Le triomphe de Martin Luther King
Quarante ans après son assassinat, le souvenir du pasteur est d’autant plus vivace que, pour la première fois, un Noir a une véritable chance de conquérir la Maison Blanche. L’accomplissement de son rêve ?
Tout le monde se gardait bien d’en parler. Et pourtant. Longtemps absente des débats, la question raciale s’est invitée, au début de l’année, dans la campagne à l’investiture démocrate. À la veille de la primaire organisée le 8 janvier dans l’État du New Hampshire (Nord-Est), la candidate Hillary Clinton, alors en mauvaise posture dans les sondages, avait fustigé l’inexpérience de son rival Barack Obama, affirmant qu’il « parlait beaucoup, mais agissait peu ». Cette petite pique, somme toute banale, à l’encontre de son rival noir, serait passée inaperçue si l’ancienne First Lady n’avait pas cru bon de convoquer l’icône de la cause noire des années 1950-1960 dans son argumentaire : « Le rêve du docteur King a commencé à se réaliser quand le président Lyndon Johnson a passé la loi sur les droits civiques en 1964. Il a fallu un président pour le faire. »
À quelques jours du Martin Luther King Day (jour férié célébrant depuis 1986 l’anniversaire du révérend), le dérapage – contrôlé ? – de la sénatrice de New York n’est pas passé inaperçu. La communauté africaine-américaine est rapidement montée au créneau, accusant « Hillary » de sous-estimer l’importance du Mouvement pour les droits civiques (Civil Rights Movement) que mena durant des années le célèbre pasteur assassiné le 4 avril 1968. Aux États-Unis, comme ailleurs, il est des symboles qu’il vaut mieux traiter avec tous les égards qui leur sont dus Quarante ans après ce drame, que le pays tout entier s’apprête à célébrer, le souvenir de l’apôtre de la non-violence est d’autant plus vivace que, pour la première fois dans l’histoire des États-Unis, un Africain-Américain a une véritable chance de s’installer à la Maison Blanche.
Discours prémonitoire
« Je veux vous faire savoir, ce soir, que notre peuple atteindra la Terre promise, lance Martin Luther King, le 3 avril 1968, à la foule rassemblée dans un temple de Memphis (Tennessee) où il est venu soutenir une grève des éboueurs. J’ai regardé autour de moi. Et j’ai vu la Terre promise. Il se peut que je n’y pénètre pas. » Prémonition ? Le lendemain à 18 heures, alors que le pasteur prend le frais sur le balcon du Lorraine Motel, un truand du nom de James Earl Ray – selon la version officielle – l’abat d’une balle dans la tête. Cinq jours plus tard, une journée de deuil national est décrétée pour ses funérailles – une première pour un Africain-Américain. Près de 300 000 personnes se rassemblent à Atlanta pour livrer un dernier hommage au héros du Mouvement pour les droits civiques. Il avait 39 ans.
Né le 15 janvier 1929 à Atlanta, capitale de la Géorgie, dans une famille de pasteurs baptistes, Martin Luther King apprend dès son plus jeune âge que dans le sud des États-Unis les Noirs, privés de leurs droits civiques, ne sont que des citoyens de seconde zone. Un racisme officiel qu’ils vivent comme une fatalité. Humiliations, interdictions, lynchages, assassinats impunis Leur existence ressemble à un long tunnel dont le bout est incertain. Très vite, le futur pasteur prend conscience de l’étendue de l’injustice faite aux siens et de la question raciale.
Durant ses années de formation, Martin Luther King renforce ses convictions à travers des lectures et des rencontres. À l’université de Morehouse (un établissement réservé aux Noirs), il découvre La Désobéissance civile, un livre de Henry David Thoreau, écrit en 1849. Au séminaire théologique Crozer de Chester, en Pennsylvanie, il s’imprègne des philosophes Aristote, Rousseau, Hobbes, Mill, Bentham, Platon, Locke lit Karl Marx et Walter Rauschenbusch, auteur de Christianity and the Social Crisis, qui lui fournit, dira-t-il plus tard, une base idéologique à ses préoccupations.
Sa conviction est faite : si une religion ne s’intéresse qu’au spirituel et ignore la misère des hommes, elle est condamnée à mourir. Et puis, il y a la grande découverte : le mahatma Gandhi. ?« Grâce à l’importance accordée par Gandhi à l’amour et à la non-violence, confiera-t-il, j’ai trouvé la méthode que je cherchais pour parvenir à une réforme sociale. » Étudiant à la faculté de théologie de l’université de Boston, dans le Massachusetts (Nord), il rencontre Coretta Scott, qu’il épouse en 1953. Dès octobre 1954, il est nommé pasteur à l’église baptiste de Dexter Avenue, à Montgomery, dans l’Alabama, l’un des principaux bastions du racisme dans le Sud. Un terrain propice pour son activisme.
King s’investit dans la résolution des problèmes de ses paroissiens, les incite à s’inscrire sur les listes électorales et à adhérer, comme lui, à la National Association for the Advancement of Colored People (NAACP). Il se rapproche de la seule organisation interraciale, l’Alabama Council on Human Relations, dont il devient le vice-président.
King doit concilier deux visions du monde. Celle des Noirs, qui ne conçoivent l’intégration qu’à travers la loi et la justice. Et celle des Blancs, qui la limitent à la seule éducation. Il en est là lorsque, le 1er décembre 1955, survient un événement qui aura une portée considérable. Une jeune femme, Rosa Parks, défiant les lois ségrégationnistes en vigueur, refuse d’obéir au conducteur de l’autobus qui lui demande d’aller s’installer à l’arrière du véhicule, réservé aux Noirs, afin qu’un passager blanc puisse s’asseoir. Parks est jetée en prison, son procès fixé au 5 décembre. Les membres de la communauté noire de Montgomery se mobilisent. Deux d’entre eux, E.D. Nixon et Ralph Abernathy, proposent le boycott des autobus. Ils en parlent à King, qui lance un appel à tous les Noirs. Le premier test, le 5 décembre, est concluant.
Dans la foulée, les leaders spirituels de la ville décident de créer une structure pour canaliser le mouvement en gestation. Ce sera la Montgomery Improvement Association (MIA), qui sera remplacée, plus tard, par la Southern Christian Leadership Conference (SCLC). King est nommé président. Trois cent quatre-vingt-cinq jours plus tard, la compagnie d’autobus, au bord de la faillite, décide d’abolir la cloison. Victoire.
La fin du racisme officiel
Martin Luther King a réussi à convaincre les Noirs de lutter sans haine, d’avancer sans rendre les coups reçus, de surmonter leur peur séculaire, de ne pas céder aux intimidations, à la violence policière ou à la terreur des racistes enragés du Ku Klux Klan. Les multiples arrestations et les attentats à la bombe n’y feront rien : la non-violence est en marche. Et elle triomphe le 13 novembre 1956 lorsque la Cour suprême des États-Unis déclare anticonstitutionnelles les lois instituant la ségrégation dans les autobus. Le pasteur acquiert une dimension nationale. Petit à petit, le racisme officiel recule. D’autres bastions tombent ou sont ébranlés : Albany (Géorgie), Birmingham (Alabama), Saint Augustine (Floride), Chicago (Illinois) Le Mouvement pour les droits civiques est en marche. Un nouveau combat est né : l’inscription des Noirs sur les listes électorales.
Leadership incontestable
En 1960, les candidats à l’élection présidentielle, Richard Nixon et John Fitzgerald Kennedy, s’intéressent à Martin Luther King, dont le leadership est désormais incontestable. Sans se prononcer publiquement pour l’un ou l’autre, le pasteur considère le jeune candidat démocrate plus ouvert sur la question raciale. Et lorsque Kennedy est élu de justesse à la Maison Blanche, King est persuadé que c’est grâce, en partie, à l’électorat noir. Il attend du nouveau président une action rapide pour les droits civiques des Noirs. Mais sa proposition de loi se fait attendre
La marche pour l’emploi et la liberté organisée à Washington, la capitale fédérale, le 28 août 1963, montre toute la puissance du Mouvement pour les droits civiques. Plus de 250 000 personnes, Blancs et Noirs, y participent et fraternisent aux côtés de Martin Luther King, qui prononce son mémorable discours « J’ai un rêve ». Le 22 novembre, l’assassinat de Kennedy à Dallas (Texas) suscite l’inquiétude de la communauté africaine-américaine. Son successeur, Lyndon Johnson, originaire du Sud, ne tourne pas pour autant le dos au vent du changement. Le 2 juillet 1964, au côté de King, il signe la loi sur les droits civiques. Quatre cents ans de sectarisme et de haine sont officiellement enterrés. Le pasteur reçoit le prix Nobel de la paix.
Avec les succès – les déceptions aussi -, le combat de Martin Luther King gagne en ampleur. Opposé à la guerre du Vietnam, il mène également une croisade contre la misère, la fameuse « campagne des pauvres gens ». Mais ses ennemis veillent. Pour beaucoup de Blancs attachés au statu quo, le pasteur n’est qu’un dangereux fauteur de troubles. Pour les Noirs radicaux tels qu’Elijah Muhammad, le chef de la Nation de l’islam, Malcolm X, Stokely Carmichael, leader des Black Panthers, qui prônent la loi du talion, la non-violence est inefficace. Pour le pouvoir, c’est un agent du communisme. Mais le révérend avance, malgré tout, et bouscule préjugés et idées reçues. Les nombreux séjours en prison, les atteintes à sa vie privée ne l’ébranlent pas. Sauf la balle meurtrière du 4 avril 1968.
King est resté dans l’Histoire comme un miracle qui permet aux siens, dans un pays violent, de relever la tête et de se battre sans répondre à la violence jusqu’à la victoire finale. Son action a conduit le pouvoir à confier à des personnalités noires des postes de responsabilité au plus haut niveau de l’État. Quarante ans après, Barack Obama, soutenu par des Noirs et des Blancs, est en passe de devenir le candidat du Parti démocrate à l’élection présidentielle américaine de novembre. Le rêve du 28 août 1963 s’est en partie réalisé. Sans l’aide, cette fois-ci, du président Lyndon Johnson.
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