Une cible stratégique pour les géants du ciment

Portés par la hausse de la demande, les grands groupes renforcent leur présence sur le continent. Leurs importantes réserves financières leur permettent de faire l’acquisition d’entreprises leaders sur les marchés les plus porteurs. Face à eux, une myriad

Publié le 31 mars 2008 Lecture : 6 minutes.

Holcim contre Lafarge ou plutôt Lafarge contre Holcim. En s’alliant fin 2007 avec le géant égyptien Orascom Cement, payé 8,8 milliards d’euros, le français Lafarge a mis un puissant coup d’accélérateur dans des marchés émergents sur lesquels son concurrent suisse s’était déjà largement développé. Car c’est là qu’est la croissance. En mettant la main sur la filiale d’Orascom Construction Industries, Lafarge se développe d’un coup d’un seul au sud de la Méditerranée et au Moyen-Orient, dans des pays où la manne pétrolière alimente un essor inégalé de la construction.
Les deux géants européens sont désormais présents dans 70 pays chacun, le Français employant 70 000 personnes contre 90 000 pour Holcim. Deux acteurs mondiaux qui, une fois n’est pas coutume, n’ont en rien oublié de déployer leurs ailes sur le continent africain, au Nord bien entendu, mais aussi au Sud. Holcim est présent dans neuf pays africains, quand son confrère en annonce quinze.

Holcim et Lafarge bataillent pour l’Afrique
Le bassin méditerranéen ne compte que pour 5 % dans les revenus de Lafarge, mais le chiffre devrait radicalement exploser en 2008, à la suite de l’acquisition d’Orascom Cement. L’Afrique subsaharienne représente quant à elle déjà 10 % des revenus du groupe français, nettement au-dessus de son poids économique mondial. Et pour cause : Lafarge en a fait son terrain de jeu favori, avec une présence dans douze pays, et des ventes représentant environ un quart du marché total. Surprise, aucune trace ici de la Françafrique, Lafarge n’étant que relativement peu présent dans les anciennes colonies, avec seulement le Bénin, le Cameroun et Madagascar à son actif côté francophone et tous les pays, du Kenya à l’Afrique du Sud, côté anglophone. Au Nigeria, le français est un acteur de poids, avec trois filiales, dont Ashaka Cement et Wapco, qui pesaient à elles deux 325 millions de dollars de chiffre d’affaires en 2006, et plus de 3 millions de tonnes de capacité. Au Kenya, le français est également aux commandes d’un autre géant africain, Bamburi Cement (plus de 200 millions d’euros de chiffre d’affaires et 1,6 million de tonnes de capacité). Avec le camerounais Cimencam, Lafarge possède également un autre acteur de poids.
Holcim a une taille plus modeste en Afrique subsaharienne, alors qu’il est un acteur majeur en Asie, et plus particulièrement en Inde. Il possède toutefois quelques filiales de taille respectable au sud du Sahara, comme Tanga Cement, en Tanzanie, qui produit environ 600 000 tonnes annuellement. En Égypte, le groupe suisse est en revanche déjà un géant, puisqu’il codétient Egyptian Cement Company, un leader du secteur avec environ 20 % du marché, une capacité totale de 8 millions de tonnes et la réputation d’être l’un des cimentiers les plus rentables du monde. Seul hic : la compagnie est codétenue avec Orascom Cement, désormais propriété du principal concurrent d’Holcim, le français Lafarge La présence de ces acteurs internationaux sur le sol égyptien n’a rien d’un hasard : le pays est l’un de ceux qui affichent l’une des plus fortes croissances en matière de construction et l’un des grands exportateurs mondiaux de ciment. C’est pourquoi, alors qu’ils sont encore absents du paysage africain, la plupart des grands acteurs sont tout de même présents en Égypte : il en est ainsi du mexicain Cemex ou de l’italien Italcementi, actionnaire du premier acteur du pays, Suez Cement, et d’une poignée d’autres filiales. L’italien, pour l’heure absent en Afrique subsaharienne, compte également une implantation au Maroc, où il détient les Ciments du Maroc, l’un des premiers cimentiers du pays et d’Afrique.

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Suivant les pays, La consommation augmente de 5 % à 20 % par an
Si Holcim et Lafarge ont largement conquis les marchés cimentiers africains, ils doivent également compter sur la présence très active d’un autre acteur de classe internationale, l’allemand Heidelberg Cement. Présent en Afrique subsaharienne depuis les années 1960, il est implanté dans une dizaine de pays, du Liberia à la Tanzanie en passant par le Nigeria, le Gabon ou la RD Congo. D’autres plus petits acteurs internationaux ont, pour des raisons historiques, également quelques implantations africaines. C’est le cas du groupe français Vicat, propriétaire du leader sénégalais Sococim Industries et de Ciments et matériaux du Mali. Ces quelques cimentiers pèsent finalement lourd à travers le continent, laissant peu de place aux petites sociétés.
La conquête va-t-elle se poursuivre ? Les chiffres penchent vers l’affirmative. Les majors possèdent en effet de grandes réserves financières : en 2006, Holcim a consacré 1,8 milliard de dollars à des acquisitions tandis que, en 2007, Lafarge prenait Orascom Cement pour 8,8 millions d’euros (13,5 milliards de dollars) et Heidelberg mettait plus de 15 milliards de dollars pour acquérir le groupe britannique Hanson. Mais la réalité pourrait être tout autre. En témoigne, toujours en 2007, la cession par Heidelberg au nigérian Damnaz Cement Company de ses participations au Niger et au Nigeria – la Société nigérienne de cimenterie et la Cement Company of Northern Nigeria. Une évolution due, selon le président du directoire d’Heidelberg, Bernd Scheifele, à la nécessité pour le groupe « de concentrer ses ressources financières sur des marchés où elle peut atteindre une position de leader et qui offrent un bon équilibre entre chances et risques ».
Du coup, une possibilité se dessine : voir les leaders internationaux se concentrer sur les grands marchés à très forte croissance et sur ceux où ils sont leaders, laissant ailleurs la place aux acteurs nationaux. Ces derniers jouent eux aussi leurs cartes sur un marché du ciment en plein essor, partout en Afrique. Au Nigeria, après avoir acquis il y a quelques années un autre cimentier, Benue Cement, le groupe du milliardaire Alhaji Aliko Dangote construit depuis la mi-2007 une cimenterie géante d’une capacité de 4 millions de tonnes par an à Obajana. Son groupe aurait aujourd’hui une capacité proche des 8 millions de tonnes et certains médias lui prêtent des investissements dans des cimenteries à l’étranger, notamment en Ouganda. Au Sénégal, rares étaient ceux qui donnaient cher de la peau des Ciments du Sahel, nouvel intervenant sur un marché entièrement tenu par le français Vicat. Aujourd’hui, la société créée par Latfallah Layousse a fait ses preuves et est devenue une référence. Avec sa capacité de 650 000 tonnes, elle exporte largement sa production dans la sous-région, en particulier au Mali et en Guinée-Bissau, et bâtit depuis l’an dernier une cimenterie au Bénin, pour une capacité de 1,2 million de tonnes.
Ces exemples sont la preuve s’il en était besoin que la réussite est possible pour des cimentiers africains. Mais ceux qui parviendront à atteindre une taille suffisante sont ceux qui parviendront à faire face aux prix croissants des intrants nécessaires à la production du ciment et à résister aux difficultés d’opérer des usines lourdes, dans plusieurs pays du continent où l’électricité, par exemple, est un bien à la fois aussi coûteux que rare. Quelques très grands pôles devraient se développer rapidement à partir des pays les plus consommateurs de ciment du continent : l’Égypte, le Maroc, le Kenya, le Nigeria ou l’Afrique du Sud. Déjà, les plus grands cimentiers du continent sont égyptiens, tandis que PPC, le plus important opérateur du sud du Sahara, a son siège à Pretoria. Malgré des implantations hors Afrique du Sud qui se limitent au Zimbabwe et au Botswana, PPC dispose d’une capacité de production totale proche des 7 millions de tonnes et devrait continuer à investir massivement d’autant que, partout en Afrique subsaharienne, les capacités de production de ciment restent très en deçà des besoins, entraînant bien souvent une flambée des prix. Plusieurs pays, comme le Mali, n’ont tout simplement pas de cimenterie. Les autres ne produisent pas assez sur place, nécessitant le recours à des importations massives. C’est donc en toute logique que les investissements dans le secteur se multiplient : c’est le cas au Sénégal, où Sococim souhaite porter sa capacité à 3 millions de tonnes. En Afrique du Sud, où Lafarge augmente actuellement sa capacité de 1 million de tonnes. En Algérie, où la filiale égyptienne d’Italcimenti doit bâtir une cimenterie de 3 millions de tonnes. Orascom Cement doit, quant à lui, augmenter sa capacité de 10 millions de tonnes d’ici à 2010.
Partout à travers le continent, l’âge du ciment semble être à son apogée, avec un taux de croissance de la consommation variant de 5 % jusqu’à 20 % dans certains pays en pleine phase de construction, comme le Maroc. De quoi laisser une belle place à tous les acteurs, nationaux comme internationaux.

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