L’Algérie en quête d’un second souffle
Grâce aux hydrocarbures, l’État n’a jamais été aussi riche. Les chefs d’entreprise saluent l’assainissement des finances publiques, mais exhortent le gouvernement à restructurer en profondeur l’environnement des affaires.
« Peut mieux faire ! » En trois mots, Brahim Benabdeslem, directeur général de MDI Alger Business School, résume la manière dont les milieux d’affaires algériens jugent l’action économique de leur gouvernement. « De toute son histoire, l’Algérie n’a jamais connu une telle aisance financière. Le pays a engagé de grands chantiers d’infrastructures de base pour combler un vide et attirer des investisseurs. Et le potentiel de développement est énorme. Ces trois raisons majeures devraient favoriser une croissance forte et durable de l’économie qui, malheureusement, n’est pas au rendez-vous. »
C’est là tout le paradoxe algérien. En moins de dix ans, le pays est devenu une puissance pétrolière et gazière incontournable. Il engrange des excédents budgétaires à faire pâlir d’envie n’importe quelle nation du monde. Mais il affiche des performances économiques de second plan. En 2007, le compteur de la croissance s’est bloqué sur une légère hausse de 3,5 % du PIB. Un résultat bien fade. Et qui devrait perdurer dans les deux ans à venir. « C’est très décevant, nous pensions qu’en 2007 la croissance se situerait au moins dans la moyenne des pays africains, autour de 5 % et plus », souligne Réda Hamiani, le président du Forum des chefs d’entreprise (FCE). Autre désillusion : le montant des investissements directs étrangers (IDE) pour 2007. Annoncé à 10 milliards de dollars, il s’est finalement soldé à 1,3 milliard de dollars. « Le reste est littérature », lâche-t-il.
Ce qui inquiète les patrons, c’est que la légère progression du PIB en 2007 repose une fois de plus sur l’envolée du prix du baril. Pour eux, seul un taux de croissance de plus de 7 % engagerait une décrue massive du taux de chômage, officiellement chiffré à 11,8 % en 2007. Pour les chefs d’entreprise, le pays a un potentiel de croissance de 8 % à 10 % par an. Maintenu pendant cinq ans, un tel rythme ramènerait l’Algérie dans le sillage de ses voisins. « Nous pouvons faire ce qu’ont fait les Marocains et les Tunisiens. Surtout qu’en plus, nous disposons du pétrole et d’un marché bien plus vaste », relève Smaïl Seghir, un consultant en stratégie d’entreprises.
Tous saluent les efforts déployés par l’État pour redresser les finances publiques après avoir frisé la banqueroute en 1995. La dette extérieure publique a fondu, de près de 40 milliards de dollars en 2000 à moins de 1 milliard en 2008. De son côté, le PIB a doublé en cinq ans, à 125 milliards de dollars en 2007. Et les exportations ont été multipliées par cinq depuis 1999 (60 milliards de dollars l’année dernière), garantissant une balance commerciale largement positive. Malgré les hausses du prix des matières premières, qui tendent le climat social, l’inflation a été contenue à 4,4 % en 2007. Et le chiffre du chômage aurait été divisé par presque trois après avoir frôlé les 30 % en 2000. Cependant, 30 % des moins de 30 ans sont encore sans emploi.
Les patrons contestent cette vision trop positive de l’économie algérienne. « Tout est virtuel, observe Réda Hamiani. La réalité, c’est qu’il y a une paupérisation importante de la population et un enrichissement d’une petite frange. La classe moyenne, qui est un élément de stabilité dans une société et qui permet au pays d’évoluer, s’appauvrit. C’est le drame de ce pays. » Les dirigeants d’entreprise se montrent tout aussi sévères sur l’utilisation des réserves de change, le Trésor national alimenté par la flambée de l’or noir. De 2,6 milliards de dollars en 1994, elles ont grimpé à 10 milliards en 2000, avant d’atteindre 110 milliards en 2007. Avec un prix du baril qui a enfoncé le seuil historique de 100 dollars, les économistes tablent sur des réserves de change supérieures à 150 milliards de dollars d’ici à 2010.
De quoi déclencher un plan Marshall pour l’économie algérienne tous les ans ! Mais l’État place une partie de son argent en bons du Trésor américains. Une gestion « de bon père de famille » qui lui est largement reprochée. « Le pays est à un tournant historique, considère Slim Othmani, le patron du groupe privé NCA-Rouiba. Dans un environnement international difficile, l’Algérie a de très lourds défis à relever. Le problème, c’est que c’est à la sphère politique de les mener. Or elle n’a ni intégré le concept d’économie de marché ni pris la mesure des évolutions du monde actuel. Elle parle de mondialisation, mais seulement parce que c’est à la mode. »
Les politiques en accusation
Comme lui, les patrons critiquent la manière désordonnée dont l’État réinjecte les « pétrodinars » dans le pays. Ils lui reprochent d’arroser à tout-va au lieu d’arrêter une véritable politique économique et une stratégie industrielle. Afin de réduire la dépendance du pays à l’égard de l’or noir, le gouvernement a lancé un Plan de soutien à la relance économique de 6,5 milliards de dollars entre 2001 et 2004. L’objectif ? Dynamiser les activités productives agricoles, renforcer les infrastructures et améliorer le cadre de vie. Depuis, les autorités ont tiré une nouvelle salve avec le Plan complémentaire de soutien à la croissance. Doté de 144 milliards de dollars, il s’étale entre 2005 et 2009 et prévoit la construction de plus de 1 million de logements. Il met aussi le paquet sur les infrastructures et les transports (autoroute Est-Ouest, réseau ferré, tramway, ports, barrages), tout en développant l’agriculture, l’industrie, le tourisme, les technologies de l’information. Gaspillage ? « La rente n’a pas besoin d’intelligence pour être redistribuée », lâche un industriel.
« Ils nous jugent incompétents »
L’amertume des chefs d’entreprise algériens est d’autant plus grande qu’ils se sentent tenus à l’écart de ces grands chantiers remportés par les Chinois, les Turcs, les Européens… « Le pouvoir politique n’a pas confiance dans le secteur privé, il nous juge incompétents », déplore Slim Othmani. Conséquence ? Si les secteurs du BTP et de la construction (+ 9 % en 2007) et les services (+ 6,5 %) s’en tirent plutôt bien, ce n’est pas le cas de l’industrie (+ 1 %). Les matériaux de construction (- 3,8 %), l’industrie chimique (- 3,1 %), l’alimentaire (- 7,6 %) et le textile (- 14 %) sont parmi les secteurs les plus touchés en 2007. L’industrie manufacturière algérienne plonge dangereusement. Elle ne représente plus que 5,1 % du PIB, contre 16 % en 1990. Très loin de ses voisins tunisien (19,7 % du PIB) et marocain (30,3 %).
« L’économie du pays manque de souffle. Après avoir assaini les finances publiques, le gouvernement doit mettre en place des politiques sectorielles plus fines, soutient Réda Hamiani. Mais l’État peine à s’inscrire dans le concret et il n’est pas à l’aise quand il doit abandonner sa casquette de gendarme pour celle de régulateur. » Pour cela, il doit d’abord s’attaquer à ses vieux démons. « La réforme de l’État est engagée, on voudrait qu’elle soit appliquée, insiste Boualem M’Rakach, le président de la Confédération algérienne du patronat. Il y a urgence à accélérer les réformes pour que les entreprises évoluent dans un environnement adéquat et dans un cadre de concertation avec le pouvoir. »
Bref, le gouvernement doit bâtir un environnement des affaires bien plus attractif et propice aux investissements, qui ne soit pas une succession de freins à la compétitivité (lourdeur et lenteur de l’administration, corruption, poids de la fiscalité, de la spéculation sur le foncier). Et stopper ses tergiversations sur les privatisations (CPA, Algérie Télécom), qui ne rassurent guère les investisseurs. « Le mariage incestueux entre l’économie et la politique n’est pas bon, juge Smaïl Seghir. Il faut réformer l’État et le pays le plus vite possible. Chaque jour qui passe est un jour de perdu ».
Toutefois, les entrepreneurs algériens doivent aussi composer avec leurs propres contradictions. Ils poussent l’État à se réformer pour libéraliser l’économie et, dans le même temps, ils l’exhortent à faire preuve de patriotisme économique et à ralentir l’ouverture des frontières. Jugeant la compétition inégale avec leurs concurrents européens, ils dénoncent l’Accord d’association entre l’Algérie et l’Union européenne, en vigueur depuis septembre 2005, et qui doit démanteler tous les droits de douanes et les taxes d’ici à 2017. Même engagement contre l’adhésion à l’OMC (lire encadré ci-contre). Un combat perdu d’avance. « Les entreprises chinoises raflent tous les projets de BTP dans le pays. Mais quand une entreprise algérienne n’est plus capable de construire un bâtiment, il faut s’arrêter, prendre un thé à la menthe et réfléchir, lance Belgacem Rahmani, professeur à HEC Montréal. En 1962, la Corée du Sud avait le même PIB que l’Algérie » Il est aujourd’hui huit fois plus élevé (950 milliards de dollars). Sans pétrole.
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