Relancer les Bourses francophones

Publié le 31 mars 2008 Lecture : 3 minutes.

Lorsqu’en 1998 la Bourse régionale des valeurs mobilières (BRVM) démarrait ses activités, elle héritait de la trentaine de sociétés inscrites à la cote de la défunte Bourse des valeurs d’Abidjan. Aujourd’hui, la BRVM ne compte que 38 sociétés. Elle fait même pâle figure en regard de ses consurs d’Afrique anglophone. Sur les neuf Bourses des valeurs mobilières que comptait l’Afrique à la fin de 2007, la capitalisation des places de Lagos, de Nairobi, de Port-Louis et de Johannesburg pesait 28,6 %, 53,7 %, 55,8 % et 280,4 % du PIB de leurs pays respectifs.

Par comparaison, la BRVM ne représente que 11,5 % du PIB des pays de l’UEMOA et la capitalisation de la BVMAC (en zone Cemac) est insignifiante. La vitalité des marchés financiers, mesurée à travers la rotation du capital (valeur des titres échangés rapportée à la capitalisation boursière), traduit également le handicap des places francophones : 3,7 % pour la BRVM contre 8,6 % à Maurice, 13,8 % à Lagos, 15,8 % à Nairobi et 49,5 % à Johannesburg !
Comment expliquer ce peu d’engouement des entrepreneurs d’Afrique francophone pour la Bourse ? Une première raison tient à la nature de l’actionnariat des entreprises. Certaines sont des filiales de multinationales qui n’ont guère besoin de capitaux externes ni envie de partager avec d’autres actionnaires leurs bénéfices. Ou alors, il s’agit de sociétés familiales au sein desquelles la gouvernance d’entreprise, qui implique transparence et respect des normes de gestion, n’est pas toujours à la hauteur.
À côté de ces arguments apparaît celui des logiques d’investissement qui différencient les anglophones des francophones. Dans le cycle de vie d’une entreprise, après la phase de création et de promotion, l’entrepreneur anglophone privilégie le financement du développement par le capital, à travers des fonds d’investissement ou de capital-risque. Arrivé à la phase de maturité, qui intervient en général au bout de six à sept ans, le fonds d’investissement effectue sa « sortie » par la Bourse. L’opération lui permet alors de valoriser au mieux sa position grâce à la plus-value qu’il a réalisée.
À l’opposé de cette tradition anglo-saxonne, l’entrepreneur francophone finance généralement la phase de développement de son entreprise par de la dette bancaire. La phase de maturité arrive au moment de l’extinction des emprunts, et le rendement que le promoteur attend n’est réalisé qu’à travers les dividendes distribués. Parler d’une éventuelle « sortie » est une question taboue puisque l’entrepreneur est là pour toujours
Nous sommes donc en face de deux approches opposées. Les investisseurs francophones se fient à une logique industrielle, de rendement et de conservation illimitée du patrimoine. Les anglophones misent sur une valorisation dans un délai limité et sont dans une culture de plus-value, qui les rend plus entreprenants. L’homme le plus riche du Nigeria et d’Afrique, Aliko Dangote, a d’ailleurs fait sa fortune de 3,3 milliards de dollars à travers la mise en Bourse de ses entreprises.

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Deux possibilités pour combler ce retard. Les États d’Afrique francophone ont à leur disposition deux formidables leviers pour relancer les places boursières : la fiscalité et les privatisations. Le premier vise l’objectif de rendre les investissements boursiers plus attractifs pour les entreprises et les actionnaires. Il est possible de s’inspirer des exemples du Maroc et de la Tunisie, où les sociétés cotées paient moins d’impôts. Les acheteurs d’actions sont également favorisés grâce, par exemple, aux plans d’épargne en actions (PEA). L’État ne perd rien puisque les bénéficiaires de ces avantages sont de toute façon créateurs de valeur.
Quant aux privatisations, elles visent à rendre une place boursière plus dynamique. La BRVM l’avait d’ailleurs expérimenté en 1998 avec la Sonatel, qui est aujourd’hui sa valeur phare, de même que la Bourse de Casablanca entre 1994 et 1998, et plus récemment, en 2004, avec la privatisation de Maroc Télécom. Les États marocain et sénégalais ont d’autant moins perdu qu’ils sont restés actionnaires minoritaires d’entreprises dont la valeur a décuplé. Les pays francophones auraient tout intérêt à réfléchir à la relance de leurs marchés financiers, quitte à faire quelques sacrifices, qui, au bout du compte, ne peuvent que se révéler gagnants.

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