architecte, bureau d’études, notaires, banques, agence de développement social, autorités locales. Sur le chantier, les hommes s’activent, les maisons seront bientôt terminées. Un nouveau tirage au sort sera organisé pour attribuer les lots à des familles du bidonville proche, celles qui auront réglé d’avance l’achat du terrain, quelque 30 000 dirhams. Y resteront-elles ? Pour les cinq prochaines années, le droit de propriété est inaliénable. Impossible de vendre, donc. Mais après ? Au Maroc, le prix de l’immobilier ne cesse de s’envoler. D’anciens « bidonvillois » se sont déjà vus proposer près de 300 000 dirhams pour le rachat de leur terrain.

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