Où va le FLN ?

Vieillissement des dirigeants, structures approximatives, absence d’un projet de société clair… De toutes les formations politiques, le parti de l’indépendance est aujourd’hui le plus fragilisé.

Publié le 31 mars 2008 Lecture : 9 minutes.

Vitrine politique de la guerre de libération (1954-1962), parti unique durant les trois premières décennies de l’Algérie indépendante (1962-1989), le Front de libération nationale (FLN) a résisté à l’introduction du multipartisme, à la fin des années 1980, disposant d’une confortable assise électorale. Mieux : il a entamé le IIIe millénaire en conservant le statut de première force politique. Le FLN administre près de la moitié des 1 541 communes du pays, et un parlementaire sur trois s’en réclame (123 sur 382). Le chef de l’État, Abdelaziz Bouteflika, en est le président d’honneur. Son secrétaire exécutif, Abdelaziz Belkhadem, est à la tête du gouvernement, et son influence dans le système est considérable. Pourquoi, alors, le FLN donne-t-il autant de signes de malaise ? Pourquoi de plus en plus de voix en son sein réclament-elles un congrès d’évaluation ? Les réponses sont à chercher dans le parcours du parti, mais aussi dans son passé récent, notamment quand son 8e congrès, qui devait se tenir en mars 2003, a été rayé de l’Histoire par une opération de « redressement » pour mettre fin aux ambitions présidentielles de son secrétaire général de l’époque, Ali Benflis, qui s’était posé en rival de Bouteflika.
Un dirigeant historique du FLN, ancien membre du bureau politique, a eu cette réplique à l’annonce de l’intitulé de notre enquête : « Si vous parvenez à trouver la réponse, je vous serai reconnaissant de me l’indiquer. » Est-ce à dire que le FLN n’aurait pas de centre de gravité ? « Il est trop diffus pour être localisable ou confiné dans un espace géographique donné », explique notre interlocuteur. Il est vrai que le FLN, seule formation politique nommément citée dans l’hymne national, jouit d’un statut à part, quand bien même il se présente aux élections au même titre que les autres partis.
Né officiellement le 1er novembre 1954, le FLN est à l’origine un front censé fédérer toutes les forces nationalistes engagées dans la lutte contre le colonialisme. La déclaration du 1er novembre constitue sa charte politique. En août 1955, un premier congrès se tient dans la vallée de la Soummam. La déclaration est enrichie, les objectifs éclaircis : obtenir l’indépendance et constituer un État démocratique se référant aux principes islamiques. Durant la lutte armée, plusieurs épisodes marqueront à jamais le FLN : querelles à répétition entre les chefs militaires et les politiques, primauté de l’intérieur sur la représentation extérieure

Une coquille vide
Au lendemain de l’indépendance, le 5 juillet 1962, la question de la dévolution du pouvoir provoque un début de guerre civile. La fragilité du nouvel État impose une mise entre parenthèses des promesses démocratiques. Aux yeux de la population, le vainqueur n’est ni le FLN ni son bras militaire, l’Armée de libération nationale (ALN), mais le nidham, le système. Et c’est dans le cadre de ce système que sont réparties les tâches respectives des individus et des institutions. Le FLN est désormais un appareil politique au service d’un système comprenant les autres institutions : armée, exécutif, administration locale Bien entendu, toute autre expression politique est bannie. Et, circonstance aggravante, le FLN, devenu un simple instrument au service du puissant du moment, ne jouera jamais son rôle de parti politique, animant ou suscitant le débat, encourageant la formation (dans le sens pédagogique du terme) politique au sein des nouvelles générations. Tout parti unique qu’il soit, le FLN a toujours été une coquille vide, mais une coquille essentielle pour l’évolution des carrières. Que ce soit dans la sphère politique ou économique, nul ne peut esquisser un plan de carrière sans se prévaloir du « manteau » du parti. Peu à peu, le FLN se vide de ses militants pour laisser place à des milliers d’opportunistes, de faux moudjahidine (vétéran de la guerre d’indépendance) et de vrais khobzistes (de khobz, signifiant ?« pain »). Autour de cet appareil politique gravitent des « organisations de masse » : Union générale des travailleurs algériens (UGTA, puissante centrale syndicale), Union des femmes algériennes (UNFA), Union pour la jeunesse (UNJA), Union des paysans (UNPA). Bref, des unions pour tout ce qui bouge, ou plutôt qui ne bouge pas. Écrivains, architectes, médecins, tous doivent faire partie d’une vague « Union » rattachée au FLN pour être publiés ou se voir attribuer des bourses d’études à l’étranger. Le FLN devient très vite la partie émergée et honnie de l’iceberg système. Malgré cela, le FLN conserve chez les petites gens un capital de sympathie. « On est djebhaoui [frontiste] comme on est musulman, affirme un ancien moudjahid, qui a tourné le dos aux honneurs au lendemain de l’indépendance. On croit en Dieu et en son Prophète sans jamais les avoir croisés, voilà pourquoi je continue à voter FLN, quand bien même ses idéaux ont été dévoyés. »

la suite après cette publicité

Sauvé par le système
Les jeunes sont moins indulgents que notre moudjahid. Quand, en octobre 1988, ils descendent dans la rue pour exprimer leur ras-le-bol, le FLN est la principale cible de la contestation. Le slogan le plus scandé ? « FLN saraqine ! » (« FLN, voleurs ! »). Le choc est tel qu’il aurait pu emporter le FLN. Pas le système. Or ce dernier a besoin du FLN pour survivre ; il l’a donc sauvé des eaux.
L’introduction du multipartisme aurait dû avoir une conséquence logique : la dissolution du FLN, patrimoine commun de tous les Algériens, dont la place est au musée et non dans les campagnes électorales. Par un tour de passe-passe, les idéologues du système rejettent cette idée saugrenue. Leur argument ? Il y a une nuance entre le FLN cité par l’hymne national et le parti, une formation politique comme les autres. Bref, nous restons dans la même configuration et la même répartition des tâches qu’en 1962 : une armée, un exécutif, une administration et un FLN. Seule innovation : il y a désormais de nouveaux partis qui disputent au FLN les postes électifs et la gestion des affaires locales. En quarante-cinq ans d’indépendance, les rapports entre le système et le FLN n’ont connu que deux couacs. Le premier quand Mouloud Hamrouche, Premier ministre entre septembre 1989 et juin 1990 et leader des réformateurs du parti, entreprend une réelle politique d’ouverture démocratique : débat contradictoire à la télévision, libéralisation de la presse écrite. Hamrouche ouvre le FLN à la jeunesse et aux femmes, mais il se met à dos l’armée en faisant preuve de laxisme avec les islamistes, qu’il autorise à ouvrir des camps d’entraînement paramilitaire. Le système qualifie cette initiative d’unilatérale. Le FLN est rappelé à l’ordre et Hamrouche démis par Chadli. Le second couac est plus grave. C’était entre 1992 et 1995. Dirigé alors par Abdelhamid Mehri, le FLN dénonce l’intervention de l’armée lors de l’interruption du processus électoral et prône la réconciliation nationale. Peu écouté par ses partenaires du système, il s’engage dans un processus d’internationalisation de la crise algérienne en confiant le parrainage du dialogue à la communauté chrétienne de Sant’Egidio. Un crime de lèse-nationalisme sanctionné par un coup d’État « scientifique » au FLN. Mehri est débarqué en 1995 au profit de Boualem Ben Hamouda et le FLN rentre dans le rang.

Machine électorale
Coquille vide ou pas, le FLN est une redoutable machine électorale. Nul n’est en mesure de dire combien il compte d’adhérents, mais on a une idée de son poids électoral : une réserve de quelque 2 millions de voix. Face à la déferlante islamiste lors des législatives interrompues de décembre 1991, il réussit à rassembler plus de 1,5 million de suffrages. Une assise électorale qu’il conserve en 1997, bien que relégué au troisième rang, derrière ses rivaux du Rassemblement national démocratique (RND, d’Ahmed Ouyahia) et des islamistes du Hamas (aujourd’hui Mouvement de la société pour la paix, MSP, de Bouguerra Soltani). En 2002, il améliore ses positions, redevenant la première force politique (20 % des suffrages). C’était pendant l’ère Benflis.
Brillant avocat, Ali Benflis incarne la deuxième génération de dirigeants. Il fait une carrière fulgurante dans les instances du FLN jusqu’à en devenir membre du bureau politique en 1989. Comme Abdelhamid Mehri, dont il est le lieutenant, il est ouvert à la réconciliation avec les islamistes du FIS, mais sa prudence lui vaudra de ne pas être broyé par le système. Après une brève traversée du désert, il est relancé par Abdelaziz Bouteflika, qui en fait son directeur de campagne pour la présidentielle de mai 1999. L’élection de Bouteflika lui ouvre grandes les portes du pouvoir. Secrétaire général de la présidence, directeur de cabinet du chef de l’État, Ali Benflis est alors l’homme de confiance du puissant, et son successeur putatif. Un statut qui se confirme quand le président lui confie le fauteuil de chef du gouvernement, couplé à celui de secrétaire général du FLN. Le parti tente d’effacer son image de prédateur économique. Benflis rajeunit et féminise l’encadrement du parti. Il organise le 8e congrès, change les statuts du parti pour en faire une machine au service de ses ambitions naissantes : il veut pousser Boutef vers la sortie, mais ce dernier a des ressources que ne soupçonnait pas Benflis. Une opération « redressement », doux euphémisme pour dire putsch, est initiée par Abdelaziz Belkhadem, que Bouteflika sort de sa botte secrète. Le FLN est traversé par la crise la plus grave de son histoire : jamais le secrétaire général n’a été autant contesté que Benflis. Ses soutiens tombent un à un. La présidentielle d’avril 2004 scelle la scission du FLN en deux entités, l’une au service de son secrétaire général, l’autre ralliée au candidat Bouteflika. La déroute de Benflis (6,5 % des suffrages, contre plus de 82 % pour Bouteflika) marque la fin de sa carrière politique. Il démissionne de tous ses mandats, ses partisans rasent les murs au siège du FLN, à Hydra. Dans la foulée, un congrès du rassemblement est organisé et Belkhadem hérite de la direction d’une instance exécutive. Exit le Bureau politique et le comité central. Place à un vague conseil national composé de 540 membres. Les partisans de Benflis sont présents dans les structures dirigeantes, mais ils sont « marqués à la culotte ».
Structures approximatives, base désarçonnée par les querelles de personnes, Belkhadem dispersé par ses tâches gouvernementales, le FLN ne tarde pas à payer ses errements. Les élections législatives et municipales de 2007 confirment son recul. Le premier à tirer à boulets rouges sur Belkhadem est Abderrezak Bouhara. Ancien ministre de Boumedienne, aujourd’hui vice-président du Sénat, il a fait toute sa carrière dans les instances du parti, dont il connaît le moindre rouage. Ce qu’il reproche à Belkhadem : « Le FLN traverse une crise identitaire et de confiance, il a des problèmes de fonctionnement et d’organisation. Il y a un déficit de débat. Résultat : le FLN n’a aucun projet de société. Nul n’est en mesure de dire quel est son projet politique à long terme. » Pour étayer son appel à la tenue urgente d’un congrès, Bouhara invoque les performances électorales de la direction du FLN. « En 1991, le parti pesait près de 20 % du corps électoral. Cette assise est retombée à 15 % en 2002. Une législature plus tard, elle a été réduite de moitié. En 2007, le FLN ne rassemble plus que 7,5 % du corps électoral. Le tout sans que la direction ne soumette son bilan à évaluation ? C’est intenable. » D’autres voix se sont élevées contre la gestion de Belkhadem. Parmi les plus significatives, celle d’Abdelkader Hadjar, ambassadeur d’Algérie au Caire, qui souhaite que l’on revienne aux structures traditionnelles du parti, avec un secrétaire général à plein temps, un bureau politique, un comité central, le tout chapeauté par un congrès souverain.
Pour l’heure, Belkhadem fait le dos rond. Il faut dire qu’il est dans une position pour le moins inconfortable. Ayant inscrit la révision de la Constitution parmi les priorités absolues de son parti, il ne peut programmer la tenue du congrès tant réclamé avant que le président Bouteflika ne fasse part de son intention de briguer – ou non – sa propre succession en 2009. Ce dernier prenant tout son temps, Belkhadem, lui, est obligé d’en gagner

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires