Hayatou, vingt ans après

Le Camerounais Issa Hayatou est président de la Confédération africaine de football depuis le 10 mars 1988. Retour sur deux décennies d’un règne qui ne fait pas l’unanimité…

Publié le 31 mars 2008 Lecture : 11 minutes.

Le 10 mars 1988, à Casablanca, la 18e assemblée générale de la Confédération africaine de football (CAF) se réunit à l’hôtel Safir. À l’ordre du jour : l’élection du successeur de l’Éthiopien Ydnekatchew Tessema – décédé le 19 août 1987 – à la présidence de l’institution. Trois candidats sont en lice : le Dr Mohamed Abdelhalim (Soudan), membre fondateur de la CAF et président de 1968 à 1972 ; Folly Ekué (Togo), journaliste retraité et ancien arbitre, et Issa Hayatou (Cameroun), professeur d’éducation physique et ancien champion de demi-fond. Le Camerounais l’emporte au troisième tour avec 22 voix contre 18 pour Ekué.
Il faut dire que le vainqueur du jour avait rondement mené sa campagne. Il avait défini ses objectifs en s’inspirant largement du testament de son prédécesseur : « Consolider l’indépendance de la CAF ; obtenir une meilleure représentation de l’Afrique à la Coupe du monde et à la Fédération internationale de football (Fifa) ; garantir la crédibilité des compétitions de la CAF ainsi que la neutralité et l’autonomie des arbitres ; mettre fin à l’exode sauvage des joueurs africains ; combattre la violence, la tricherie, la corruption, la superstition et le chauvinisme ; développer le parrainage commercial en respectant la règle de transparence ; accentuer la formation des cadres et développer une politique de communication dynamique. » Vaste programme
« J’aurai en face de moi un interlocuteur compétent et efficace », se félicite João Havelange, le président de la Fifa, présent à Casablanca. Mais, très vite, le maître de la planète foot va se rendre compte que le successeur de Tessema n’en est pas réellement l’héritier et encore moins le disciple. En juillet 1988, Havelange rejette la candidature du Maroc à l’organisation de la Coupe du monde 1994 au profit de celle des États-Unis. Première déception pour Issa Hayatou. « Je ne suis pas un révolutionnaire », concède-t-il. L’homme a mis de l’eau dans son vin. En fait, le Camerounais fonctionne à l’instinct. Deux événements vont le servir : la performance des Lions indomptables du Cameroun au Mondial 1990 ainsi que la réadmission de l’Afrique du Sud à la CAF et à la Fifa en 1992. Les exploits de Roger Milla et de ses compatriotes sur les pelouses d’Italie bouleversent, en effet, la hiérarchie du ballon rond. Les actions africaines connaissent une indéniable hausse. Havelange, pragmatique, s’empresse d’accorder une troisième place à l’Afrique pour la Coupe du monde 1994. Hayatou jubile.
En janvier 1992, à Dakar, le président de la CAF déclare : « Notre étroite et franche coopération avec la Fifa est la preuve tangible d’une ferme volonté de toujours bien faire. » Tout baigne donc, sauf que, six mois plus tard, la Fifa retoque la candidature du Maroc à l’organisation, cette fois-ci, de la Coupe du monde de 1998. Colère et indignation du Camerounais : « Je suis prêt à me battre pour que la justice règne au sein de la Fifa. Monsieur Havelange ne nous a pas fait de fleurs. Nous avons gagné notre place à la sueur de notre front. » Réplique de Havelange : « Je n’ai jamais trahi l’Afrique et je ne lui tourne pas le dos. Elle n’oubliera pas ce que j’ai fait pour elle. » Et de fait, le 27 octobre 1994, le comité exécutif de la Fifa, réuni à New York, octroie à l’Afrique, sur proposition de son président, 5 places (sur 32) à la Coupe du monde 1998 et aux suivantes. Une victoire majeure pour le football africain qui convainc Hayatou qu’il est né pour régner.

Exercice solitaire du pouvoir
Originaire d’une grande famille musulmane du nord du Cameroun – son père était lamido (sultan) de Garoua, lui-même est un prince coutumier -, Issa Hayatou a une conception du pouvoir qui confine au mysticisme. Fort des succès remportés entre 1990 et 1994, il impose sa suprématie sur la CAF. La générosité originelle affichée le jour de son élection, le 10 mars 1988, est vite rattrapée par l’exercice solitaire et autoritaire du pouvoir. Les rivaux ont du mal à être acceptés. Tout désormais converge vers le président, qui, seul, décide et s’exprime au nom du football africain. Dans son orbite, on bénéficie d’une certaine considération, on joue un rôle À condition de faire allégeance. Réputé susceptible, Issa Hayatou s’entoure davantage de comparses que de collaborateurs. Dans le premier cercle figurent – jusqu’en 2004 – les fidèles, Farah Addo (Somalie), Slim Aloulou (Tunisie), Amadou Diakité (Mali), Ismaël Bhamjee (Botswana) et Mustapha Fahmy (Égypte)*. Tous, sauf Addo, siégeront au comité exécutif de la Fifa et accompagneront les réformes entreprises.

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Privilèges et avantages
Ces affidés sont aussi les exécutants de la politique que le Camerounais met en uvre depuis son accession à la présidence. Une méthode qui a fait ses preuves : pour engranger les suffrages (notamment lors des élections de 1992, 1996, 2000 et 2004), quoi de plus facile, en effet, que de favoriser l’élection d’amis sûrs au comité exécutif et d’élargir au maximum la composition des multiples commissions de la CAF. Aux 13 membres élus du comité exécutif s’ajoutent aujourd’hui 173 membres cooptés – et autant de conférenciers et d’instructeurs. Être membre d’une commission est synonyme de privilèges et d’avantages – protocolaires et matériels – qui ne laissent pas grand monde indifférent. Hayatou l’a bien compris qui distribue les promotions non sans arrière-pensées. Aussi bloque-t-il l’entrée d’anciens footballeurs au comité exécutif de la CAF (comme l’Algérien Rachid Mekhloufi et le Ghanéen Abedi Pelé), et il ne fait pas appel à des compatriotes qualifiés comme le Dr François Dikoumé, professeur de droit du sport, ou Frédéric Youndjé, ancien inspecteur général à la Jeunesse et au Sport. En 1996, il ouvre un bureau à Yaoundé ?et y fait embaucher plusieurs de ses proches.
En 1994, Hayatou adhère aux projets Vision I et II, élaborés par les dirigeants de l’Union des associations européennes de football (UEFA), qui proposent la réforme des structures et du fonctionnement de la Fifa (rotation entre les continents pour l’organisation de la Coupe du monde et entre les confédérations pour la présidence de la Fifa) ainsi qu’un mode plus équitable de répartition des recettes de la Coupe du monde. Exemple : l’octroi de 1 million de dollars, tous les quatre ans à chaque association nationale et de 10 millions à chaque confédération. En janvier 1997, une convention signée à Lisbonne scelle le partenariat UEFA-CAF. Quelques mois plus tôt, le 3 août 1996 à Atlanta, les Super Eagles du Nigeria décrochaient la médaille d’or du tournoi olympique. Un triomphe dont Hayatou récoltera, en 2001, les dividendes en étant coopté au sein du Comité international olympique (CIO).
En 1998, parvenu au terme de son sixième mandat, Havelange, alors âgé de 82 ans, décide de passer la main, non sans avoir choisi son successeur, le Suisse Joseph Blatter, secrétaire général de la Fifa depuis 1982. Face à lui se dresse le Suédois Lennart Johansson, président de l’UEFA. Les deux candidats sont présents à l’assemblée générale de la CAF, le 5 février, à Ouagadougou. Hayatou, sans solliciter l’avis de ses mandants, convainc son comité exécutif de lancer un appel à voter en faveur de Johansson. Peine perdue. Le 8 juin 1998, à Paris, Blatter, qui a eu l’habileté de constituer un « ticket » médiatiquement efficace avec le Français Michel Platini, l’emporte nettement sur son adversaire (111 voix contre 80). Un sérieux revers pour Hayatou : l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe ont massivement fait défection. Au total, plus de la moitié des associations nationales africaines n’ont pas suivi sa consigne de vote.
Cet échec déstabilise quelque peu le Camerounais. Soucieux de conserver son poste, il se démène pour que l’assemblée élective de 2000 se déroule dans un pays ami, où la machine électorale qu’il a mise en place puisse tourner rond. Feu rouge donc pour le Zimbabwe, et feu vert pour le Ghana (qui est désigné coorganisateur, avec le Nigeria, de la 22e Coupe d’Afrique des nations). Et effectivement, à Accra, Hayatou assure sa réélection sans coup férir.
Au mois de juillet de la même année, candidate à l’organisation de la Coupe du monde 2006, l’Afrique du Sud, soutenue « officiellement » par la CAF et par Joseph Blatter, est devancée d’un rien par l’Allemagne, soutenue par l’UEFA. Lot de consolation : le président de la Fifa impose, dans la foulée, le principe de la rotation entre les continents pour l’organisation du Mondial. Une idée sortie des projets Vision I et II datant de 1994.

Ambitions mondiales
Janvier 2002, Bamako accueille la 25e assemblée générale de la CAF en présence de Joseph Blatter, qui brigue un deuxième mandat à la tête de la Fifa. Des bruits courent que Hayatou serait candidat. Sans en avoir touché un mot aux délégués des 52 associations nationales. Le 16 mars, au Caire, en présence de Lennart Johansson et de Chung Mong-joon, héritier de l’empire industriel Hyundai, homme fort du football asiatique et coorganisateur de la Coupe du monde de 2002, Hayatou, soutenu par son comité exécutif (qui lui alloue une enveloppe de 500 000 dollars pour sa campagne), se lance officiellement dans la course. « Cette candidature, déclare alors Joseph-Antoine Bell, l’ancien gardien de but des Lions indomptables, n’est pas africaine, mais individuelle. Elle n’a pas reçu le soutien de l’assemblée générale de la CAF. Elle est inopportune et opportuniste. » La majorité des grands joueurs africains refusent de soutenir Hayatou. La campagne du Camerounais, qui a installé son QG sur les Champs-Élysées, à Paris, est assurée par le groupe Darmon, l’un des leaders mondiaux du marketing sportif (voir encadré, p. 63).
Le duel Hayatou-Blatter est loin d’être un « affrontement de gentlemen ». Les alliés du Camerounais attaquent le président sortant sur sa gestion. Blatter est traîné devant les tribunaux. Le Suisse enfile son treillis et contre-attaque. Le 29 mai, à Séoul, le 53e Congrès de la Fédération confirme, par 139 voix contre 56, Blatter dans ses fonctions. Encore une fois, plus de la moitié des délégués africains ont voté pour l’Helvète. Hayatou a du mal à digérer sa défaite. Il dénonce la « fourberie » et joue les martyrs : « J’ai échoué. Mon avenir est derrière moi. »
Si amère soit-elle, la déception est vite ravalée. Le vaincu de Séoul se remet en campagne. Lui qui a prôné la limitation des mandats du président de la Fifa, le voilà qui se remet en piste pour un cinquième à la tête de la CAF ! Terminé les liaisons dangereuses. Il se rallie à Blatter et accepte d’organiser en octobre, au Caire, un forum sur le football africain. De nombreuses associations nationales jouent le jeu de la concertation et expriment leurs doléances. Les recommandations de ces assises, adoptées en mars 2003, par le comité exécutif de la CAF, resteront toutefois lettre morte.
L’important pour Hayatou et ses fidèles, ce sont les échéances électorales de janvier 2004. La Tunisie, qu’il sollicite, accepte d’accueillir la 24e CAN et la 26e assemblée générale de la CAF. Hayatou affronte son compagnon de route, Ismaël Bhamjee. Le combat est inégal. Et le Camerounais, qui a su s’attirer les faveurs de ses adversaires de Séoul, parvient à sauver son fauteuil. Insatiable, il commande à une commission dirigée par Slim Aloulou, une révision des statuts de la CAF. On lui taille un texte sur mesure qu’une assemblée générale amorphe adopte à Paris, le 19 mai. Cerise sur le gâteau : une prolongation d’un an pour le cinquième mandat qui s’achèvera en 2009 ! Aloulou est, quant à lui, coopté au comité exécutif.
Quatre jours auparavant, se jouait, à Zurich, la finale entre l’Afrique du Sud et le Maroc, tous deux candidats à l’organisation de la Coupe du monde 2010. Un seul tour de scrutin a suffi aux décideurs de la Fifa pour les départager : 14 voix pour l’Afrique du Sud, 10 pour le Maroc, qui s’était pourtant assuré les suffrages des quatre membres africains du comité exécutif. Blatter annonce le résultat du vote du World Trade Center de Zurich. Présents dans la salle, Issa Hayatou, Amadou Diakité, Slim Aloulou et Ismaël Bhamjee n’iront pas féliciter Nelson Mandela, Frederik De Klerk et Thabo Mbeki.
Le 10 mars 2008, Issa Hayatou a célébré ses vingt ans à la présidence de la CAF. À 62 ans, le Camerounais n’a nullement l’intention d’abandonner son fauteuil. Et tient à rester en poste au-delà du Mondial 2010. Ce qui l’obligera à briguer un sixième mandat. En cas de réélection, le 11 février 2009 par l’assemblée générale qui se tiendra à Lagos (où il compte de solides soutiens), il sera président jusqu’en 2013 ! Il aura alors régné vingt-cinq ans. Pourtant, depuis l’assemblée de la CAF de janvier 2006, la délicate question de sa succession anime les coulisses de la maison. En parler n’est plus un sujet tabou. « Le chef d’État du football africain », comme le surnomment certains, ne fait plus peur à l’armée d’obligés qui l’entoure. Comme tous les « monarques républicains », le Camerounais est touché, même s’il le réfute, par l’inévitable usure du pouvoir. « À un an du Mondial 2010, ce n’est pas le moment pour lui de s’arrêter », tente de convaincre son entourage. Encore faudrait-il que son état de santé le lui permette. Depuis sa mauvaise chute à Athènes, en août 2004, le Camerounais souffre d’un genou. En janvier dernier, il a été hospitalisé pendant plusieurs jours à Accra
Mais le zèle des laudateurs ne fait plus l’unanimité. Beaucoup se demandent si « l’esprit vif » de Hayatou ne s’est pas, depuis mai 2002, quelque peu émoussé. Nombreux sont ceux qui pensent qu’il n’a plus de projet. Face aux problèmes que rencontre le football africain, Issa Hayatou n’oppose désormais qu’un fatalisme mou. Comme s’il s’accommodait des évolutions imposées par les nouvelles formes du foot-business et de la domination de l’Europe nantie sur l’Afrique. Comme s’il avait accepté la suprématie croissante de la Fifa. Comme s’il avait capitulé devant la situation du football africain plus que jamais coupé en deux avec, d’une part, une élite expatriée et, d’autre part, une masse de pratiquants vivotant sur le continent. S’il se pare d’un africanisme de façade pour défendre la périodicité biennale de la CAN, il s’est parfaitement adapté à la mondialisation de l’économie du ballon rond dont il récupère une partie non négligeable de la rente (40 millions à 50 millions de dollars en dépôt sur les comptes de la CAF, selon lui). Où sont donc passés les grands idéaux panafricains ? Qu’est devenue la CAF de Tessema ? Même si l’institution, à son époque, n’engrangeait pas les dollars par dizaines de millions, même si elle n’était pas non plus un modèle de rigueur administrative, au moins son président tenait un discours plein d’espoir.

* Farah Addo a été, en juillet 2004, suspendu pour dix ans par la Fifa pour « détournement et appropriation partielle de fonds » destinés à la fédération somalienne. Amadou Diakité ne fait plus partie du comité exécutif de la Fifa depuis mai 2007. Il préside la commission des arbitres de la CAF. Ismaël Bhamjee, impliqué dans une affaire de vente illicite de billets lors du Mondial 2006, a démissionné de toutes ses fonctions à la Fifa et à la CAF.

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